L’Inde, un partenaire prometteur

En évoquant le premier accord spatial entre la France et l’Inde de 1964, Jean-Yves le Drian renforce l’image d’un partenaire historique, avec lequel la France entend adresser les enjeux de demain. « La force de notre coopération, c’est la force de la complémentarité, autour d’objectifs parallèles et convergents. » déclarait le ministre des Affaires Étrangères en avril 2021, en évoquant, entre autres, le futur satellite franco-indien TRISHNA. Le programme spatial s’ajoute à une spécialisation dans les biotechnologies dans le cadre d’une nouvelle ambition nationale, dirigée par Narendra Modi. Entre tensions géopolitiques, nationalisme hindou et opportunités économiques, quel portrait dresser du partenaire Indien ?

Par Catherine Convert

Les détroits au coeur des tensions

L’Océan Indien est une étendue de 70 millions de km2 et pourrait être la clef de voûte dans le rééquilibrage des puissances. En 2018, 3,8 millions de barils par jour passaient par le détroit de Bab El-Mandeb tandis que 90% et 80% des importations japonaises et chinoises en hydrocarbures transitaient par le détroit de Malacca. Les nouveaux investissements chinois et indiens en Afrique de l’Est ne font que confirmer la prééminence de ce détroit dans le commerce international. L’Océan Indien devient le théâtre d’une nouvelle route de la soie maritime, connectant les marchés européens, asiatiques, moyen-orientaux et africains1. La stratégie du « collier de perles » chinoise est confrontée à la puissance émergente de l’Inde, qui accélère ses coopérations avec les pays de l’ASEAN et l’Occident. Bien que le Sri Lanka se tourne progressivement vers l’Inde pour le développement d’un terminal de conteneurs dans le port de Colombo – y voyant une force alternative à la Chine – les pays côtiers peinent à se détourner de Pékin. Outre les tensions frontalières, les enjeux maritimes seront au centre de la géopolitique régionale à venir, alors que les implications chinoises dans l’Océan Indien confirment une volonté de dominer les grands axes du globe. L’accès à l’eau sera également au coeur des tensions et de la sécurité humaine indienne : « En Inde, les besoins augmenteront au gré de l’accroissement de la démographie et de l’industrialisation. Aujourd’hui, l’Inde est tributaire des pays amonts, et la Chine refuse tout accord encadrant le partage des fleuves, et va jusqu’à envisager le détournement du Brahmapoutre. » affirme Alain Lamballe, général de brigade, spécialiste de l’Asie du sud et directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement. En revanche, avec le Pakistan, l’Inde détient l’avantage dans la répartition des affluants, établi par la Banque mondiale.

Une course à l’armement sud-asiatique

L’abrogation de l’autonomie du Cachemire en août 2019 par le gouvernement fondamentaliste hindou était accompagnée d’une déclaration litigieuse de Amit Shah, ministre de l’Intérieur : « Quand je parle de l’État du Jammu-et-Cachemire, j’inclus le Cachemire occupé par le Pakistan et Aksai Shin contrôlé par la Chine »2. En 2020, le conflit éclate, menant à une mobilisation sans précédent dans l’histoire indienne dans les hauteurs de l’Himalaya début 2021. Un conflit à mettre en parallèle avec la nouvelle course à l’armement, se soldant par une hausse du budget militaire de l’Inde passant de 62 milliards de dollars en 2018 à 72,9 milliards de dollars en 2020. Une hausse dont la Chine est responsable après l’achat d’un porte-avions nucléaire, accompagné d’un budget militaire de 200 milliards de dollars. L’urgence d’un renfort des ressources indiennes est manifeste, lorsque les deux tiers du budget annuel de la Défense étaient attribués à la rémunération des 1,4 million de soldats ainsi que le paiement des retraites de quelque 2 millions de vétérans. Bien que cette augmentation ait permis l’achat de 36 Rafale pour 8 milliards d’euros – dont les 10 derniers devraient être livrés d’ici la fin de l’année – cet équipement reste sous-dimensionné pour la surveillance d’un territoire aussi vaste, comme le confirmait Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation auprès de nos confrères des Echos3 : « Les besoins de l’armée de l’air indienne sont énormes en matière d’avions de combat. Il y a aussi des besoins pour la marine indienne – pour mettre des avions sur les portes-avions actuels et futurs ». Pour faire face au budget contraignant de la défense indienne, New Delhi affirme sa volonté d’acquérir 24 Mirage 2000 d’occasion auprès de la France pour un montant de 27 millions d’euros et a signé un accord historique entre Tata et Airbus à hauteur de 3 milliards d’euros en septembre 2021. Ce contrat entre dans la campagne « self-reliant India », et sera l’occasion pour l’Inde de fabriquer son premier avion militaire sur son sol, avec une entreprise privée. « Pour contrer la Chine, l’Inde fait appel aux États-Unis et aux pays occidentaux pour des raisons économiques et stratégiques pour de l’armement de haute technologie. Ils sont à ajouter aux accords sécuritaires conclus pour l’utilisation réciproque de bases, d’échanges de renseignement et de la logistique » explique Alain Lamballe.

Vers une nouvelle image de marque

Lancée en 2014, la politique du « Make in India » repose sur la politique nationale de fabrication (National Manufacturing Policy) qui prévoit d’augmenter la part sectorielle de la fabrication dans le PIB à au moins 25% ; de créer 100 millions d’emplois supplémentaires et d’améliorer la compétitivité mondiale, la valeur ajoutée nationale, la profondeur technologique et la durabilité environnementale de la croissance d’ici 2022. Cette politique tend également à renforcer l’autonomie stratégique de l’Inde vis-à-vis de sa grande concurrente régionale. Dans l’entreprenariat, les cerveaux indiens se démarquent par des échanges académiques récurrents. Dans certains cas, ils peuvent même mener jusqu’à la Silicon Valley comme le modèle de réussite Sunder Pichai, désormais PDG d’Alphabet, entreprise mère de Google. Et pour cause, les formations techniques indiennes figurent parmi les meilleures du monde grâce, notamment, aux Indian Institutes of Technology (IIT) fondés sur le modèle du Massachussets Institute of Technology (MIT). Le premier IIT a été construit en 1951 en réponse à l’indépendance de 1947 pour qualifier la main d’oeuvre. À partir des années 1960, en pleine guerre froide, les États-Unis ont besoin de jeunes talents et ouvrent des American Libraries pour promouvoir les opportunités du pays tout en assouplissant les lois sur l’immigration à destination des jeunes diplômés.

En 2015, un peu plus de 120 000 étudiants indiens étaient embauchés aux États-Unis. La France s’inscrit dans une démarche similaire en déployant des partenariats entre Sciences-Po et des universités indiennes.

Une spécialisation dans la médecine d’avenir

En faisant partie des 12 premières destinations de biotechnologie dans le monde et représentant 3% de part dans l’industrie mondiale dans ce domaine,4, le secteur pourrait passer de 4 237 start-up en 2020 à 10 000 horizon 2025, qui viendraient s’ajouter au 2500 entreprises de biotechnologie déjà existantes. D’ici 2025, ce même marché pourrait représenter 150 milliards de dollars ! Cette évolution concerne plusieurs autres segments : BioPharma, BioAgriculture, BioIndustrial, BioIT, sociétés de recherche sous contrat (CRO)5 ou encore la recherche, plaçant l’Inde au 48e rang du Global Innovation Index. Le pays fait également figure de pionnier dans la distribution mondiale de vaccin, en étant contributeur à hauteur de 70% pour les vaccins essentiels de l’OMC.

Un modèle démocratique en déclin ?

Les nombreuses opportunités offertes par le développement fulgurant de l’économie indienne pourraient être freinées par des valeurs démocratiques divergentes d’avec certains pays occidentaux notamment. En cause ? La résurgence d’un nationalisme hindou, porté par Narendra Modi et le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP). Le Citizenship Amendment Bill, adopté en décembre 2019 par le Parlement indien, modifie la loi de 1955. Cet amendement permet de régulariser des réfugiés de confession chrétienne, bouddhiste, sikh, hindou, jaïn ou encore parsi ayant fui pour des raisons religieuses leur pays d’origine comme l’Afghanistan, le Pakistan et le Bangladesh, s’ils résident en Inde depuis 5 ans. Les résidents musulmans ne sont pas inclus dans ce dispositif, les obligeant à rester sans papier et sans droit sur le territoire, sans en comprendre les retombées futures. L’idéologie de l’hindouité n’a jamais été autant d’actualité pour le gouvernement de Modi, bien que ce texte soit décrié par le vieux parti de l’Indépendance. S’en est suivi une vague de manifestations dans les Etats de Tripura et d’Assam, frontaliers du Bangladesh. En réponse, le gouvernement coupait le réseau internet dans 10 districts, établissait un couvre-feu et déployait l’armée dans les villes ayant accueilli des affrontements violents. Pour Gilles Verniers, politologue et chercheur associé au Centre de sciences humaines à New Delhi : « ce qui s’opère, depuis 2014, s’apparente pratiquement à un changement de régime politique. Le BJP jouit d’une vaste majorité au Parlement. Il utilise ces pouvoirs pour transformer en profondeur la nature de la démocratie en Inde »6. Pour le politologue, le gouvernement a introduit des législations favorisant l’édification d’une « démocratie ethnique » ou identitaire, avec des pouvoirs servant une communauté majoritaire. Le Cachemire ne bénéficie donc d’aucune institution politique représentative. L’Inde chute dans les classements et passe au stade des pays « partiellement libres » selon Freedom House ou encore au rang d’« autocratie électorale » selon l’institut suédois V-Dem.

L’Union européenne et l’Inde sont néanmoins déterminées à renforcer leur coopération pour répondre aux futurs défis de la protection de l’environnement, de la transformation numérique et de la stratégie dans l’Indopacifique. Elles ont aussi réaffirmé leur engagement en faveur des droits de l’Homme, en mai 2021, lors de la réunion des dirigeants de l’UE et de l’Inde, qui devrait se poursuivre en 20227. Le président du Conseil européen, Charles Michel affirmait à l’occasion : « Les droits de l’Homme, l’égalité entre les femmes et les hommes et l’égalité des chances sont au coeur de nos relations avec l’Inde ».

1 https://www.diploweb.com/L-ocean-Indien-nouveau-centre-du-monde.html

2 https://www.lepoint.fr/monde/l-inde-sous-pression-militaire-chinoise-05-08-2020-2386817_24.php

3 https://www.lesechos.fr/2017/03/rafale-nous-esperons-que-dautres-contrats-suivront-en-inde-selon-le-pdg-de-dassault-aviation-164399

4https://www.investindia.gov.in/sector/biotechnology

5 Contract research organization

6 https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210814-75-ans-après-l-indépendance-quel-avenir-pour-la-démocratie-indienne

7 https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2021/05/08/