Sécurité au cœur des territoires : un enjeu (et un bien) commun

7 August 2018, Annecy France : three French municipal policemen on bicycle in pedestrian touristic street of Annecy France

Les dernières élections départementales et régionales de juin 2021 ont, une fois de plus, montré à quel point la sécurité constituait un axe programmatique et électoraliste de choix. Ce recentrage local s’explique notamment par la crise sanitaire qui a contraint les citoyens à concevoir, pendant de longues semaines, leur territoire comme seul horizon des possibles. Aussi, ce dernier n’est plus seulement un endroit d’habitation, mais également un espace d’expression et de réappropriation de la citoyenneté. En définitive, la somme des territoires et leurs interactions constituent le pays, elles permettent de faire société. Pour garantir cette forme de « contrat social », la condition sine qua non est la confiance qui se traduit, entre autres choses, par la sécurité. Pour qu’elle soit comprise, acceptée et assurée, cette sécurité doit faire l’objet d’une responsabilité partagée entre forces de l’ordre, collectivités territoriales et citoyens.

Par Sarah Pineau

Sécurisation du territoire ou territorialisation de la sécurité ?

Bien que leur histoire et leur ancienneté diffèrent, la gendarmerie et la police municipale reposent sur un fondement politique identique : la proximité et le contact direct avec le citoyen. Avec un objectif commun : assurer la sécurité des territoires mais selon des modalités différentes qui nourrissent un subtil équilibre entre sécurisation du territoire et territorialisation de la sécurité. Dans le premier cas, la sécurisation du territoire semble devoir uniquement relever de la police nationale ; dans le second cas, la territorialisation de la sécurité s’appuie sur davantage d’acteurs : la gendarmerie, la police municipale, le renseignement territorial et, in fine, l’appropriation des citoyens1. Le cas de la police municipale est sûrement le plus emblématique en raison du débat récurrent à propos de l’équipement adéquat des agents, notamment l’(absence d’) armement. Aujourd’hui, 57% des policiers municipaux sont dotés d’une arme à feu, taux qui a fortement augmenté ces dernières années, à la faveur de prêts de l’Etat et de la menace terroriste constante2. Cette dotation est cependant loin d’être une réalité partagée, de grandes métropoles faisant le choix d’une police municipale sans arme à feu, à l’image de Grenoble, pour être « au plus proche des habitants».3 Il faut dire que la police municipale n’est pas toujours « une évidence du quotidien » quoiqu’en dise la maire de Paris, Anne Hidalgo. Au coeur de la capitale, la défiance historique du pouvoir national envers les autorités parisiennes qui se sont plusieurs fois soulevées contre lui a longtemps freiné toute velléité de créer une police municipale. En outre, la capitale étant le siège des institutions de la République, des représentations diplomatiques et le lieu de manifestations nationales, leur sécurité relève de l’Etat. De fait, pour inscrire la police municipale dans un schéma de confiance avec la population, promouvoir « un modèle alternatif » pour reprendre les termes de Nicolas Nordman, adjoint à la maire de Paris en charge de la prévention, de l’aide aux victimes, de la sécurité et de la police municipale, semblait indispensable : non armée, la future police municipale a moins pour objet que les citoyens se sentent protégés dans l’espace public qu’ils en deviennent eux-mêmes protecteurs, via des dispositifs de participation citoyenne.

Le développement des dispositifs de participation citoyenne

Ces derniers ont été actés par la parution d’une circulaire du ministère de l’Intérieur en 2011, actualisée en 2019, fondée sur le postulat suivant : « Si la sécurité de la population relève principalement de la responsabilité de l’État, il n’en demeure pas moins que chaque citoyen contribue à la sécurité de son environnement à travers le respect des lois et règlements, l’accomplissement d’actes de prévention et de signalement aux forces de sécurité de l’Etat ainsi que l’adoption d’une posture de vigilance face à des événements ou comportements inhabituels ».4 Aujourd’hui, environ 5 600 communes appliquent cette circulaire qui s’appuie sur une synergie entre Etat, citoyens et collectivités territoriales, au premier rang desquelles la commune, le maire étant le « pivot » du dispositif précité. Or, de manière générale, l’action locale est la plus susceptible d’emporter l’adhésion des citoyens, confortée par la confiance des administrés envers la figure du maire.5

Comme le rappelle Roger Vicot, Président du Forum Français pour la Sécurité Urbaine (FFSU) : « les citoyens doivent être des acteurs à part entière des stratégies locales de sécurité car directement concernés par les politiques publiques mises en œuvre et fins connaisseurs des réalités de leurs territoires ». Les enjeux d’un territoire sensible sont par exemple très éloignés de ceux d’un territoire rural, d’où la nécessité de recourir à des expérimentations locales les plus à même de trouver la formule adaptée aux besoins du territoire concerné : Valenciennes s’est attelée à un plan de prévention pour les séniors quand Lille a privilégié des spots de sensibilisation sur les violences faites aux femmes. Dunkerque a privilégié une approche par des aménagements de l’espace public en concertation avec les habitants (mobilier urbain, aires de jeux…) qui, plusieurs mois après, sont parfaitement respectés et non dégradés. Ces adaptations locales remettent « l’usager citoyen » au cœur de la sécurité, et des actions de police, objectif affiché par le ministère de l’Intérieur lors de la création de la police de sécurité du quotidien en 2018.

Une approche transverse facilitée par les nouveaux outils numériques

« La sécurité (…) doit être pensée dans une continuité de temps et despace, « sans couture » : cela suppose des interconnexions et du travail collaboratif, et donc des évolutions aussi organisationnelles que techniques » souligne l’Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI). Interconnecter sécurité (« safe city ») et intelligence (« smart city ») semble être la formule gagnante pour faire émerger demain de véritables territoires de confiance, notamment à l’échelle européenne. Le FFSU défend ainsi l’intégration des problématiques de la sécurité dans la mise en œuvre de la nouvelle Charte de Leipzig6 signée en novembre dernier, afin d’élaborer des politiques urbaines qui répondent au « bien commun ». L’approche intégrée qui vise à renforcer la robustesse, la flexibilité et la résilience des villes et des zones urbaines ne peut en faire l’économie.

1 En politiques publiques, la territorialisation se définit comme « un processus qui consiste en une appropriation qui peut être juridique et économique (la propriété) ou symbolique (le sentiment d’appartenance, de connivence) »

2 Gazette.fr, [https://www.lagazettedescommunes.com/715574/57-des-policiers-municipaux-equipes-dune-arme-a-feu/], 7/01/2021

3 https://www.lagazettedescommunes.com/747305/a-grenoble-nous-faisons-le-choix-dune-police-municipale-au-plus-pres-des-habitants/

4 Circulaire du 30 avril 2019, dispositif de participation citoyenne NOR : INTA1911441J

5 Cf baromètre annuel de la confiance politique réalisé par le CEVIPOF : https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html

6 Signée pour la première fois en 2007, la Charte de Leipzig est un texte européen qui encourage le recours à une politique de « développement urbain intégré ».