L’Indonésie : un archipel au cœur des enjeux indo-pacifiques

Banjarmasin, South Kalimantan, Indonesia, 22 - March - 2019: The Indonesian National Armed Forces (TNI) and police arrest the terrorists, during the implementation of the election security simulation

La zone indopacifique, qui renvoie davantage à un concept politique qu’à une réalité géographique, est devenue une région géostratégique de premier plan. Alors que laxe militaire baptisé ANKUS qui rassemble les Etats-Unis, lAustralie et le Royaume-Uni, a infligé un camouflet diplomatique à la France dans la région, lUnion européenne a présenté une nouvelle stratégie pour renforcer ses relations avec les Etats de la région. Parmi eux, l’Etat pivot que représente l’Indonésie, pourrait devenir un partenaire de premier plan pour la France et lUnion européenne avec qui larchipel travaille sur de nombreux défis communs à relever.

Par Hugo CHAMPION

La cybersécurité : une coopération nécessaire

La France et l’Union européenne ont fait de la cyberdiplomatie un axe majeur de leur politique étrangère. La nouvelle stratégie de l’UE publiée en septembre dernier stipule que l’Union « mettra sur pied un réseau européen de cyberdiplomatie, en collaboration avec ses délégations, ainsi quavec les ambassades concernées des États membres dans le monde entier. LUE intensifiera aussi les activités avec ses partenaires dans le cadre du projet de coopération renforcée en matière de sécurité en Asie et avec lAsie (ESIWA), qui concerne la lutte contre le terrorisme, la cybersécurité, la sûreté maritime et la gestion des crises ». L’Indonésie, tout particulièrement, connaît des lacunes considérables en termes de cybersécurité. L’archipel a essuyé plus de 325 millions de cyberattaques en 2020. Les victimes concernées sont plurielles. Parmi elles, les acteurs de l’économie numérique, telles que les licornes Tokopedia et Bukalapak. Le mois dernier, c’est le président Joko Widodo qui s’est vu pirater son certificat de vaccination contre le coronavirus. En mai, les données de plus de 200 millions d’inscrits à la sécurité sociale et à l’assurance maladie avaient été piratées par des hackers.

Le pays nécessite de mettre en place des politiques d’envergure pour garantir à ses citoyens une sécurité numérique robuste, fiable et de confiance. Dans un rapport publié en janvier dernier, INTERPOL avait listé les attaques par emails, le ransomware, le phishing et le cryptojacking comme principales cybermenaces dans l’ASEAN, dont fait partie l’Indonésie. Sur l’archipel, les cyberattaques ont principalement lieu par phishing, DDos ou RaaS. Environ 7,5 % des indonésiens ne bénéficieraient pas de système d’identification. L’enjeu est donc socio-économique car la mise en place de dispositifs favorisant l’identité digitale pourrait contribuer à hauteur de 16 % du PIB indonésien, d’ici 2030. L’Indonésie entend faire évoluer son cadre légal afin de répondre à ces enjeux. La loi Personal Data Protection (PDP) devrait voir le jour cette année et favoriser le développement de l’économie numérique du pays, qui représenterait un marché de 130 milliards de dollars d’ici 2025.

Un enjeu régional

« L’ASEAN a besoin de nouvelles lois pour lutter contre les cybermenaces transfrontalières afin de développer la région en un bloc économique numérique », déclarait le Premier ministre malaisien, Tan Sri Muhyiddin Yassin. Sur ce volet, l’UE co-parraine un atelier sur la protection des infrastructures critiques dans le cadre du Forum régional de l’ASEAN (ARF) et co-préside la réunion de l’ARF sur la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale.

Alors que Huawei a récemment renforcé sa coopération en matière de cybersécurité avec l’Indonésie, la France, qui possède de nombreux atouts dans la technologie et l’innovation, est en mesure de proposer à l’archipel un partenariat stratégique de haut niveau. En septembre 2020, l’assureur indonésien PT Asuransi Tokio Marine Indonesia s’est allié à l’entreprise française SHIFT Technology en déployant sa solution anti-fraude « Force » basée sur une technologie d’intelligence artificielle. Cet exemple illustre l’opportunité pour la France d’intensifier des relations bilatérales avec les Etats de cette région stratégique. C’est en ce sens qu’a été signé en octobre 2020 un accord de coopération en matière de défense entre la France et l’Indonésie.

La lutte antiterroriste contre la menace jihadiste

Les attentats de Bali en octobre 2002 ayant fait 202 morts ont très tôt montré la menace que représentait le terrorisme jihadiste pour l’archipel, présenté pourtant comme un modèle de cohabitation inter-religieuse. Depuis l’apparition du califat auto-proclamé d’Abu Bakr al-Baghdadi en Syrie et en Irak (Daech), de nombreux groupes présents en Indonésie et engagés dans la cause jihadiste s’organisent et perpétuent des attentats. C’est le cas notamment de East Indonesia Mujahideen (les Moudjahidine de l’Est de l’Indonésie, MIT), basé sur l’île de Sulawesi, dont les membres ont tué quatre chrétiens, dont un décapité et un autre brûlé vif, en novembre 2020. Le groupe Jamaah Ansharut Daulah (JAD), qui a également prêté allégeance au calife de Daech, a visé en 2018 trois églises dans la ville de Surabaya. L’attaque a été perpétrée par six personnes dont deux enfants. 12 autres personnes ont été tuées. Pour lutter contre la menace jihadiste, les autorités indonésiennes ont créé dès 2003 une unité d’élite, le Densus 88, formée par des instructeurs américains. L’Etat islamique dispose de nombreux leviers pour se déployer durablement dans la région, notamment en Indonésie qui compte 260 millions de fidèles musulmans et connaît une réaffirmation d’un islam politique. En mars dernier, Human Rights Watch avait observé l’augmentation de la pression sociale que subissaient les fonctionnaires et les écolières indonésiennes pour porter le hijab (voile islamique).

Daech s’adapte et poursuit sa stratégie dite des milles entailles qui consiste à harceler son ennemi par des attentats quasi quotidien avec tout type de moyens (armes blanches, explosifs, voitures béliers, armes à feu, etc.). L’archipel devra donc s’atteler à lutter durablement contre cette nouvelle menace. Djakarta estime que 700 de ses ressortissants ont combattu avec Daech en Syrie et que la plupart sont sans doute revenus. Le gouvernement indonésien signe des accords de coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme avec des puissances, notamment régionales, telles que l’Australie. Début septembre, les ministres australiens des Affaires étrangères et de la Défense ont entamé un voyage diplomatique de deux semaines en Indonésie. La région est donc devenu un épicentre géopolitique aux enjeux prégnants.

Quelle place pour la France dans cette région inflammable?

« Le centre de gravité du monde se déplace vers la région indo-pacifique, en termes tant géo-économiques que géopolitiques.L’avenir de l’UE et celui de la région indo-pacifique sont liés l’un à l’autre », déclarait en septembre dernier Joseph Borell, vice-président de la Commission européenne. Et de rappeler : « L’UE est déle premier investisseur et le principal partenaire de coopération au développement dans la région indo-pacifique, ainsi que l’un des plus grands partenaires commerciaux de cette dernière ». Nouvelle zone particulièrement convoitée, l’Indo-Pacifique rabat les cartes des alliances entre les puissances, notamment occidentales, comme le montre l’établissement de l’axe ANKUS. Cette nouvelle coopération vise à endiguer l’hégémonie chinoise dans la région. Le président Joe Biden avait fait de la Chine la priorité absolue des Etats-Unis. « L’Indonésie est profondément préoccupée par la poursuite de la course aux armements et la projection de puissance dans la région », a récemment déclaré le ministère des Affaires étrangères indonésien.

C’est dans ce contexte que la France devra tenter de conduire sa politique étrangère de façon autonome dans cette région, où elle est présente historiquement et géographiquement avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie notamment. La France possède les outils de son autonomisation stratégique. La relation bilatérale que l’Hexagone développe avec l’Indonésie témoigne de cet atout. « En tant que deux partenaires stratégiques, lIndonésie et la France ont une bonne coopération en matière de défense. LIndonésie souhaite continuer à renforcer la coopération en matière de défense, en particulier dans les domaines qui peuvent améliorer l’équipement du TNI [l’armée indonésienne] et faire progresser lindustrie de la défense indonésienne », avait expliqué à Paris, en janvier dernier, le ministre de la Défense, Prabowo Subianto, à l’issue de son entretien avec Florence Parly. Des négociations portant sur l’achat de 36 avions Rafales sont actuellement en cours entre les deux pays. En février dernier, les marines nationales indonésienne et française ont mené un exercice conjoint dans le détroit de la Sonde (Selat Sunda). Trois navires de guerre indonésiens et deux navires français, la frégate de surveillance Vendémiaire et le sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire Émeraude ont pris part à l’exercice.

La France est une nation de l’Indo-Pacifique et doit prendre part aux nouveaux défis géostratégiques de la région en portant sa propre voix. L’influence de la France peut également se manifester à travers l’Union européenne et des thématiques transversales. Le 13e sommet de l’ASEM (Asie-Europe), qui se tiendra les 25 et 26 novembre 2021, aura pour objectif de stimuler la reprise de l’activité post-Covid de manière écologique et durable. Il sera étayé par une coopération multilatérale au niveau du G20 et complété par des dialogues macroéconomiques bilatéraux avec les partenaires de la région faisant partie du G20. L’UE s’efforcera également d’échanger davantage sur les questions macroéconomiques avec des partenaires tels que l’Indonésie et le Bureau de recherche macroéconomique de l’ASEAN+3.