“La diplomatie, ça ne s’invente pas”

Two knights standing on Russian flag and EU flag.

Deuxième opus de la Série #Russie #UE.

Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité déclarait le 5 janvier : « Toute discussion sur la sécurité européenne doit impliquer lUE et l’Ukraine. » Pourtant, 5 jours plus tard, ni l’Union européenne ni l’Ukraine n’étaient invités à la table des négociations à Genève. Moscou et Washington ont purement exclu des pourparlers deux acteurs directement concernés par le sujet. Où comment la Russie refuse ostensiblement de considérer l’Union européenne comme un acteur majeur des négociations et de la géopolitique mondiale…

L’UE : un non-acteur pour la Russie

Depuis son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine ne cache pas sa volonté de rendre toute sa puissance à la Russie. Peser sur la scène internationale est vital. Il multiplie alors les actions pour se positionner comme un acteur incontournable par le biais d’une “diplomatie coercitive”. Le tout puissant qui règne sur la Russie, a aujourd’hui réussi un véritable tour de force, en imposant avec qui il dialogue, ou pas !

En laissant de côté l’Union européenne et l’Ukraine, Moscou envoie un message tranché : « Il est certain que la Russie ne considère pas lUnion européenne comme faisant partie du cercle des grandes puissances. Cest pour cela quelle a tendance à vouloir nouer un dialogue stratégique avec les Américains pour résoudre une série de défis et de dossiers internationaux. » confirme Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.

Une humiliation pour l’Union européenne qui a fait réagir, notamment Emmanuel Macron, actuel Président du conseil de l’Union européenne. Ce dernier a exprimé dans son discours du 20 janvier à Strasbourg sa volonté de dialoguer avec la Russie allant même jusqu’à dire que celui-ci n’était pas « optionnel ». Sans attendre, le Président de la commission des affaires étrangères de la Douma, Leonid Sloutski, déclarait à son tour : « La Russie discutera avec ceux qui sont réellement capables d’influencer la situation. ».

Mais, en réalité, la Russie n’est pas la seule à laisser les Européens de côté, les Américains ne les ont pas conviés non plus à Genève. Selon Valéria Faure-Muntian, députée, Présidente du groupe d’amitié France-Ukraine à l’Assemblée nationale : « Joe Biden crée l’occasion de négocier avec Poutine. En novembre dernier, il ne se passait rien de plus quune pression diplomatique de la Russie. Elle existe depuis 2014.»La solution est multifactorielle. La députée, si elle reconnaît ne pas avoir de “solution miracle”, affirme : « Il faut que lEurope reprenne la main. Il faut qu’on écarte complètement les Etats-Unis du dialogue. On ne peut pas continuer comme cela. Ils hystérisent le débat.»

Faire cesser la cacophonie au sein de l’UE

Gagner en clarté au sein de l’UE et définir une voie commune et unique semble plus que nécessaire. Il n’en demeure pas moins qu’il faudra bien plus pour faire bouger les lignes russes, tant le Grand Ours rejette toute forme de multilatéralisme, le tout publicisé par Vladimir Poutine. En témoigne la rupture des relations entre la Russie et l’OTAN en octobre dernier. N’oublions pas que tout est affaire de perception en diplomatie, et les sommets bilatéraux comme celui de Genève, entre le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov et son homologue Wendy Sherman, rappellent à l’inconscient collectif le lustre d’antan de la puissance russe.

Lors de leurs échanges avec l’Union européenne, les dirigeants russes ont souvent déploré une forme de cacophonie régnant dans les institutions de l’Union. Se disant lassés par la dissonance des membres de l’UE, les Russes préfèrent traiter avec les grandes puissances sous un format bilatéral. Autre argument russe : le poids trop important dans l’Union européenne de nations dites « hostiles » à Moscou, dont l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie et la Pologne notamment. Sergey Lavrov, le ministre russe des Affaires Étrangères, déclarait lors d’une allocution le 14 janvier dernier : « Nous regrettons que l’UE elle-même ait détruit tous les mécanismes de sécurité il y a 7 ans et demi. Maintenant nous sommes tournés vers les États-Unis et l’OTAN. »

Cette cacophonie est synonyme de désunion. Mais est-il nécessaire que l’Union européenne soit à la table des négociations ? Pas forcément, tant que ses membres et leurs intérêts sont représentés. Valéria Faure-Muntian appuie : « L’UE na pas la prérogative diplomatique. Il faut quelle arrête de se mêler de la situation. Il ny a pas de directive qui permette à l’Union européenne de faire de la diplomatie. Ils nont pas les instances. La diplomatie, ça ne s’invente pas. Cela se travaille. Il faut avoir les bonnes sources. LUnion européenne n’est pas câblée pour cela. » En somme, l’UE doit être en soutien de ses États membres, mais pas au volant des négociations. Privilégier le Format Normandie pourrait donc être la solution, d’autant que ce cadre a permis de réaffirmer l’importance d’un cessez-le-feu et de son respect inconditionnel, par et pour toutes les parties, ce mercredi 26 janvier.

Seul bémol, les membres de l’Union européenne ne parviennent pas à délivrer un message à l’unisson. Les dissensions sont cristallisées autour des récentes décisions de la nouvelle coalition allemande. Son refus de livrer des armes défensives à l’Ukraine a suscité l’indignation dans les pays baltes et en Pologne. Quant au déplacement d’Annalena Baerbock en terre russe, celui-ci n’a rien donné. Si Berlin promet de sanctionner Moscou en cas d’invasion, une interrogation demeure : l’avenir du gazoduc Nord Stream 2. Un sujet qui se veut central dans les discussions intra-européennes sur la question des sanctions à l’encontre de la Russie si une escalade de la violence devait survenir. Quant à la posture que pourraient adopter les Allemands dans cette situation – largement dépendants du gaz russe sur le plan énergétique – elle reste pour le moins très floue…