La guerre informationnelle a déjà commencé !

Faire la guerre est à la portée de tous : Etats, proto-états ou individus. Aujourd’hui, la guerre n’est pas seulement militaire : nous entrons dans l’ère des guerres hybrides. Des guerres qui prennent d’autres formes (paramilitaires, économiques, cyber, spatiales, technologiques, sanitaires …) et qui s’exportent sur d’autres champs de bataille, à commencer par le champ informationnel. En seulement quelques tweets ou quelques images, les faits et les idées sont savamment orchestrés, nos perceptions sont modifiées et la confusion envahit nos esprits. La dissimulation des connaissances, la manipulation et la désinformation sont devenues des armes redoutables pour celui qui les maîtrise. Cette menace, nos Armées n’en sont pas exemptes, nos entreprises non plus et nos concitoyens encore moins.

Par Jean-Michel Jacques, Député

La guerre de l’information n’est pas nouvelle et l’Histoire a montré que, de tout temps, les Hommes ont toujours su faire preuve d’inventivité pour s’impressionner, s’intimider, s’épier et se surprendre les uns vis-à-vis des autres. L’information demeure un vecteur pour affirmer sa puissance. Seulement, à l’heure de l’hyper connectivité ainsi que de la démultiplication et du développement croissant des outils des technologies de communication et des outils d’intelligence artificielle, cette guerre de l’information prend chaque jour et de plus en plus vite davantage d’ampleur. A cela, il faut également ajouter la diffusion quasi instantanée des vérités mais aussi des mensonges et la dimension planétaire de ce phénomène. Force est de constater qu’aujourd’hui, nous nous retrouvons noyés dans un bain d’information permanent. Celui-ci nous empêche bien souvent de percevoir l’essentiel, de percevoir ce qui est vrai ou ce qui est faux. Demain, cela sera encore plus vrai et manipuler les données et les esprits n’en sera que plus simple.

Influence et désinformation

Tout l’enjeu est donc d’acquérir et maîtriser l’information, de la recouper et de la corroborer afin d’apprécier de façon pertinente une situation. Ayons à l’esprit que chaque jour, nos forces de l’ordre, nos forces armées et nos services de renseignement sont confrontés à des adversaires imprévisibles qui cherchent à les leurrer et qui mènent des opérations de déception/déstabilisation. L’objectif est clair : planifier et combiner des actions pour créer la surprise au sein de nos rangs, prendre l’avantage et asséner des coups aux intérêts vitaux de la Nation et à la sécurité de notre pays. Les attentats commis simultanément sur le territoire national en 2015 en sont un bien triste exemple … De notre côté, pour assurer la sécurité de la Nation, nous devons avoir un usage plus offensif de l’information et nous autoriser, parfois et dans certaines situations, à diriger l’information, la dissimuler ou encore la façonner pour surprendre nos adversaires et nous défendre.

Ces techniques, certains acteurs y ont déjà recours, tout en se gardant bien de rester sous le seuil du conflit ouvert avec notre pays. Pourtant, en jouant sur les cordes de l’influence et de la désinformation, le brouillard entre temps de guerre et temps de paix n’en est que plus dense et cela aura incontestablement des répercussions au sein même de notre société. A vrai dire, il y en a déjà. La Russie, la Turquie, la Chine ou certains groupes armés terroristes usent de manœuvres désinformationnelles afin de faire naître des tensions, accroître des points de divergence et ainsi déstabiliser notre Nation. Les exemples sont ici nombreux : influence russe dans les élections présidentielles de 2017, attisement du prétendu sentiment anti-français au Sahel pour remettre en cause la légitimité de l’engagement militaire de la France, accusations haineuses et instrumentalisation idéologique de la Turquie à l’égard de la présumée volonté séparatiste du Président de la République vis-à-vis de la communauté musulmane …

Dans le même ordre d’idée, accéder à l’information est aussi devenu un impératif majeur pour le développement de notre tissu économique : c’est au fondement même de toute décision et de tout projet. Celui qui détient de l’information à forte valeur ajoutée assure la pérennité de ses activités… et est donc par extension en proie à des risques ! Cela s’est particulièrement révélé avec la crise sanitaire, qui a eu pour effet un recours massif au télétravail et qui a remis au centre du jeu géopolitique et géostratégique la notion de souveraineté économique et technologique. Ainsi, en quelques mois seulement, les attaques informationnelles contre nos entreprises se sont démultipliées (espionnage industriel, atteintes à la notoriété, siphonage de données …).

Vers une stratégie nationale de lutte informationnelle

De fait, le champ informationnel est devenu un enjeu géostratégique majeur. Pour conserver leur supériorité opérationnelle et demeurer crédibles face à nos adversaires, il est essentiel que les Armées s’en saisissent encore davantage. Pour affronter les défis futurs, penser un pan de la guerre par et contre l’information est une impérieuse nécessité. La Ministre des Armées a présenté une stratégie de lutte informationnelle ambitieuse. Pour autant, les armées ne doivent pas être les seules à mener la bataille contre la manipulation des perceptions et la désinformation.

Nous le voyons bien, les tenants et aboutissants de cette guerre touchent – et toucheront – aussi bien nos institutions, nos entreprises ou encore nos concitoyens eux-mêmes ! Seule une action collective alliant l’ensemble des services de l’Etat et la société civile, ainsi qu’un retour en la confiance de la parole publique, permettront de remporter la victoire sur ce terrain.

Il est temps de peser les enjeux que sous-entend la guerre de l’information, de sensibiliser chaque Française et chaque Français en la matière et de construire une stratégie globale dès à présent. L’attentisme n’a jamais permis de gagner quelconque bataille, encore moins la guerre.