Une stratégie de résilience pour la France

22 juin 2017 : Thomas Gassilloud, Rhône 69 - 10 Hémicycle, début de la XVe législature 1

La crise de la COVID-19 a révélé des fragilités et démontré que même au 21e siècle la “surprise stratégique” existe toujours. Alors que l’ANSSI et le SGDSN s’enquièrent déjà de la stratégie de résilience nationale, l’Assemblée nationale lance une mission d’information sur ce qui dépasse le concept, et aspire à modifier les modes de production et l’agilité des acteurs, y compris les citoyens, dans leur réponse à la crise.


Par Estelle Alexandre

Une dépendance numérique critique

Guillaume Poupard le dit avec humilité : « l’ANSSI a fait de la médecine d’urgence » pour sécuriser les hôpitaux pendant la crise. Mesure exceptionnelle pour une situation exceptionnelle ? Pas tout à fait. Les cyberattaques sont amenées à devenir monnaie courante après une augmentation de 6% entre le premier et le second semestre 2021, accélérant le besoin d’une mutation vers un traitement préventif autant que curatif sur le long terme.

Renforcer la protection nationale grâce à une véritable stratégie de sécurisation sera possible si les acteurs dispensant des services essentiels adoptent la directive NIS, dont l’application tarde encore dans 20% des CHU. Avec cette directive, 13 CHU entrent dans la famille des OIV, et 100 intègrent le statut d’Opérateur de Services Essentiels (OSE). Agir sur le statut de certains acteurs aurait un intérêt stratégique. Le Secrétariat Général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN) s’est saisi de la question en suggérant une extension sectorielle des OIV au plus haut de la crise. « Il nous semble que le champ des OIV actuellement retenu, ne comprend pas toutes les activités essentielles au pays en période de pandémie. Ainsi, la grande distribution nen fait pas partie alors que nous mesurons notre chance quelle ait tenue. L’intendance et la logistique sont des métiers stratégiques que l’État doit réinvestir. La crise va nous conduire à repenser la définition des secteurs concernés par le dispositif sur les OIV. » exposait Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale, en avril 2020.1

« Cette crise nous permet de mesurer lampleur de notre dépendance aux outils numériques, particulièrement dans les centres hospitaliers et le secteur de la santé. Le SGDSN fait partie de ceux qui réfléchissent à la constitution de capacités propres, nationales ou européennes, pour ne pas recourir à des outils risquant d’être utilisés par des acteurs étrangers, stratégiques ou criminels » poursuivait Claire Landais.

La France se muscle

« Nous sommes dans une société jugée de moins en moins résiliente. À l’international, des compétiteurs stratégiques sont en concurrence ouverte avec nous et n’hésitent pas à déporter le champ de confrontation sur le territoire national » affirme Thomas Gassilloud, député rapporteur de la mission d’information parlementaire.

Sans transition, les acteurs de l’écosystème national soulignent avec satisfaction la décision de la direction interministérielle du numérique (DINUM), qui, en septembre dernier, a interdit le déploiement d’Office365 de Microsoft dans les administrations pour non-conformité. Après les levées de bouclier suite à l’hébergement de nos données de santé chez Microsoft, nos données économiques chez Amazon, et l’utilisation de Palantir au sein de nos services de renseignement, « cet acte fort est un premier pas en faveur de la résilience » souligne le PDG d’une entreprise française et d’ajouter « alors que nous entendons parler de résilience et de souveraineté depuis des mois, nous attendions une prise de position forte de l’Etat. C’est chose faite. Nous nous en félicitons. La filière nationale est mobilisée et prête à répondre aux besoins de nos institutions. »

Cette décision saluée à la majorité, vise en effet à privilégier des solutions bureautiques collaboratives, comme la plateforme interministérielle SNAP. La DINUM précise que le recours à une offre de service cloud n’est possible que si cette dernière est qualifiée SecNumCloud et « immunisée contre les réglementations extra-communautaires ».

Une mission d’information parlementaire à-propos

Nos modes de vie hyperconnectés, nos dépendances aux technologies ou à l’énergie, les circuits alimentaires longs, la suspension du service national, ou encore l’impact des informations en continu affecte la capacité de la nation à faire face à un choc important. Tout ceci s’opère alors que le contexte géostratégique se tend au niveau mondial et alors que la menace terroriste reste à un niveau important. L’actualité en est témoin.

Décidée à l’été 2021 par la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale, la mission d’information sur la résilience nationale s’attachera donc, outre la pénurie de masques et la dépendance numérique, à analyser les principaux risques et menaces pesant sur le pays. Parmi elles, les ruptures dans les approvisionnements en énergie, en eau, en denrées alimentaires, le risque cyber, le risque biologique et sanitaire, les risques naturels et technologiques, le terrorisme ou encore les conflits armés. Elle vise aussi à évaluer la capacité des institutions, de la société, de l’économie et des citoyens à faire face aux crises graves et aux dangers vitaux qui peuvent en résulter. « Aussi, au-delà du concept, la résilience de notre nation doit se traduire par des changements systémiques dorganisation et sur une prise de conscience par l’État, des limites de son outil. » témoigne Thomas Gassilloud.

Selon lui, notre société « a perdu en résilience avec l’arrivée du numérique » et des mutations profondes dans son fonctionnement : « nous vivons davantage dans un monde de flux que dans un monde de stock. La résilience repose sur la capacité à disposer de ressources stratégiques. Les masques ne sont pas le seul exemple. Cela peut également inclure le stock de chlore pour la fourniture en eau ou l’énergie ». La résilience ne doit pas uniquement être pensée en temps de crise, puisque de nombreux enjeux d’avenir se dessinent aujourd’hui : « En France, nous estimons parfois l’augmentation de notre consommation énergétique d’ici 2050 à seulement 30%, contre 80% à 90% pour nos voisins. Cette estimation s’appuie sur des statistiques mais aussi sur une vision d’avenir liée aux ambitions environnementales et écologiques. La résilience, c’est aussi réaliser une prévision juste pour déployer la production adéquate. Une centrale nécessite dix années de construction, nous ne pouvons pas nous tromper dans nos projections ».

Les moyens de faire face

Dès lors, il devient essentiel de revenir aux fondamentaux de la planification, et de s’enquérir de schémas d’anticipation revisités.

Il convient également de s’attarder sur les moyens d’assurer cette résilience. « L’erreur serait de penser que l’État est suffisamment puissant pour assurer, à lui seul, la résilience nationale » affirme le rapporteur de la mission et de poursuivre : « il faut assurer le bon fonctionnement des outils de la résilience en incluant l’armée mais aussi les institutions au sens large, comme les hôpitaux, les écoles et les transports. Pour cela, ils doivent disposer des moyens pour fonctionner lors d’une crise » et ainsi seconder l’État en présentant une capacité à se reconfigurer rapidement. « Le format de l’armée a considérablement été réduit depuis la guerre Froide. La force terrestre opérationnelle entrerait aujourdhui dans le stade de France.Nous ne pouvons pas dire que nous disposons dune arme terrestre de masse ».

Le citoyen, acteur de la résilience

À terme, la mission d’information formulera des propositions pour renforcer, à tous les niveaux, la résilience nationale et veut travailler à une meilleure association du territoire, des acteurs locaux et des citoyens dans la résolution des crises.Leur force morale doit aussi être prise en compte : « le service national universel ne représente pas uniquement un vecteur de cohésion mais doit aussi viser une résilience utile à la nation. Cette dernière n’en sera que plus soudée ». La cohésion n’est donc pas une finalité opérationnelle mais une externalité positive d’une bonne stratégie nationale. « C’est en corrigeant les fragilités de notre société et en continuant à développer nos outils de puissance, que la France pourra être forte et jouer un rôle de premier plan dans le monde. » conclut le député.

1 Compte rendu Commission de la défense nationale et des forces armées – avril 2020