Sécurité en Malaisie : prudence, mère de sûreté ?

Enlisée dans une période d’instabilité gouvernementale, ayant beaucoup souffert de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques, la Malaisie se retrouve à un moment clé de son histoire. Dans un environnement régional où les principales puissances planétaires se déploient et se renforcent, Kuala Lumpur devra, pour tirer son épingle du jeu, moderniser son appareil de défense sans froisser ses voisins, au premier rang desquels figure la Chine.

Par Corentin Dionet

La Malaisie, à l’instar de ses comparses du sud-est asiatique, est confrontée à plusieurs menaces. La montée des comportements agressifs chinois dans le sud de la mer de Chine, associée à une militarisation progressive et accélérée de Pékin dans la région, poussent les acteurs régionaux, y compris la Malaisie, à investir dans le domaine de la défense. A ce contexte viennent s’ajouter des nécessités technologiques. Les décideurs malaisiens ambitionnent de remplacer leurs équipements militaires datant de la fin de la guerre froide pour faire face à l’accroissement des tensions et à la militarisation dans la région.

La diplomatie régionale malaisienne est logiquement adaptée à ce climat spécifique. « La Malaisie a toujours fait attention à ne pas référencer ses désagréments avec la Chine dans des documents ou discours officiels »1 écrit Siemon Wezeman pour le SIPRI2. Eric Frécon, docteur en science politique et membre de l’IRASEC3, le confirme : « On parle souvent de « quiet diplomacy » pour évoquer la Malaisie sur les questions de défense et de diplomatie. Cest un pays assez discret qui doit se faire une place dans cet environnement régional un peu plus « vocal » ».

Un pays sous influence?

La pusillanimité des pays de la région, sur le plan diplomatique, n’est plus à démontrer. Eric Frécon pointe du doigt un concept : « essentiel à retenir pour comprendre le grand jeu régional, pour ne pas dire suprarégional. On parle de « hedging » ou comment ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, voire ne prendre aucun risque ». La Malaisie opère donc sur une ligne ténue pour ne pas succomber à l’influence des grandes puissances. L’expression « diplomatie du bambou », souvent utilisée pour qualifier les politiques extérieures des pays de l’Asie du Sud-Est, pourrait bien désormais s’appliquer à la Malaisie.

Le caractère stratégique de la région, véritable « sas et écluse de lIndo-Pacifique », n’est plus à prouver. Dans certains forums de l’ASEAN, que la France a tenté de rejoindre, se rencontrent Américains, Indiens, Russes et Chinois… Signe indiscutable de l’attractivité de la zone géographique.

De ce fait, les bienfaits de l’intégration régionale incarnée par l’ASEAN et sa zone de libre-échange existent, même si, selon Eric Frécon : « ce nest pas à l’ASEAN que vont se régler les questions de défense ». L’intégration régionale commerciale réussie par Kuala Lumpur peut influer sur son attractivité aux yeux des investisseurs étrangers, y voyant l’occasion d’obtenir de nouveaux débouchés.

Importations et souveraineté : un jeu d’équilibriste

Cela cause une dépendance à l’import en matière de défense et de sécurité pour la Malaisie. En témoigne l’achat de deux sous-marins français de classe Scorpène par le pays, au début des années 2000, dans le cadre du renforcement de ses capacités navales. Malgré cela, l’économie malaisienne est robuste à l’échelle régionale et s’inscrit dans la tranche haute des pays émergents au niveau mondial.

Aujourd’hui, l’instabilité gouvernementale dont souffre le pays s’est accrue du fait de la crise sanitaire qui a entraîné des répercussions économiques majeures. Celles-ci limitent les capacités d’investissements du gouvernement malaisien et les politiques d’acquisition d’armement. En dépit de cela, la Malaisie reste une terre fertile pour les Investissements directs à l’étranger (IDE). Elle est classée 12e, sur 190 pays, à l’indice de la Banque mondiale mesurant le degré de facilité à mener des affaires. Et la volonté des décideurs malaisiens qui souhaitent moderniser les équipements vieillissants de leur armée de l’air et de leur marine, en réponse aux enjeux stratégiques régionaux actuels, représente de nouvelles opportunités à saisir.

Mais à cela s’ajoute une condition : faire un geste envers Kuala Lumpur, qui se trouve en position de force dans les négociations avec la multitude de propositions qui affleurent. Et cela – la Chine l’a compris ! En résulte la commande de navires chinois en 2016, grâce aux prix pratiqués par la Chine, très compétitifs, et le transfert de technologies en termes de construction, maintenance et amélioration très facilité par Pékin.4 Or, c’est l’un des instruments de défense de la souveraineté économique malaisienne. Kuala Lumpur, en parallèle d’une politique d’ouverture visant à inciter les puissances régionales et occidentales à investir dans le pays, privilégie les offres comprenant, en contrepartie, la construction sur place des équipements et des transferts de compétences et de technologies dans les domaines stratégiques.

Le cyber et les drones en précurseurs

La Malaisie a choisi d’établir une stratégie claire et ambitieuse dans le domaine du cyber à horizon 2024. Basée sur 5 piliers : la mise en place d’une gouvernance efficace, le renforcement du cadre législatif, la maîtrise des meilleures innovations mondiales, l’amélioration des capacités, de la sensibilisation et de l’éducation et enfin le renforcement de la collaboration. Elle marque une prise de conscience du gouvernement malaisien et incarne une orientation politique assumée.

En ligne avec le plan gouvernemental, la Malaysia Digital Economy Corporation (MDEC) a lancé une stratégie de développement digital sur cinq ans, en 2020. L’une des technologies sur laquelle se focalise le projet est la Drone Tech. En outre, les décideurs malaisiens ont décidé de mener une politique visant à la création d’une flotte de drones pour des missions de reconnaissance et de surveillance dans l’espace maritime du pays. Kuala Lumpur a signé un contrat à hauteur de 20 millions de dollars avec les Etats-Unis pour l’achat de 12 drones Scan Eagle. Une dynamique qui s’inscrit dans la politique de modernisation des forces aériennes et navales malaisiennes, érigée en priorité du gouvernement depuis plusieurs années et incarnée par le plan Cap 55 qui fixe des objectifs clairs, à horizon 2055, dans le domaine aéronaval.

Malgré des orientations claires et un discours volontariste, la réalité est plus mitigée. A court terme, le peu de fonds disponibles et d’investissements réalisés, l’établissement d’une échéance trop lointaine et l’instabilité gouvernementale ont suscité l’inaction dans le domaine des acquisitions d’équipements de défense. La perspective à moyen-terme est plus encourageante. La volonté gouvernementale de moderniser les forces armées navales et aériennes couplée au souhait d’investir dans le cyber et dans une flotte de drones indique l’imminente apparition d’opportunités pour le monde industriel en Malaisie. Kuala Lumpur entend poursuivre la modernisation de ses équipements militaires aéronautiques pour répondre au contexte tendu dans son environnement régional, tout en veillant à ne pas se mettre à dos la Chine. Entre navigation à vue et vision long-termiste, la classe politique malaisienne devra maintenir le cap pour garantir la sécurité de sa Nation.

1 Wezeman, S. T. (2019), « Arms flows to South East Asia », p. 20, Stockholm International Peace Research Institute.

2 Stockholm International Peace Research Institute

3 Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est Contemporaine

4 Wezeman, S. T. (2019), « Arms flows to South East Asia », p. 28, Stockholm International Peace Research Institute.