Des cités futuristes et culturelles au coeur des Afriques de demain

L’Afrique se réinvente et voit émerger, en son sein, des villes futuristes et culturelles. La Sèmè City béninoise, Diamniadio au Sénégal, Kumasi au Ghana ou encore Lagos au Nigéria s’emparent des besoins prégnants des citoyens. Leur mission : penser un développement économique stable et durable dans un environnement démographique et urbain en pleine mutation.

Par Catherine Convert

Des citoyens au coeur des évolutions citadines

La ville intelligente ne se résume pas aux problématiques de connectivités. Elle doit avant tout être pensée en proximité avec le citoyen, pour que ce dernier se sente maître de son environnement. Bruno Nabagné Koné, ministre de la construction, du logement et de l’urbanisme de Côte d’Ivoire le rappelle : « La gouvernance participative est essentielle pour que chaque citoyen ait la sensation de contribuer à la construction de sa ville ». Des applications existent déjà comme à Kigali pour impliquer le citoyen dans son environnement : ce dernier peut directement signaler un problème de voirie à un agent connecté via une application par exemple. « Ces projets vont se mettre en place progressivement grâce au déploiement de plans stratégiques multi-acteurs. Il faut associer les entreprises, les citoyens, les investisseurs et les usagers pour créer un cadre dans les municipalités » précise Luc Missidimbazi, conseiller en postes, télécommunications et numérique auprès du Premier ministre de la République du Congo, et d’ajouter « il faut apporter de l’innovation qui réponde avant tout à un besoin local. Il ne s’agit pas de problématiques d’innovateurs, mais de problématiques citoyennes auxquelles les innovateurs doivent répondre ». C’est notamment ce que propose l’entreprise sociale Start Somewhere qui offre la possibilité aux résidents des bidonvilles de reconstruire des logements salubres à partir de blocs de béton creux et emboitables, adaptés aux besoins des citoyens de Kibera, à Nairobi.

Aménager le territoire

« L’urbanisation rapide est due à la jeunesse de la population et aux difficultés dans les zones rurales, causées par l’anarchie dans nos installations et nos planifications urbaines » déclare le ministre Bruno Nabagné Koné. Cette urbanisation mène à un engorgement des grandes agglomérations comme Dakar, qui voit le projet de ville Diamniadio comme un réel soulagement. La création de chef-lieu de région pouvant concentrer l’ensemble de l’activité urbaine permettrait de développer des zones autour de villes phares pour absorber l’ensemble de la demande urbaine, notamment des villes secondaires. L’Afrique possède un atout de taille avec la possibilité d’aménager selon des technologies et des procédés nouveaux, des territoires jusqu’alors isolés et vierges. La Ville du Centenaire au Nigeria – s’inspirant de Monaco, de Singapour et de Dubaï – sera construite sur 1250 hectares de terrain vierge à quelques kilomètres du sud de la capitale nigériane et à 5 km de l’aéroport international. La santé et l’éducation seront mis à l’honneur avec la construction d’infrastructures modernes couvrant l’intégralité des besoins de la ville. Au Kenya, la Konza Technopolis City, située à 60 km de la capitale est déjà surnommée la « Silicon Valley de l’Afrique ». Représentant une enveloppe de 14,4 milliards de dollars, elle fait partie de la vision 2030 du pays. À terme, elle créerait 17 000 postes de cadres et 68 000 emplois. La ville satellite collectera des données issues d’appareils intelligents et de capteurs encastrés dans la chaussée, des bâtiments et infrastructures diverses, pour optimiser la circulation, la communication intelligente et pour mieux impliquer les citoyens dans la vie de la cité. Elle entend devenir ainsi une ville durable, et ambitionne de développer un pôle technologique de classe mondiale et s’affiche comme un véritable un moteur économique pour le Kenya. Pour Luc Missidimbazi, ces projets doivent être étendus à l’intégralité du territoire en faisant attention aux spécificités économiques, démographiques et culturelles de chaque nation : « les problèmes d’urbanisation persistent et nous avons besoin d’aménagements d’ici 2030. La notion de ville durable pourrait profiter aux réalités des différentes Afriques du territoire si nous arrivons à les personnaliser selon des besoins propres ».

Villes de loisirs et villes « évènement »

« Pour attirer une population d’un certain niveau, il faut réussir à les maintenir dans la ville attractive. Il faut développer le tourisme, qui est une part intégrante des fonctionnalités urbaines » souligne le ministre de Côte d’Ivoire. Au Ghana, la Wakanda City of Return, vise à développer le littoral et de nouvelles zones économiques à Cape Coast. Elle accueillera hôtels, commerces et bureaux, ainsi que le siège social continental ultra moderne pour l’Institut de développement de la diaspora africaine. Un projet inspiré du film Black Panthers, visant à faire du Ghana un territoire particulièrement attractif qui enseigne l’histoire et la culture africaines. La ville « évènement » ou encore le concept de ville « sensuelle » vise à mettre en lumière les expériences qui y sont offertes, et plus uniquement des services à la personne. Le citoyen et les visiteurs sont reliés par les émotions et la culture au territoire, créant de nouveaux liens de communication et d’attachement à la ville. Les nouveaux projets d’aménagement africains veulent avant tout produire des villes contextuelles, pour replacer la culture africaine au centre de villes génériques. La ville du Centenaire au Nigeria reprend cette même démarche avec la construction d’un espace urbain mixte entre quartier central d’affaires, centre financier, et centre culturel pour promouvoir la culture africaine et les arts du monde, mêlés à des hôtels de luxe et des quartiers résidentiels. Elle accueillera également des centres sportifs et des centres de congrès pour proposer de nouvelles activités aux citoyens et aux visiteurs. Différents projets fleurissent à travers le continent, comme le « Mur de la Connaissance El Jadida-Morocco », pour que l’architecture se mette au service de l’éducation au Maroc, premier obstacle au développement du pays.

La technologie sur un piédestal

En Afrique du Sud, la Lanseria Smart City accueillera un demi-million de personnes à son achèvement en 2030. Outre les systèmes de transport nouvellement intégrés pour connecter les zones résidentielles aux hub industriels, elle s’appuiera sur une nouvelle planification urbaine, basée sur les énergies renouvelables, les transports non motorisés et des systèmes de vidéosurveillance à l’échelle de la cité pour la reconnaissance faciale. Pour le Président Cyril Ramaphosa, elle ne sera pas seulement intelligente et bénéficiaire du réseau 5G, mais une référence continentale et internationale pour les infrastructures vertes. D’autres projets ambitieux pour l’aménagement du territoire émergent, comme GeoCameroon, visant à répondre au besoin criant de données géographiques de base face à l’augmentation de la population urbaine. Des projets ambitieux de régénération architecturale permettront de fournir des soins peu coûteux, comme le centre chirurgical Mont Sina Kyabirwa, reposant sur des matériaux locaux et faisant appel à une architecture intelligente inspirée par la nature pour récolter de l’eau à partir des végétaux. L’eau est stockée dans des réservoirs à gravité, équipés de filtres et d’un système de stérilisation. La ville du Cairo en pleine construction, située à environ quarante-cinq kilomètres à l’est du Caire, en plein désert, censée devenir la nouvelle capitale administrative égyptienne, accueillera des bases solaires sur 91km2 et des zones ultra-sécurisées pour les administrations et les institutions. Les technologies de l’information, les connectivités, l’administration et les transports intelligents seront au coeur de cette nouvelle capitale. Les smart-grid se développent, de même que la smart water au Maroc, mais se trouve encore à un stade embryonnaire, notamment le projet de capteurs intelligents d’eau et d’électricité mis en place par Lydec, ne desservant que 2000 clients stratégiques par rapport aux 2 millions de clients de Casablanca. Des maisons intelligentes commencent également à se développer avec la Smart Home de Maroc Telecom, réalisée en partenariat avec Somfy visant à synchroniser et enregistrer des données personnelles et à équiper sa maison d’outils repérables à distance, pour optimiser l’énergie ou améliorer la sécurité des habitations.

Des espaces ruraux attractifs

La question de l’aménagement est prise très au sérieux et demeure l’un des enjeux majeurs de l’Afrique prospère de demain, qui trouvera une grande partie de ses solutions dans une revalorisation des espaces ruraux. L’exode rural et la marginalisation de ces territoires contribuent à des déstabilisations économiques, comme au Sénégal. « Le mil était au centre de l’alimentation et d’une économie vertueuse au Sénégal. Grâce à des moulins solaires connectés et des fermes connectées, la plantation de cette céréale a pu reprendre au travers de soutiens logistiques de pointe. Les villes ont pu être alimentées à nouveau en se basant sur une économie locale vertueuse perdue » témoigne Thierry Barbaut, directeur des écosystèmes innovants, Tactis. La télémédecine apporte également une nouvelle solution aux déboires économiques de ces territoires : « grâce à la connectivité et au savoir des médecins, les personnes qui autrefois prenaient deux jours pour des consultations n’ont plus à se déplacer. Les problèmes logistiques liés au remplacement d’une personne ou à la baisse de productivité ne seront plus d’actualité » complète Thierry Barbaut.

Les gouvernements ont conscience des opportunités offertes par les visions smart city. Pour le ministre ivoirien de la construction, du logement et de l’urbanisme, elles n’effaceront pas pour autant des difficultés majeures : « À Abidjan, 40% de la population sont analphabètes, et nous devons les privilégier avant même la question du traitement des déchets ou des services publics. La vie en ville est différente du milieu rural, si nous voulons que les urbanisations réussissent, des programmes d’alphabétisation sont essentiels à l’échelle du pays ». Malgré ces enjeux, les pays industrialisés semblent passer le flambeau de la modernité au continent Africain, duquel nous tireront bientôt des apprentissages en administration intelligente, en agriculture connectée ou en économie circulaire et cryptographique.