La lutte contre le terrorisme : un défi de taille pour le futur chef de l’Etat

Depuis 2017, 36 attentats ont été déjoués par les services de sécurité français. La menace persiste et les actions violentes sont motivées par différentes idéologies. « À côté des attentats islamistes, qui sont sans doute les plus proportionnellement importants qui peuvent arriver, on a de nouvelles menaces venues de lultradroite ou de lultragauche, notamment les survivalistes », explique le ministre de lIntérieur, Gérald Darmanin. Prise de pouvoir par les Talibans en Afghanistan, reconfiguration des groupes terroristes, sortie massive de prison des personnes condamnées pour terrorisme, diffusion de lidéologie salafo-jihadiste en France … autant de menaces entremêlées qui seront à endiguer par le prochain locataire de lElysée.

Par Hugo CHAMPION

Une maîtrise ferme des frontières ?

« Si l’on veut lutter contre le terrorisme de manière efficace, il faut d’abord cesser de nier le lien entre terrorisme et immigration. Il y a un lien entre le terrorisme et l’immigration, notamment l’immigration la plus récente », indiquait en avril dernier Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France. Sur la droite de l’échiquier politique, les candidats à la présidentielle présentent la limitation de l’immigration en France comme la priorité dans la lutte contre le terrorisme. La présidente de la région francilienne propose ainsi d’expulser les « islamistes étrangers inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste [FSPRT] ». Le candidat Eric Zemmour espère se rapprocher, à terme, d’un taux d’immigration proche de zéro. Le verrouillage des frontières permettrait, selon lui, de lutter plus efficacement contre le terrorisme. Nicolas Dupont-Aignan, quant à lui, aimerait mettre en place la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme. Si le contrôle et la surveillance des frontières sont considérés comme une priorité absolue par ces différents candidats pour endiguer la menace terroriste, il convient de s’interroger sur les menaces endogènes. Ces dernières peuvent être imbriquées à des facteurs exogènes, mais doivent néanmoins susciter des interrogations sur les problématiques nationales. Bien que ces propositions ont pour objectif de lutter contre la menace terroriste, il est à noter que sur les 184 individus impliqués dans 101 projets aboutis, échoués ou déjoués, 40 étaient de nationalité étrangère soit une proportion de 22%.

Face à la doctrine salafo-jihadiste 

La loi confortant les principes républicains adoptée en août dernier, également appelée « loi contre le séparatisme », a pour vocation de lutter contre la diffusion de l’idéologie dite islamiste. Elle devrait permettre de juguler la normalisation de pratiques dans des organisations, des associations, des mosquées et des écoles, jugées anti-républicaine. « L’islamisme n’est pas une organisation mais une idéologie et la loi ne suffit pas pour lutter contre une idéologie »1, explique Hakim El Karoui, président de l’association musulmane pour l’islam de France. Les candidats à la présidentielle proposent des mesures qui pourraient, selon eux, endiguer le phénomène de radicalisation des esprits. Valérie Pécresse en appelle à l’imposition du délit d’intelligence avec l’ennemi. Cette disposition conduirait à la suspension de tous « les prédicateurs qui dérapent sur les valeurs de la République et appellent à la haine de la France doivent être immédiatement suspendus ». Cette loi concernerait également « des personnes suspectées de sympathie avec des mouvements terroristes, par exemple pour consultation habituelle de sites jihadistes ». Parmi les propositions de lutte contre l’idéologie salafo-jihadiste, la candidate LR préconise la pénalisation du voile forcé. Éric Zemmour opte pour l’interdiction de tout signe religieux dans l’espace public. Il souhaite philosophiquement vider l’islam de sa dimension juridico-politique et n’en garder que le caractère spirituel. La France Insoumise axe son programme sur la lutte contre l’embrigadement et le soutien aux démarches de signalement par les proches et les programmes de prise en charge des personnes suspectées. Si Albert Camus soulignait que « mal nommer les choses, cest ajouter au malheur du monde », on peut observer que dans le choix des mots des candidats pour nommer la problématique « séparatiste », se dégage des paradigmes qui s’entrechoquent. La question de la lutte contre l’idéologie est épineuse et ne peut se contenter de solutions uniques et simplistes. De nombreux champs sont à investir par l’Etat et par des acteurs locaux. « La société civile doit s’emparer du sujet (…). [Elle] peut permettre de faire remonter les problèmes », explique Hugo Micheron, docteur en sciences politiques, chercheur à l’École normale supérieure. Il invite le législateur à réfléchir « à une doctrine plus large permettant de traiter les discours de rupture et leur apparition dans certaines institutions. L’école, à cet égard, constitue un espace très important ». L’espace numérique se veut également un champ de lutte contre l’idéologie salafo-jihadiste. « Sur Internet, nous ne pouvons pas censurer. Nous sommes une démocratie. Mais nous pouvons produire du contre-discours, contrecarrer tous ces prédicateurs, aller sur leur terrain idéologique, déconstruire leur ADN intellectuel avec un argumentaire. On ne peut gagner la bataille que sur le plan intellectuel, en déconstruisant, argument contre argument, des processus de pensée et de fausses réalités et en démystifiant les choses », souligne Youssef Chiheb, professeur associé à l’université Paris 13, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement.

Quelle justice pour les jihadistes ?

La question du suivi des personnes condamnées pour terrorisme est un réel enjeu sécuritaire et sociétal. La loi adoptée par l’Assemblée nationale le 30 juillet 2021 pérennise et adapte certaines mesures de lutte antiterroriste expérimentées depuis la loi dite SILT de 2017 (fermeture des lieux de culte, mesures de surveillance…). Elle crée également une mesure de sûreté pour les terroristes sortants de prison. Valérie Pécresse propose une mesure de rétention pour les sortants de prison qui représentent un risque considérable pour la société. « Sur les jihadistes qui sortent de prison, on fera voter une mesure de rétention de sûreté pour qu’après leur sortie de prison ils ne soient pas lâchés dans la nature », explique la candidate LR. Si cette mesure vise à assurer un suivi hors des murs de la détention, il existe déjà des suivis socio-judiciaires qui permettent d’œuvrer à la réinsertion des détenus condamnés pour des faits de terrorisme. Nicolas Dupont-Aignan souhaite l’ouverture « dun bagne aux îles Kerguelen » réservé aux condamnés pour faits de terrorisme. Bien que cette proposition vise à endiguer le phénomène de prosélytisme en détention, il convient de s’interroger sur sa pertinence à long terme car les personnes condamnées pour des faits de terrorisme pourront revenir en France métropolitaine à l’issue de leur peine. Le candidat de Debout la France prévoit également l’expulsion immédiate de tous les fichés S étrangers. Marine Le Pen préconise, dans une approche toujours territoriale des sujets, la mise en place d’une mesure pour redonner des compétences au maire. Ils doivent « être mis au courant de façon systématique par la justice (aujourdhui cest au maire de se renseigner auprès du procureur) des condamnations pénales des résidents de sa commune pour des faits de terrorisme ou datteinte aux personnes (viols, violences conjugales, violence en bande organisée, etc.) ».

Quelles alliances diplomatiques ?

Pour le candidat Jean-Luc Mélenchon, la voie à emprunter est clairement tracée : « Refuser la logique du choc des civilisations et de la [guerre intérieure] et sortir des guerres déstabilisatrices et des alliances hypocrites avec les pétro-monarchies du Golfe ». Il ajoute que l’armée française refusera toute intervention militaire si elle n’a pas obtenu un mandat de l’ONU. Éric Zemmour avait indiqué qu’il était opposé au principe d’ingérence. Les propositions du candidat ne sont cependant pas encore connues. Marine Le Pen souhaite « réviser les alliances hypocrites avec les pétro-monarchies du Golfe (Qatar, Arabie Saoudite…) et le régime turc actuel pour tarir les financements du terrorisme islamiste ». La redéfinition des alliances diplomatiques avec les états vecteurs de la doctrine salafo-jihadiste doit se poser. Néanmoins, il est nécessaire que le prochain locataire de l’Elysée ne fasse pas l’impasse sur les relais de cette doctrine qui existent et qui se développent sur le sol français, par des ressortissants nés en France.

Les axes de lutte contre le phénomène terroriste endogène et exogène sont pluriels. Cette problématique considérée par les Français comme prioritaire devra faire l’objet de propositions sérieuses et complexes afin de garantir un recul notable des attaques ou des projets d’attentats. La lutte sécuritaire devra se combiner à un combat politique et sociétal afin de redonner un sens commun à l’ensemble des citoyens.

1 https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/separatisme-islamique-la-loi-ne-suffit-pas-pour-lutter-contre-une-ideologie-dit-el-karoui-7800963740