Observer… s’ouvrir… transformer pour une ville inclusive et égalitaire

« Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». Le onzième objectif de développement durable porté par l’Organisation des Nations Unies à l’horizon 2030 est un engagement de tous les jours pour Kathryn Travers, ancienne directrice générale de Women in Cities International (WICI), Agente de développement, vie démocratique pour Concertation Montréal et consultante sur les questions de genre, de sécurité et de développement urbain pour l’ONU Femmes, ONU Habitat et l’UNICEF1. Grâce à une approche intersectionnelle, la Canadienne ouvre des pistes de réflexion pour investir les territoires urbains autrement et penser une ville de demain inclusive et égalitaire. La solution : Observer… s’ouvrir… transformer.

Rencontre avec une femme engagée, déterminée et profondément optimiste.


Par Philipine Colle

Un parcours au service de l’égalité

Après des études en criminologie et sociologie, Kathryn Travers aborde une première fois les questions de genre au sein des villes lors d’un stage au Centre international pour la prévention de la criminalité basé à Montréal. Curieuse des autres et mue par sa volonté d’engager une carrière internationale, elle reprend des études universitaires dédiées à la paix internationale et la résolution de conflits qui l’amèneront à intégrer le Department of Political and Peacebuilding affairs de l’ONU à New York en tant que stagiaire. Elle est alors sollicitée par Women in Cities International, une organisation née du réseau international d’acteurs présents lors la première Conférence internationale sur la sécurité des femmes organisée en 2002 à Montréal, souhaitant lever des fonds pour le développement d’un nouveau projet. « J’ai reçu un appel de WICI, m’indiquant qu’elles avaient mis mon nom dans le dossier de financement, qu’ils souhaitaient que je fasse partie de leur plan d’action et qu’elles avaient obtenu ce financement fédéral. Finalement, elles me proposaient un emploi ! J’étais très heureuse de pouvoir les rejoindre et m’engager à temps plein pour la cause des femmes » explique Kathryn Travers. Et de poursuivre « Ce qui m’anime, c’est la possibilité d’innover et d’expérimenter, d’avoir l’opportunité de questionner nos façons de faire ». Au sein du projet pancanadien, elle opte alors pour une approche intersectionnelle innovante. Travaillant avec des femmes autochtones vivant en milieu urbain, des femmes immigrantes racisées, des femmes porteuses de handicap et des aînées, Kathryn Travers s’engage à rendre la ville sensible et ouverte aux problématiques vécues par toutes ces femmes. « Initialement, il était plus simple pour moi de concevoir mon travail comme un engagement envers ces personnes vivant à la croisée de différentes exclusions et oppressions. En travaillant avec elles et en créant des opportunités de rencontres, j’ai réalisé que je travaillais pour ma propre liberté, pour une égalité et une inclusion ayant un sens beaucoup plus large qui nous concerne toutes et tous. Nous ne pourrons avancer qu’ensemble !  Travailler sur la cause des inégalités c’est ouvrir les yeux sur des réalités. Une fois que la prise de conscience est faite il est impossible de fermer les yeux à nouveau et de revenir en arrière. » confie Katrhyn Travers.

La ville, reflet des inégalités

Depuis 2007 la majorité de la population mondiale vit en ville, une proportion en augmentation qui atteindra 60 % d’ici à 2030. Dès lors, les territoires urbains sont les miroirs grossissants des traits des sociétés qui les occupent. « Dans l’urbain, tout est manifeste. La ville est un microcosme de ce qui se passe plus globalement. On y observe des peurs, des insécurités, des situations de violence que vivent les femmes universellement. Choisir un mode de transport plutôt qu’un autre, allonger un trajet afin d’éviter certaines rues peu fréquentées et mal éclairées, marcher avec des clés dans la main au cas où… sont autant de mécanismes de défense, de stratégies d’évitement et de prévention du danger invariablement utilisés par des femmes qui subissent une violence réelle et symbolique dans l’espace publique urbain » témoigne Kathryn Travers. L’architecture des stations de métro, l’inclinaison des bâtiments créant des recoins, l’emplacement des arrêts de bus sont alors autant de points pouvant détériorer le sentiment de sécurité des populations. Dès lors, la ville est substantiellement un objet de travail majeur dans la quête d’un monde plus sûr pour tous. « La ville est le lieu où les gouvernements entrent en contact avec les populations, les prises de décisions y sont concrètes, tangibles, présentes quotidiennement. Marcher dans une rue, c’est être confronté aux décisions en termes de conception urbaine, de planification des transports, de toponymie. La ville peu inclusive reflète donc le manque de représentation de la diversité au sein des instances de gouvernance » ajoute-t-elle.

La concertation au service de la ville égalitaire de demain

Convaincue de la nécessité de la participation des populations à la conception de leur milieu de vie, Kathryn Travers gère le programme MTELLES. « L’étude a mis en lumière la plus faible proportion à participer des femmes présentes dans la salle et le manque cruel de diversité sociale et ethnique parmi ces dernières. Nous avons initié un travail avec le conseil municipal, l’Office de consultation publique et plusieurs conseils d’arrondissements pour faire évoluer la participation publique afin de la rendre plus inclusive » détaille Kathryn Travers et d’ajouter « Accueillir les personnes exclues ne suffit pas il faut aussi créer les conditions pour qu’elles puissent s’exprimer et participer pleinement ».

L’usage du numérique lors des conseils municipaux montréalais pendant la pandémie est également porteur d’une meilleure participation citoyenne. « Nous avons observé que l’usage du numérique était à l’origine d’un rééquilibrage de la participation en termes de genre. Un plébiscite de la part des personnes à mobilité réduite est également notable. Comment participer lorsque l’on ne peut pas accéder à l’espace de débat ? Nous ne sommes qu’à l’aurore de ce que nous pourrons faire avec le numérique. Un système hybride utilisant des technologies encore plus ergonomiques sera peut-être à penser dans le futur. » déclare Kathryn Travers.

25 ans après la Conférence de Beijing et alors que les maigres avancées réalisées en matière d’égalité sont mises en péril par les conséquences de la pandémie de la Covid-19, dont une croissance marquée des violences faites aux femmes. Néanmoins, Kathryn Travers voit dans l’augmentation du nombre de femmes au sein des représentations politiques et des carrières scientifiques et urbanistiques un espoir pour l’égalité. « Je suis optimiste parce que les milieux urbains sont des espaces d’expérimentation, d’apprentissage et de mise en œuvre de l’innovation. Ce sont des espaces idéaux où amorcer le changement social vers plus de représentativité et d’inclusivité ».

1 ainsi que de nombreuses organisations internationales et nationales au Canada.