Numérique, clé de voute des territoires intelligents

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« Le numérique est au XXIe siècle ce que l’imprimerie représentait aux XVe siècle. Il changera nos modes de vie et restructurera la société de la même manière » compare Antoine Picon, architecte, ingénieur et historien. La trajectoire est amorcée et le numérique irrigue déjà notre vie. Comment est-il devenu pilier de notre territoire intelligent ? Entre mobilité repensée, gouvernance de la data, ville durable et innovation, comment les différents acteurs pensent-ils de nouveaux usages et développent-ils des solutions disruptives autant qu’éthiques ?

Par Estelle Alexandre

Une mobilité repensée

À Montpellier, dans le cadre de la Cité intelligente, la métropole développe un système IoT sur le territoire en partenariat avec Synox, éditeur de solutions IoT1 pour fournir une application relative au stationnement et de nouvelles propositions destinées aux personnes à mobilité réduite. A Paris, la filiale RATP Smart Systems s’engage elle en faveur de la neutralité carbone horizon 2050 : « Sur notre réseau à distance égale, on émet jusqu’à 60 fois moins de CO2 lorsquon se déplace en RER ou en tramway quen empruntant sa voiture ! » informe Éric Alix, Président de la filiale RATP Smart Systems. La filiale se positionne sur le marché du MaaS (Mobility as a Service) dès 2021 : « Nous cherchons à créer un maillage pour intégrer les différentes mobilités comme des maillons sur une même chaîne et développer un système de transport intermodal. Nous voulons les aider, les accompagner, faciliter lutilisation de solutions plus propres ». Au total, près de 200 millions de données de transport sont traitées chaque jour pour plus de 32 millions de personnes couvertes par les systèmes d’information mobiles. Transdev fournit l’application Moovizy à Saint-Étienne et le Compte Mobilité à Mulhouse2, pour choisir des options de déplacement, stocker des titres de transport ou centraliser le paiement des différents trajets. « Il faut dès aujourd’hui réfléchir à une optimisation des coûts pour éviter l’abandon de ces technologies et l’innovation à double ou triple vitesse » souligne Gérard Herby, Vice président pour les activités de systèmes de protection, Thales.

Avec le laboratoire de l’Université de Strasbourg, le Pôle du Véhicule du Futur travaille sur un service de cartographie rapide destiné aux services de veille pour faire face aux aléas naturels et industriels et aider les secours grâce aux données satellitaires. « Le Booster Rhineplace est une animation auprès des entreprises du Pôle pour leur fournir l’accès aux données du CNES » explique Bruno Grandjean, son directeur général. La filière se mobilise également massivement vers des véhicules électriques pour 2035, véritable enjeu de souveraineté et d’inclusion « il faut que nous nous saisissions du marché de la mobilité propre avant la Chine » alerte-t-il, faisant de la CASE Mobility3, la priorité absolue des constructeurs automobiles nationaux. « Notre mission sera également de veiller à l’accessibilité de ces véhicules électriques aux ménages à faibles revenus, qui n’ont pas encore intégré le marché de l’occasion » complète le directeur général.

La data au coeur de la santé

Avec la plateforme OnDijon, la ville aux cent clochers est équipée d’un poste de pilotage qui intervient dans le soutien à la population et permet de réguler la saturation du CHU. Plus généralement, le ministère des Solidarités et de la Santé publiait le 29 juin 2021, le plan Innovation santé 2030, pour faire de la France, la première nation européenne innovante et souveraine dans ce domaine4. Le pays compte investir dans la santé numérique près de 650 milliards d’euro pour passer à la médecine « 5P » : préventive, personnalisée, prédictive, participative et basée sur les preuves. Le programme « Santé numérique » prévoit le développement de la formation, la confiance des acteurs et l’attractivité professionnelle du secteur ainsi que la préparation d’une future génération de technologies clés en santé numérique. Le gouvernement soutient également la maturation de projets structurants et renforce l’avantage stratégique permis par les données, l’IA et la cybersécurité. À terme, le Health Data Hub offrira de nombreuses opportunités industrielles, principalement dans les secteurs pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. Il entend améliorer le parcours de soins grâce à une combinaison du registre e-Must et les données du Système National des Données de Santé (SNDS). Des projets « vitrines » sont déjà à pied d’œuvre dans le monde. A Busan et Sejong en Corée du Sud, le quartier Sejong 5-1 Life Zone est pensé pour fonctionner comme un hôpital géant. Dans ce quartier, les kits de premiers secours seront livrés par drones interposés tandis qu’à Busan, des robots rempliront des fonctions de soignants. Aux États-Unis, la ville de Seat Pleasant dans le Maryland, a établi un partenariat avec Amazon, Eagle Force, Sprint et Freedmen’s Health pour mettre en place un système de télésanté national dans le domaine de la surveillance des maladies et de la gestion des maladies chroniques. Un projet comparable au HealthHub singapourien, qui s’est lui démarqué auprès de l’OMS pour sa gestion de la crise COVID-19.

Vers des villes durables

Ville intelligente et ville durable vont de pair. Veolia s’est penché sur les possibilités du numérique pour une innovation écologique grâce à la solution 6THEMIC et Sentin’air, évaluant respectivement la performance environnementale, sanitaire des bâtiments et la qualité de l’air. Lors de la 5e édition du salon VivaTech, Chloé Dupont, directrice de la transformation digitale, expliquait : « Nous améliorons l’efficacité de nos solutions environnementales et inventons de nouveaux services grâce au machine learning et aux millions de capteurs IoT utilisés par nos Hubgrade ». Le groupe Atos se saisit également de la problématique environnementale avec sa plateforme Atos Urban Data Platform, caractérisée par une approche holistique de la donnée. « Une ville intelligente est une ville pilotée par les données ! Alors que les villes doivent créer un écosystème de partenaires pour développer des services et exploiter les données, Atos Urban Data Platform est la pièce maîtresse d’une approche de type plateforme de plateformes. Au sein dune Smart City, elle agglomère les données de plateformes de services disparates et permet une gestion efficace des données publiques pour la sécurité, la mobilité ou les services publics.» précise Luiz Domingos, Directeur de la technologie pour le secteur public et la défense chez Atos. Cette plateforme se caractérise par la captation de données de circulation pour optimiser les déplacements dans la ville ou à soutenir la transition énergétique des citoyens grâce à une redistribution du surplus d’énergie entre citoyens bénéficiant de systèmes photovoltaïques privés.

Les start-up greentech sont aussi porteuses de solutions durables par le numérique, comme Metron, qui s’occupe de la gestion de l’énergie pour les groupes industriels par la donnée. Kayrros se spécialise également dans le SaaS (Software as a Service) en proposant différentes solutions de télédétection, notamment des mesures atmosphériques à partir de satellites hyperspectraux pour le méthane et les polluants atmosphériques. Grâce à l’imagerie thermique et les données de géolocalisation pour les émissions de carbone et l’imagerie optique et multispectrale de l’occupation du sol, elle peut étudier et analyser les risques physiques. Les données collectées sont ensuite combinées à des algorithmes pour définir les impacts environnementaux.

La sécurité : première bénéficiaire du numérique ?

La ville intelligente doit se réinventer et miser sur des systèmes sécurisés. Ainsi, la ville de Nice tient le rôle de première safe-city d’Europe. Dans son centre de supervision urbain, les opérateurs de vidéoprotection peuvent suivre 90 écrans et gérer les images en temps réel. Ces derniers se spécialisent dans la surveillance de la voirie et la prévention de risques naturels ou technologiques, la surveillance des établissements scolaires et les transports publics. Au-delà des caméras, l’application Reporty permet aux citoyens de prendre part dans le signalement d’incivilités ou de délits nécessitant des interventions d’urgence. Mais le numérique au service de la sécurité suscitent quelques soulèvements. Le portique à reconnaissance faciale fourni par Cisco devant le lycée les Eucalyptus a été largement critiqué, notamment pour des installations jugées contraires au cadre légal existant ou l’aval de la CNIL. De même, le projet de capteurs sonores dans le quartier Tarentaize-Beaubrun-Couriot, annoncé par la ville de Saint-Etienne avait été rejeté par la CNIL. Atos a pour sa part déployé sa technologie de big data dans la ville d’Endhoven au Pays-Bas, permettant d’identifier des comportements anormaux comme des personnes en course ou des bruits d’agression.

Stimuler l’innovation à l’échelle européenne

L’Union européenne se place devant les États-Unis dans la création de données. Permettre aux chercheurs d’accéder à cette « mine d’or » stimulerait l’innovation et la recherche. Le Conseil européen de l’innovation propose des mises en réseau et des « match making sessions », à l’exemple du Forum du Conseil européen de l’innovation. Pour accélérer cette dynamique, la commissaire européenne, Mariya Gabriel, en charge de l’innovation, la recherche, la culture, l’éducation et la jeunesse, souhaite s’attaquer à « la fragmentation des écosystèmes de l’innovation et de connectivité en proposant une régulation plus avantageuse pour l’innovation ». C’est aussi en se positionnant sur le marché de la deeptech et des technologies vertes que l’Union européenne gardera une place concurrentielle.

A Horizon 2030, l’Union européenne sera amenée à revoir sa stratégie concernant les technologies de rupture : « nous finançons la recherche à destination civile, mais nous savons qu’il existe des domaines stratégiques dans lesquels nous devons revoir notre approche, tout en conservant nos valeurs et principes » témoigne Mariya Gabriel5 et de poursuivre « l’Europe est assise sur une mine d’or. L’Europe doit dès aujourd’hui réaliser son potentiel dans le marché de la donnée ».

Si la Safe City ne fait pas encore l’unanimité auprès des citoyens, un travail de clarification sur l’étendue des technologies de sécurité reste à faire pour s’orienter vers des villes sécurisées et durables. Le Conseil européen de l’innovation devrait se pencher sur la question des drones et des technologies duales d’ici 2030, laissant le champ libre aux entreprises européennes pour réfléchir à des solutions disruptives et éthiques.

1 https://www.montpellier3m.fr/actualite/un-conseil-metropolitain-mobilise-pour-la-relance-economique-la-resilience-et

2 https://www.transdev.com/fr/innovations/maas/

3 Connected, Autonomous, Shared, Electric

4Innovation santé 2030 – faire de la France, la 1ère nation européenne innovante et souveraine en santé, Conseil stratégique des industries de santé, 2021

5 visioconférence « La recherche, l’innovation et l’éducation comme principaux moteurs de la reprise », Fondation Schumann, 28 juin 2021