Garantir la souveraineté par la technologie et l’industrie

Construire la souveraineté européenne est un impératif partagé par les acteurs politiques et industriels. Les nouvelles technologies du numérique doivent être au cœur de cette réalisation politique, car elles sont la clé de la résilience d’une industrie européenne qui peine à voir se former une orientation politique claire. Il semblerait cependant que les discours s’alignent. Maintenant, place aux actes ! 

Par Corentin Dionet

Dans un monde numérique dépendant, l’Europe est un acteur clé du numérique qui n’a pas vocation à s’aligner sur les Etats-Unis ou la Chine. Elle doit mener une révolution numérique inclusive, ne laissant aucun des 27 sur le côté, en mettant en avant ses compétences et formations pour définir une troisième voie européenne. C’est notamment la volonté de la Commission européenne, qui souhaite peser en créant et en identifiant des roadmaptechnologiques.

La vision européenne du développement de la technologie peut être découpée en trois grands axes. Thibaut Kleiner, directeur des réseaux de communications, contenus et technologies au sein de la Commission européenne, décrypte : « Le premier concerne la connectivité. Tous les objets seront connectés à un réseau et généreront énormément de données. Le deuxième axe, c’est le continuum computing. L’intelligence se développe dans tous les outils numériques, de linterface que lon tient dans nos mains aux superordinateurs. LEurope doit investir dans ces enjeux pour rattraper ses retards. Le troisième pilier est celui des interfaces et applications. La cybersécurité y est nécessaire pour parvenir à créer de la confiance et respecter nos valeurs».

Les industriels appellent également de leurs vœux cette souveraineté européenne et à la mise en oeuvre d’une autonomie stratégique signifiant la volonté et la possibilité de se doter de ces technologies stratégiques ou de rupture. Industriels et politiques sont sur la même longueur d’onde concernant l’importance de la cybersécurité. Jean-Michel Mis, député de la Loire, souligne : « Il ne faut pas oublier que cest la cybersécurité qui chapeaute le tout. La sécurisation des systèmes est fondamentale. »

Une « boussole numérique » à horizon 2030

L’Europe peut compter sur sa boussole stratégique pour établir ses priorités à horizon 2030. Thibaut Kleiner dévoile : « Nous souhaitons accompagner cette transformation numérique grâce à notre boussole numérique, basée sur 4 piliers. Les compétences, les infrastructures numériques, la transformation des entreprises et la transformation du service public. Cest une approche globale ayant pour fondement de se concentrer sur certaines technologies ou lEurope accuse un peu de retard: le quantique, le cloud, la connectivité ». Ainsi, les maux ont été identifiés par la Commission européenne.

Bruxelles a également compris à quel point il est nécessaire de défendre les intérêts commerciaux des européens. Cela passera par une ouverture des marchés conditionnée à l’application de réciprocité en termes de législations et de réglementations. « Il faut une réglementation et une collaboration plus agile pour lUnion européenne. Grâce à une convergence des réglementations et notre capacité de standardisation, nous devons cibler lindopacifique pour ouvrir de nouveaux débouchés. Nos industriels ne doivent pas être pénalisés par nos orientations politiques. » admet Thibaut Kleiner.

L’appel des industriels

Les industriels lancent un appel à l’expérimentation. Le marché européen doit être le terrain de jeu des industriels européens, or, il est trop difficile d’accès aujourd’hui. Jean-Michel Mis ajoute : « L’expérimentation est nécessaire pour que nos entreprises soient à l’état de lart. Nous avons besoin de confronter nos systèmes à nos populations pour quils soient fonctionnels et réglementaire. » De nombreux acteurs s’emparent du sujet, puisqu’il est également largement traité au sein des initiatives « Territoires de confiance ».

Les subventions, tant à l’échelle hexagonale que sur le plan européen ne suffisent pas. Et c’est un nouvel appel à la commande publique qui est entendu ! Charlotte Graire, senior manager pour le groupe Airbus, l’affirme : « Il faut une politique industrielle européenne pour permettre à des champions de se développer. Ces derniers pourront ensuite attaquer le marché mondial, car une fois la taille critique atteinte, ce marché est trop petit. En outre, il faut créer des passerelles permettant aux grands groupes leaders européens de travailler avec des PME et start up européennes.»

Il faut également se servir de ce qui fonctionne, c’est-à-dire les capacités de réglementation et de standardisation portées par l’Union européenne. La régulation doit être suivie par une politique publique pour mener à une politique industrielle européenne. C’est ce que souhaitent les acteurs industriels du continent ! François Murgadella ajoute : « Il faut parler des usages! ». Ces derniers doivent être un élément central de la mise en place d’une politique industrielle européenne, et du débat public qui y sera affilié. Nos industriels n’oublient pour autant pas que la cybersécurité se trouve à la base de chacun des progrès qui seront faits. Charlotte Graire abonde : « L’intelligence artificielle est une technologie de rupture dans laquelle Airbus investit. Notamment car lIA aide à la sécurité dans le numérique » ajoutant que « le chiffrement des données est essentiel pour les protéger, et il faut amplifier la gestion du risque et la prévention».

Les institutions au chevet de lindustrie

Il est nécessaire de faire le deuil du tournant que l’on a raté et préparer l’avenir pour ne pas prendre encore plus de retard sur les compétiteurs américains et chinois. « Se dire que lon va pouvoir investir dans des filières de production de composants ou de micro-processeurs est une utopie pour linstant. Nous parlons de centaines de milliers d’euros… » affirme le député de la Loire, Jean-Michel Mis. En ce sens, la présidence française de l’Union européenne doit permettre d’avancer concrètement. C’est ce que souhaite le député : « La PFUE permettra de mettre sur la table un certain nombre de sujet et dinvestir dans des briques utiles, notamment la blockchain, la 5G et lintelligence artificielle ».

Quant à l’Europe, elle semble avancer dans le bon sens. Thibaut Kleiner pointe : « Notre volonté est de faciliter le développement d’un écosystème permettant la création dune politique industrielle. Cela passera par la création de hub régionaux. » Si la force de réglementation européenne est un symbole de compétitivité, il reste beaucoup à faire. Notamment lorsque l’on sait que 50% du marché de la 5G est en Chine et que les parts de marché européennes en Chine sont en baisse. Un fait qui vient souligner d’autant plus la nécessité d’établir une souveraineté européenne en matière de numérique. Mais aussi et surtout le besoin de créer une politique industrielle commune s’inscrivant dans la dynamique de co-construction d’une troisième voie européenne.