Shanley Clemot Maclaren, vent debout face aux cyberviolences

Avril 2020, alors que le monde est confiné en raison de la pandémie de Covid-19, le nombre de comptes « Fisha » explose dramatiquement sur les réseaux sociaux. Shanley Clemot MacLaren, révoltée face à la gravité du phénomène émergeant ainsi que l’indifférence et l’inaction qui l’entourent, lance l’alerte dans l’espoir de bousculer la toile et de mobiliser. Son énergie et sa détermination fédèrent et débouchent sur la création d’un groupe d’aide aux victimes obtenant quelques mois plus tard le statut d’association.

Retour sur l’engagement de Shanley Clemot Maclaren, jeune femme forte, figure d’une génération connectée et déterminée à mener dès aujourd’hui les combats de demain.

Par Philippine Colle

Lanceuse d’alerte

« J’ai constaté l’ampleur démesurée qu’était en train de prendre le phénomène des comptes Fisha. La situation était telle qu’il existait un compte par département, puis par ville. Pour moi, il était impossible de ne rien faire face à cette violence touchant nos sœurs, nos cousines, nos amies, nos voisines dans un silence absolu. J’ai pris les armes en tant que citoyenne pour aider les victimes face à cette dynamique destructrice » explique Shanley Clemot Maclaren. Le Fisha est son combat. Ce terme argotique signifie « affiche » en verlan donné aux comptes créés sur les plateformes dans l’unique but de diffuser, sans leur consentement, des photos intimes et dénudées de femmes et de jeunes filles mineures accompagnées de leurs informations personnelles pour les humilier. « Mon appel a été entendu et j’ai rapidement été rejointe des personnes qui souhaitaient dénoncer le phénomène, mais aussi par des victimes appelant à l’aide. Ensemble, nous avons créé un groupe de parole qui s’est transformé en compte Instagram pour pouvoir toucher un public plus large. Tout est allé très vite et nous sommes devenus le collectif #StopFisha en avril 2020 avant d’acquérir le statut d’association en novembre dernier » continue l’étudiante en sciences politiques. Sensibilisée depuis toujours aux questions de genre et de discrimination, la jeune militante, à titre individuel, engage alors un véritable combat devenu collectif.

Ne concevant pas la possibilité de laisser les victimes seules et désœuvrées face à la divulgation de ce type de contenu, Shanley Clemot Maclaren veut pallier aux disfonctionnements des instances modératrices de contenu par la force du collectif.  « Lors du premier confinement et pendant les mois qui ont suivi le signalement et le retrait d’un contenu problématique était quasiment impossible. Un même message indiquant une augmentation de la durée de traitement des signalements en raison de la crise sanitaire revenait systématiquement. Face à ce vide insupportable, nous avons invité les membres du collectif à signaler les comptes en espérant que les plateformes reçoivent cette action massive comme une notification. Notre but est que nos signalements aient un impact et que nous soyons entendues parce que la modération reste beaucoup trop compliquée. Cela doit changer dans l’intérêt des victimes ! » clame-t-elle.

Un combat à mener sur tous les fronts

Pour l’étudiante militante, dénoncer les violences faites aux femmes est un combat qui se mène sur deux fronts : la sphère virtuelle mais aussi et surtout la vie réelle. Active sur les réseaux, où elle écoute et conseille celles qui en ont besoin, la co-présidente de #StopFisha œuvre aussi à la sensibilisation des jeunes, premières victimes des cyberviolences, en intervenant dans les établissements scolaires. Elle fait de sa jeunesse une force et met alors sa compréhension des enjeux inhérents à sa génération au service de l’entraide et du partage.

Pour parvenir à endiguer ce phénomène, Shanley Clemot Maclaren souhaite déconstruire un certain nombre de concepts qui alimentent les comportements violents. Pour elle, tout commence par la reconnaissance de la réalité de violences incomprises et invisibilisées en raison de lacunes dans la terminologie employée. « Le terme de revenge porn est assez problématique puisque la notion de vengeance auquel il renvoie, laisse penser que la victime se tiendrait à l’origine des actes qu’elle subit et qu’elle aurait déclenchée. Il faut absolument casser l’idée selon laquelle une victime serait responsable ».

Portée par l’espoir de voir un procès s’ouvrir concernant les comptes Fisha, et pourquoi pas, de faire jurisprudence, la jeune femme aimerait voir l’association dont elle est co-présidente laisser une marque dans le système judiciaire, mais également dans le système politique. La responsabilisation des plateformes numériques quant aux dangers liés aux contenus qu’elles diffusent prévu par le Digital Service Act portée par la Commission européenne, est bien accueillie par Shanley Clemot Maclaren : « Il est important que les instances politiques se saisissent de ces questions cruciales. L’échelon européen est le bon pour que les pays les plus avancés partagent leur expérience avec les pays accusant un certain retard juridique et opérationnel dans la lutte contre les violences cyber à caractère sexiste. La Grande Bretagne, par exemple, dispose d’outils permettant de retrouver des images de victimes sur internet et d’abolir ces images du cyberespace, un exemple dont nous devrions nous inspirer ». La jeune femme travaille aujourd’hui en partenariat avec activistes europens à l’écriture d’une lettre adressée au Parlement Européen afin de demander une meilleure prise en compte des cyberviolences sexuelles par l’exploitation de l’image dans le projet de DSA.

Un appel à la coopération

L’association qui accompagne les victimes lorsqu’elles vont porter plainte souhaite amorcer une coopération renforcée avec les forces de l’ordre. « Nous sommes amenées à collaborer avec les forces de l’ordre qui sont parfois très réceptives et parfois beaucoup moins. Il y a un gros manque de connaissance des enjeux du cyber, du fonctionnement des réseaux sociaux ainsi que des mécanismes des violences à caractère sexiste et sexuelle Les plateformes, les forces de sécurité, les utilisateurs des divers réseaux, autant d’acteurs qui doivent être formés pour se battre ensemble contre le Fisha » plaide Shanley Clemot Maclaren. L’association place ses ambitions à la hauteur de la gravité de la situation sur le cyber espace et souhaiterait pouvoir être mieux entendue par les plateformes « Aujourd’hui, pour accélérer la prise en charge rapide des signalements de contenus que nous détectons, nous passons par E-Enfance, une association qui lutte aussi contre les cyberviolences et qui dispose du statut de tiers de confiance auprès des réseaux sociaux. Un statut permettant à leur signalement d’être pris en compte beaucoup plus rapidement. L’obtention de ce statut, comme la mise en place d’un partenariat avec la plateforme Pharos serait des moteurs puissants pour lutter contre ces violences » lance l’étudiante.

Inspirée par toutes les femmes qui l’entourent et auprès desquelles elle construit son propre destin, Shanley Clemot Maclaren rêve de fédérer davantage pour continuer à lutter contre les cyberviolences « Nous avons tous et toutes une voix et cette voix il faut l’élever. C’est du dialogue et de la pluralité des expériences que nous pourrons tirer des idées pour avancer. L’association est en pleine construction mais nous avons des objectifs d’élargissements au niveau national avec l’ouverture d’antennes dans différentes villes et de structuration à l’échelle de l’Union Européenne. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons lutter contre ces violences qui n’ont par définition pas de frontières. » conclut-elle.