Aux quatre coins du monde, les territoires de confiance s’érigent à petits pas

Le terme semble à la mode. Il correspond en fait à un réel besoin, partagé par les cinq continents. Plus que de simples villes intelligentes, chaque territoire pense son futur, ancré dans les défis de demain. 

Par Lola Breton

Encore une fois, la pandémie de Covid-19 nous a ouvert les yeux. La Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP), organe des Nations unies insiste : « Les villes doivent être au cœur de la gouvernance multiniveaux et des programmes multi-sectoriels afin d’adresser la complexité des questions sanitaires et de s’attaquer aux iniquités existantes. » Elles sont donc devenues clé. « Il est désormais crucial qu’elles se focalisent sur leur développement durable sans succomber à la tentation du rebond économique à tout prix, continue la CESAP. La pandémie de Covid-19 est inédite dans son étendue et ses effets mondiaux, mais les villes ont désormais l’opportunité jamais vue auparavant de devenir des modèles d’innovation durable, d’inclusion et de santé publique pour leurs citoyens et pour le reste de la planète. » La prise de conscience est bienvenue. Construire des villes et des communautés durables fait partie des objectifs de développement durable de l’ONU.

En France, le terme de « territoire de confiance » s’impose peu à peu, boosté par le comité stratégique de filière (CSF) Industries de sécurité. Plusieurs mots d’ordre : agilité, rupture technologique, sécurité. Parler de territoire de confiance permet d’inclure dans le processus des espaces plus ruraux, qui semblent oubliés par le concept global de « smart city ». Mais, sur les cinq continents, le besoin de penser des espaces de vie intelligents, connectés – sans toutefois se focaliser uniquement sur les nouvelles technologies – résilients, se fait ressentir.

Multigénérationnelle by design

Les défis auxquels la planète devra bientôt faire face sont nombreux, parfois inconnus, souvent plus rapides que prévus. Le premier, déjà en marche, est la densité urbaine. Selon les Nations unies, 68% de la planète vivra en ville en 2050. Rien qu’en Chine, cela concernera près de 900 millions d’urbains. Il ne faudrait pas abandonner les campagnes pour autant. Mais cela implique, en revanche, de repenser la planification urbaine. Parce que, partout ou presque, cette nouvelle population urbaine s’accompagne d’un vieillissement généralisé. Les villes ne doivent plus simplement être dynamiques ou reliées à des services informatiques, elles doivent être fonctionnelles.

Étonnamment, c’est un pays africain – continent qui, au contraire du reste du monde, devrait concentrer une énorme partie de la jeunesse globale d’ici 2050 – qui semble inclure le mieux cette dynamique dans le design de ses futures villes. Maurice est en train de mettre sur pied le projet Beau Plan en construisant de A à Z une smart city sensée répondre aux futurs besoins de l’île. Cette idée financée par des acteurs privés compte faire côtoyer un massif campus de 10 000 étudiants et un village conçu pour les personnes âgées avec du personnel dédié. Le tout relié par des pistes cyclables et autres moyens de mobilités dites douces. 

Forte face à la mer et aux pollutions 

Le territoire du futur est vert. Si le changement climatique affecte le monde entier – comme nous le voyons de plus en plus ces derniers mois au milieu de phénomènes météorologiques intenses prenant tous les pays de court – il le fait de différentes manières en fonction des régions. 

En Jamaïque, la montée des eaux couplée à l’érosion fait peur à la ville de Montego Bay. Depuis 2014, les pouvoirs publics, soutenus par la Banque interaméricaine de développement, ont décidé de prendre le problème à bras le corps. Cette année, le conseil municipal a encore alloué 328 millions de dollars pour la finalisation du projet, notamment pour la construction d’un mur anti-érosion partant de la plage pour finir dans la mer. En plus de sécuriser le front de mer, le Montego Bay Rehabilitation Project permet de s’attaquer à la problématique de la densité urbaine. Les nouveaux urbains, plus pauvres, s’installent généralement sur des espaces davantage soumis aux conséquences directes du changement climatique. Se focaliser sur le front de mer et le relier au centre-ville était aussi un moyen de réduire les inégalités au sein d’un même territoire. 

En Europe aussi, le climat et ses sautes d’humeur inquiètent. Les villes nordiques se sont positionnées comme des modèles de proactivité sur ce terrain comme sur d’autres. Copenhague avait notamment prévu de devenir la première ville « zéro carbone » d’ici à 2025. Il reste encore quelques années à la capitale danoise pour y parvenir, mais elle peut d’ores et déjà se targuer d’avoir verdi son espace. Depuis 2019, tout nouveau bâtiment doit se doter d’un toit végétalisé. Si de nombreuses villes dans le monde tentent de s’y mettre, Paris compris, Copenhague a passé une étape en le rendant obligatoire sous peine de sanction. En plus de favoriser le développement de la biodiversité, ces parois végétales permettent de capter 80% de l’eau de pluie – ce qui réduit les risques d’inondation – d’attraper les particules de pollution – ce qui nettoie l’air urbain – et de réduire la température en pleine ville. Une nécessité éclairée par l’actualité où la quasi-totalité de l’ouest des États-Unis subissait cet été une sécheresse historique aggravée par une canicule : à certains endroits, les températures ont avoisiné les 50 °C !

Vainqueur contre le trafic asiatique

Un territoire qui répond aux enjeux climatiques est aussi un territoire dans lequel ses habitants se déplacent aisément sans polluer. Sur ce point, l’Asie a déjà un temps d’avance. La CESAP louait en 2019 les actions coréennes : « De nombreux résidents de Séoul, comme les étudiants, les propriétaires de petits commerces et le personnel de ménage, voyagent la nuit. Le trajet des bus de nuit ne correspondait pas au besoin des habitants. Prendre un taxi était alors leur seule option mais ils facturaient plus cher la nuit et refusaient parfois des passagers. En 2012, la ville de Séoul a analysé les données des téléphones de la ville pour déterminer les routes empruntées la nuit. […] Les nouveaux trajets ont bien été accueillis par le public, avec une hausse importante des usagers – 5000 en 2013 et 7000 en 2014. » 

En Chine, c’est Alibaba qui a permis de réduire les embouteillages dans la ville de Hangzhou en contrôlant, via son système City Brain, les feux de signalisation mais aussi en détectant automatiquement les accidents de la route et les stationnements interdits. Le système a depuis été étendu à de nombreuses villes chinoises et à Kuala Lumpur, en Malaisie. Évidemment, ces applications asiatiques de l’intelligence artificielle et de l’exploitation des données personnelles ne sont pas, en l’état, applicables partout, notamment en Europe.

Connectée et sécurisée  

Partout, les territoires de confiance doivent aussi s’adapter aux défis propres à leur emplacement géographique. L’Amérique latine compte 41 des 50 villes considérées comme les plus dangereuses au monde. C’est l’un des défis les plus pressants pour le continent sud-américain. Santiago du Chili tente depuis quelques années de s’attaquer à ce problème, en installant des caméras connectées aux quatre coins de la capitale. Mais surtout en intégrant cet aspect sécuritaire au projet plus global Smart City Santiago, qui regroupe des innovations en termes de mobilité, d’immobilier et de lutte contre le réchauffement climatique.

D’autres espaces se distinguent par leur manière de construire leurs smart cities. Alors que les pays dits développés optent souvent pour une amélioration des systèmes à l’intérieur de leurs villes existantes, l’Afrique ou le Moyen-Orient préfèrent souvent construire smart by design. Le projet NEOM en Arabie Saoudite, surnommé “The Line”, est de cet acabit. Linéaire, la ville zéro carbone rêvée par le pouvoir saoudien est en pleine construction… sur fond de dictature et d’appauvrissement des populations autochtones. 

Question de confiance 

Il ne faudrait pas oublier l’objectif premier de ces villes intelligentes : améliorer le quotidien des populations pour leur futur. Et le terme français l’a bien compris, tout est question de confiance. Or, elle s’acquiert par la compréhension des évolutions de nos villes et donc par l’inclusion des citoyens dans les projets. Au Kenya, le groupe Cities Alliance, soutenu par l’ONU, a notamment financé, via le programme Future Yetu, des activités pour inclure les populations pauvres de Nairobi dans le débat pour le futur climatique de leur ville. Cela devrait permettre une adhésion plus claire aux évolutions de ce territoire de confiance.

La pandémie de COVID-19, les engagements croissants en matière de développement durable, les contraintes en matière de ressources et la croissance urbaine continue constituent de nouveaux arguments en faveur de l’investissement au profit des territoires de confiance. « Il na jamais été aussi crucial de rendre les villes plus intelligentes, plus efficaces et plus durables pour leurs résidents. » témoigne Barclays. Des villes intelligentes qui pourraient générer des retombées économiques de 20 mille milliards de dollars d’ici 2026.1

Mais pour que le défi soit relevé, les villes et les territoires ne seront pas seulement intelligentes – mais durables et résilients pour les personnes qui y vivent !

1 https://www.investmentbank.barclays.com/our-insights/Rethinking-smart-cities-prioritising-infrastructure.html / Chordant