Europe et cybersécurité : les talents garants de la puissance

La prochaine puissance sera celle des talents. Ce diagnostic, partagé par une multiplicité d’acteurs, est particulièrement prégnant dans le domaine de la cybersécurité et suscite son lot de questionnements. La détection et la formation des talents apparaissent comme des enjeux clés pour les institutions de cybersécurité, mais il reste difficile de les attirer du fait de la compétitivité du marché.

Par Corentin Dionet

Attirer les talents est aujourd’hui un défi pour l’immense majorité des institutions françaises et européennes spécialisées dans la cybersécurité. C’est pourtant une nécessité afin de glaner un avantage compétitif, à la fois sur ses partenaires et sur ses adversaires. Le Général de division Marc Boget, Commandant de la Gendarmerie dans le cyberespace (ComCyberGend) et Daniel Markic, le directeur du SOA croate partagent ce constat. Le premier affirme : « Il est difficile de recruter des talents. Nous y parvenons en leur offrant un plan de carrière, et des formations croisées à l’international » et le second abonde « Il est nécessaire de parvenir à attirer les talents mais cela reste un défi. La dimension patriotique est moins importante qu’auparavant, ce qui attire les talents, c’est le challenge. » Le principal écueil, c’est aussi l’aspect financier. Les structures publiques ne peuvent pas rivaliser avec les salaires mirobolants offerts par les acteurs privés, qui sont souvent implantés à l’étranger, ce qui nuit également à la souveraineté numérique européenne.

La pandémie a illustré la prégnance du numérique dans nos sociétés. Mais aussi l’impréparation de certains services. C’est le cas en Croatie. « Nous avons un centre national de cybersécurité, nous avons fait le constat que nous n’étions pas prêts, que nous avions besoin d’investissements et de solutions» explique Daniel Markic. L’une des solutions réside peut être dans la diversité des profils. En effet, les menaces réelles se reflètent dans le monde numérique, ce qui suscite un besoin clair pour une diversité de profils ayant des clés de compréhensions éclectiques, et donc des gens non-spécialistes du cyber. La menace hybride est très importante en Croatie, cette pluralité des profils apparaît nécessaire.

Autre illustration de l’importance du numérique : l’explosion de la cyberdélinquance. Elle se chiffre à 10 milliards d’euros, par an, en France, selon les chiffres du Général Boget. En conséquence, « il existe une nécessité d’établir un travail collaboratif à l’échelle nationale et à l’échelle internationale. Le Campus Cyber décidé par le président Macron est une très bonne initiative car il regroupe tous les acteurs français du cyber ». Fédérer les énergies, tant dans la mise en place d’une résilience cyber que dans le recrutement des talents, signe une urgence.

Améliorer les mécanismes de détection et de formation des talents

De la même manière qu’il n’est pas possible de se défendre seul en matière de cybersécurité, il est pertinent de développer des mécanismes de formation des talents à l’échelle européenne. La députée Valéria Faure-Muntian en est persuadée, « la formation en matière de cybersécurité doit être transversale ». Daniel Markić renchérit : « Nous avons besoin dune unité européenne en matière de formation, nous navons pas dautre choix que la collaboration européenne même si chaque Etat garde certaines prérogatives». La marche à suivre est claire : multiplier les filières d’excellence et les décloisonner.

En effet, il existe une tension claire du marché de l’emploi avec une concurrence exacerbée. L’ouverture du secteur semble donc être l’unique solution viable. Un sujet porté par la députée Valéria Faure-Muntian, qui rappelle : « Il faut plus de places, plus de qualité, plus de recrues et plus de féminisation, à court, moyen et long-terme. Il faut également une multiplicité des niveaux de la formation pour adresser l’ensemble des besoins. » La menace part « de la masse et va jusqu’au très haut du spectre » rappelle le Général Marc Boget. Pour arriver à féminiser le secteur du numérique, cela passera par la représentation et l’incarnation. « On a besoin de role-model » martèle Valéria Faure-Muntian.

Publiciser laction et faciliter la transition public/privé

Une fois les nécessités de transversalité des formations et d’ouverture au plus grand nombre du secteur définies, on observe plusieurs axes de travail et de progression. Soit, la mise en place d’une législation permettant une perméabilité plus importante entre le secteur public et le secteur privé, la favorisation de l’apprentissage, pour être agile et flexible et permettre aux étudiants d’être à jour sur les événements, et la publicisation d’un milieu qui souffre d’une image anxiogène qu’il faut changer. Il faut passer du darknet au chevalier blanc dans l’imaginaire collectif.

Pour ce faire, Daniel Markić propose de s’inspirer des startup et du modèle israélo-américain. « Il faut multiplier les passerelles public-privé. En Croatie, il nous manque le retour des talents après quils sont passés dans le privé. » et d’ ajouter : « Aujourdhui, nous publicisons notre métier, nous cherchons à intéresser les jeunes pour les attirer. Avant, nous ne nous déplacions que pour rencontrer des étudiants en Master 2, maintenant, nous allons dans les lycées. »

On constate une dynamique similaire en France. Le Général Marc Boget dévoile : « Aujourdhui, 40% des gendarmes recrutés ont un profil scientifique, cest un chiffre en large progression. Nous avons également développé des e-compagnies et cherché à multiplier le temps de formation des gendarmes au numérique. » Mais ce n’est pas tout, la détection de talents se fait également par le site internet du ComCyberGend. Un jeu y a été créé recélant plusieurs Easter Egg donnant accès à des compartiments cachés.

Une chose est sûre, que ce soit au sein des forces de l’ordre, des services de renseignements où bien des décideurs politiques, les acteurs ont bien compris l’importance qu’ont et qu’auront les talents, dans le secteur de la cybersécurité. Si la majorité des réflexions s’articulent autour de nos capacités à attirer ces talents, il faudra aussi s’interroger sur notre aptitude à les conserver dans l’écosystème européen, qu’il soit public ou privé, pour assurer notre souveraineté numérique.