Education aux médias : amplifier le phénomène !

Dans une société où chaque individu peut devenir son propre média et relayer une infinité de contenus au plus grand nombre, établir des lignes directrices permettant d’éviter la propagation des fake news et lutter contre la désinformation s’avère plus que jamais nécessaire. L’éducation aux médias peut et doit être le principal rempart contre ces menaces. Si la France a démarré sa mue, il faut désormais l’accélérer.

Par Alexandre Guichard et Camille Léveillé

L’émergence des réseaux sociaux et le développement de l’instantanéité de l’information ont suscité de nombreux bouleversements au sein du paysage médiatique mondial. La France n’échappe pas à la règle. Le député Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation décrypte : « Cette société de linformation peut se transformer en société de la désinformation. Il faut donner aux jeunes les clés de lecture pour le monde contemporain ».

Aujourd’hui, 75% des lycéens ont accès à au moins un ordinateur disposant d’une connexion internet chez eux et 68% des élèves de Terminale déclarent s’informer régulièrement. Développer le sens et l’esprit critique des citoyens et des jeunes générations pour qu’ils puissent décrypter et décoder l’information avant de se forger une opinion est désormais vital. Ces derniers sont demandeurs : l’éducation aux médias est considérée comme utile par les élèves de 3e. 82 % d’entre eux déclarent grâce à cela, mieux comprendre l’information.1

Une nécessité renforcée face aux nouveaux supports de l’information qui ne bénéficient ni d’une structuration, ni d’une régulation efficace ayant à cœur la lutte contre la désinformation. En témoigne les actions de Frances Haugen à l’encontre de son ancien employeur, la plateforme sociale Meta.

Myriam Adam, journaliste à l’AFP et trésorière de l’association « Entre les lignes » explique : « Nous navons jamais eu autant de médias, mais paradoxalement, on ne sait plus où sinformer. On ne sait plus comment travaillent les médias, ni comment sinformer. Cest un manque cruel, particulièrement chez les jeunes. Ils suivent quelquun sur un réseau social et pensent que cest un média. Sans se renseigner : est-ce quil y a des intérêts politiques ou économiques derrière ? Nous leur apprenons cela, et cest extrêmement important, qui plus est dans une année présidentielle ».

De multiples initiatives

Les projets se multiplient pour lutter contre la désinformation. Le Forum de Paris sur la Paix de novembre dernier s’en est fait écho avec la mise en lumière de l’Initiative Société Informée (ISI) lancé par le GSMC (Graduate School of Media and Communications) de l’Université Aga Khan, basée à Karachi, au Pakistan. Deux objectifs sont affichés : « aider les jeunes à devenir des consommateurs d’informations informés, capables de discerner le vrai du faux, déterminer la crédibilité des sources d’information et fournir aux journalistes les compétences nécessaires pour éviter de diffuser des informations erronées ou mensongères auprès du public adulte ».2 Plusieurs écoles dans le monde ont choisi de s’associer au projet, notamment en Allemagne, au Portugal, et aux États-Unis.

En France l’association « Entre les lignes », créée il y a déjà plus de 10 ans, compte 250 bénévoles, dont une majorité de journalistes issus de l’Agence France Presse ou du groupe Le Monde. Depuis septembre 2021 et jusqu’à juin 2022, ce seront près de 370 ateliers réalisés dans 157 établissements. Hiérarchie de l’information et pluralisme des médias, les images et leurs détournements, caricature et liberté d’expression, démêler le vrai du faux sur Internet et les faits, rien que les faits… : cinq thématiques structureront les ateliers réalisés.

L’école : la solution ?

Intervenant majoritairement dans les collèges et les lycées, l’association ambitionne d’élargir son spectre d’intervention. « Nous nous préparons pour intervenir dans les écoles primaires. Une forte demande existe. Au-delà, il s’agit d’intervenir aussi dans la formation des adultes. Nous pensons que les professeurs et le personnel travaillant avec les étudiants et élèves, aimeraient être formés. » explique Myriam Adam qui regrette par ailleurs que « l’éducation aux médias soit si compliqué. Elle figure dans les programmes mais sans heures dédiées. Il y a un manque de formation, parfois une crainte légitime daborder certains sujets dactualité. Cest pour cela que nous intervenons, que notre place est complémentaire, nos outils aussi. Si beaucoup de dispositifs et la volonté d’avancer sur ce sujet en France existent, il faut aller plus vite car il y a urgence. » Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel s’est notamment félicité d’avoir formé, entre janvier et novembre 2021, 530 professeurs du secondaire dans les académies de Versailles, de Créteil et d’Orléans. Ces trois académies comptent près de 89 000 professeurs. L’offre de formations des professeurs par le CSA reste donc insuffisante aujourd’hui avec un ratio de moins de 1% de professeurs formés dans le cadre de cette initiative qui devrait se renforcer dans un avenir proche.3

L’absence de formation des professeurs est une problématique déjà identifiée par Bruno Studer. Selon lui, « Il ne faut pas toujours tout ramener à la question des moyens, je mexcuse de le dire, mais ce qui manque à l’école, cest parfois plus du temps que des moyens. Réfléchir à lorganisation des matières est la bonne manière denvisager les choses. Je suis très favorable à la double certification et la bivalence, soit le fait de pouvoir enseigner plusieurs matières. Un professeur de sciences pourrait enseigner l’éducation aux médias, car il existe aussi une appétence pour ces sujets-là quil faut pouvoir encourager. »

Le constat sur le terrain est clair. Bruno Studer dévoile quelques pistes de réflexion pour améliorer la situation : « La question à trancher est la suivante : faut-il disciplinariser l’éducation aux médias et à linformation avec l’éducation civique ? Cela fait partie des pistes de réflexions que jespère être ouverte dans les mois à venir. Elle est clairement posée sur la table par des membres de la Commission Bronner. » et d’ajouter : « Avec l’école, on ne peut pas multiplier ce qu’on peut faire. Faut-il une immuabilité des matières ? Nous avons déjà montré que non. »

L’attentat qui a coûté la vie de Samuel Paty, a ébranlé la société et illustré la nécessité d’éduquer la population sur le droit à la caricature et la liberté d’expression dans les médias. Myriam Adam confie : « Nous navons jamais été autant demandés que depuis lattentat contre Samuel Paty. Des professeurs avaient besoin de soutien. Il y avait beaucoup de fake news après cet événement, beaucoup d’émotion à gérer, les professeurs devaient faire de l’éducation aux médias et nous, professionnels de linformation, pouvions apporter de la distance. »

Malgré tout, l’école ne pourra pas résoudre tous les problèmes. « Il ne faut pas oublier le rôle des parents et de la famille » rappelle Bruno Studer.

Les médias de plus en plus investis

De grands acteurs sont aujourd’hui de plus en plus investis en faveur de l’éducation aux médias. En matière de désinformation des chaînes d’information publiques et privées ont créé des programmes dédiés : “Fact Checking” pour RTL ou encore “L’oeil du 20h” sur France 2.

A destination du jeune public, des chaînes telles que Gulli sensibilisent aux dangers d’Internet notamment avec l’émission “Fais Gaffe”. TFI s’est associé au réseau social TikTok, particulièrement utilisé chez les jeunes, lors de l’opération “La semaine de l’info du Groupe TF1” du 25 au 31 janvier 2021. Cette initiative qui a réuni plus de 40 millions de vues et 2000 contributions pour éduquer le jeune public à ces questions de désinformation, est un nouveau moyen, pour les médias, d’informer et de sensibiliser à ces questions.4

Les initiatives d’éducation aux médias sont de plus en plus nombreuses, mais l’ampleur des problèmes liés à la désinformation et aux fake news se fait plus pressante et agressive. Donner les clés de compréhension aux jeunes générations, du monde dans lequel ils vivent, est une responsabilité qui nous oblige aujourd’hui, pour demain.

1 Cnesco, « Éducation aux médias et à l’actualité : comment les élèves s’informent-ils ? », février 2019, http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2019/02/190221_Zoom_Cnesco_Medias.pdf

2 Forum de Paris sur la Paix, « Informed Society Initiative », disponible ici : https://parispeaceforum.org/project/informed-society-initiative/

3 CSA, rapport sur l’exercice 2020-2021 « L’éducation aux médias et à l’information », novembre 2021

4 CSA, rapport sur l’exercice 2020-2021 « L’éducation aux médias et à l’information », novembre 2021