Nucléaire : une France en transition

Le nucléaire sera l’un des sujets phares de la campagne présidentielle à venir. Si deux blocs clairs s’affrontent : la mouvance de la relance pro-nucléaire faisant face à celle de la décroissance anti-nucléaire, l’exécutif semble lui avoir été pris de vitesse par les acteurs de la filière qui appellent à l’action. L’arrêt du projet Astrid, le lancement de la construction de nouveaux réacteurs pressurisés européens de deuxième génération et l’échec de Flamanville pointent les difficultés du gouvernement d’Emmanuel Macron à appréhender la problématique. Et le plan France 2030, qui érige la technologie du Small Modular Reactor (SMR) en solution miracle, est loin de faire l’unanimité. La France est-elle en train de perdre son statut de leader dans la filière nucléaire ?

Par Corentin Dionet

Chacun de ses défenseurs le rappelle : le nucléaire assure l’indépendance et la sécurité énergétique de la France face au gaz russe et au pétrole du Moyen-Orient. La filière offre également un bassin d’emploi important et favorise la compétitivité du marché de l’électricité français. L’objectif est donc de tirer profit de ce parc nucléaire en y associant le développement des énergies renouvelables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Les bienfaits d’une énergie bas-carbone sont vantés. Et la France dispose de l’un des parcs nucléaires les plus imposants de la planète. Philippe Knoche, le directeur général d’Orano l’écrit : « Concrètement, plus de 70 % de l’électricité consommée en France est dorigine nucléaire. Si lon y ajoute celle dorigine renouvelable, plus de 90 % de l’électricité française est bas carbone. »1

La sortie du rapport « Futurs énergétiques 2050 », en octobre dernier, alerte : « Quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser »2. C’est alors que le gouvernement dévoile son plan d’action et Emmanuel Macron, président de la République française d’annoncer le lancement de la construction de 6 nouveaux réacteurs pressurisés européens de deuxième génération, dans une version simplifiée et pour un coût de 46 milliards d’euros3, sans dévoiler de calendrier précis.

Les points de friction

Pour les partisans de la décroissance, le nucléaire n’est pas une énergie d’avenir. Porté par des associations comme Greenpeace et par La France Insoumise (LFI), leur objectif est de passer au 100% renouvelable tout en favorisant la création d’emplois locaux et non-délocalisables. La réduction de la consommation serait nécessaire tout comme les investissements dans l’isolation et la rénovation des bâtiments afin de réduire les besoins en chauffage.

Selon ce mouvement, le secteur représente un investissement contreproductif, du fait des coûts des déchets, des mises aux normes, du démantèlement et des réparations pour les réacteurs vieillissants du parc nucléaire français. Dans une tribune au Journal du Dimanche, Jean-Luc Mélenchon affirmait : « Le grand carénage pour prolonger la vie des centrales doit encore coûter près de 100 milliards d’euros d’ici 2030 selon la Cour des comptes. (…) Sans parler des démantèlements [et de la gestion des déchets] (…) Il y en au bas mot pour 80 milliards d’euros. »4

Les deux camps ne s’entendent pas sur les prémices du débat. L’opposition au nucléaire dénonce les importations d’uranium, notamment en provenance du Niger et du Kazakhstan, lorsque le camp adverse évoque l’indépendance ou la sécurité énergétique. De plus, si l’électricité provenant du nucléaire est peu onéreuse, elle n’en reste pas moins plus chère qu’une majorité de l’électricité produite par l’énergie renouvelable.

Les SMR: un atout maître ?

Tout semble s’être accéléré sur les derniers mois. Emmanuel Macron a présenté France 2030, le plan d’investissement global faisant la part belle au nucléaire avec une allocation d’un milliard d’euros au total. Cela s’inscrit dans la logique du président de la République qui souhaite faire de la France un leader sur les technologies de rupture et être à la pointe de l’innovation. En témoigne la création du Plan Deeptech lancé en 2019 par BPI France, qui vise à financer à hauteur de 2,5 milliards d’euros l’émergence de start-up capables d’atteindre cet objectif. La structure a également nommé Exakis Nelite comme lauréat du projet « Data Lake for Nuclear ». L’entreprise va pouvoir développer l’infrastructure en capacité d’accueillir les données brutes des différents acteurs du nucléaire, puis les valoriser grâce à l’entraînement d’algorithmes.

Surtout, l’exécutif désire « faire émerger dici 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets »5 misant sur la fameuse technologie du SMR. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) en a fait l’une de ses priorités. Leur objectif ? Gagner en sûreté, habileté et agilité afin de pouvoir fournir un complément local aux autres sources d’énergies. Ces petits réacteurs modulaires, à l’instar du SMR Nuward qui incarne le projet français, pourraient avoir vocation à remplacer certains des réacteurs vieillissants du parc nucléaire tricolore.

Selon le sénateur Stéphane Piednoir qui a participé à l’élaboration du rapport « Energie nucléaire du futur », cette possibilité « ne fait pas du tout sens. J’ai été estomaqué quand jai entendu cela. Cela ne correspond pas du tout à ce dont nous avons besoin pour remplacer nos réacteurs. Cela ne répond pas au sujet français. Cest du grand nimporte quoi. Il faut bien comprendre que pour remplacer un réacteur de 900 mégawatt (MW), il faut cinq ou six SMR. Cela na pas de sens. » En effet, les réacteurs classiques opèrent à 900 voire 1 300MW quand les SMR sont autour de 150-200MW. Il faudrait donc multiplier les sites nucléaires, ce qui « n’est pas une bonne idée » indique Stéphane Piednoir.

En revanche, la Société française d’énergie nucléaire (SFEN) croit beaucoup dans l’attractivité de son futur produit à l’export notamment car il pourrait venir remplacer des centrales à charbon ayant une production équivalente en termes de puissance (environ 400MW). « Ces SMR sont plutôt orientés vers des petits réseaux électriques, je pense à l’Inde par exemple. Cest un concept qui a du sens » confie Stéphane Piednoir.

L’abandon du projet Astrid

D’aucuns pourraient s’inquiéter que l’abandon par le CEA du projet Astrid6 signifie l’abandon d’une vision gouvernementale et d’une stratégie française claire dans le domaine du nucléaire. C’est le cas de Stéphane Piednoir qui explique : « Le projet Astrid était une double innovation puisque lon tendait vers lutilisation de nouveaux réacteurs à neutrons rapides caloportés au sodium. Avec des réacteurs à neutrons rapides, on utiliserait 98% de la valeur énergétique de luranium contre 2% avec des réacteurs à neutrons lents ». Et le Sénateur de rappeler : « C’est ce que nous appelons de nos vœux dans notre rapport : l’élaboration dune nouvelle voie de recherche pour respecter la loi qui impose à la France daller vers le cycle fermé de luranium. Aujourdhui, nous ne respectons pas la loi puisque nos réacteurs ne sont pas capables de le faire, et nous navons plus de projet de recherche allant vers cet objectif. On est quasiment hors-la-loi dans notre propre pays. Cest problématique. »

La France « dispose de 300 000 tonnes duranium appauvri sur son sol ». Le projet Astrid aurait pu permettre d’utiliser cette ressource à bon escient, tout en s’inscrivant dans la continuité des projets Rhapsodie, Phénix et Superphénix, soit les premiers réacteurs à neutrons rapides ayant fonctionné sur le sol français dans les années 80 et 90. Autre point noir : l’arrêt du projet sans aucune consultation avec nos partenaires. « Cela écorne limage de la France » regrette le Sénateur.

Quant à la construction de nouveaux EPR de deuxième génération, il s’agit d’une « solution de transition. » selon les mots du Sénateur Piednoir et d’ajouter « Elle est la conséquence de l’arrêt dAstrid. Il est nécessaire daller vers des réacteurs de quatrième génération, pour ouvrir un cercle vertueux du nucléaire et produire moins de combustible usé. Il faudra des réacteurs à neutrons rapides. Il faut repartir sur un plan de recherche ambitieux. »

La numérisation de la filière, la conception des réacteurs de demain, le recyclage du combustible usé et l’optimisation de la gestion des déchets ont été érigés en priorité par le CEA. Le projet « réacteur numérique » ambitionne, par exemple, de créer des jumeaux virtuels de centrales nucléaires afin d’optimiser la maintenance et l’aide au pilotage tout en anticipant d’éventuels phénomènes ou problèmes grâce à la puissance de calcul.

Le nucléaire: thématique majeure de l’élection présidentielle

L’opposition au nucléaire est portée par l’avancée du réchauffement climatique, qui accrôît les risques de sécheresses et d’inondations pouvant altérer les capacités de production des centrales ou causer un accident. Jean-Luc Mélenchon veut s’appuyer sur le scénario Négawatt pour atteindre le 100% renouvelable d’ici 2050, et y coupler une augmentation du budget de la recherche dans le secteur des énergies renouvelables. Yannick Jadot et Anne Hidalgo souhaitent également sortir du nucléaire mais selon des agendas différents et des méthodes alternatives.

En revanche, à la droite de la sphère politique française, la position en faveur du nucléaire est unanime. Seules les propositions changent. Valérie Pécresse souhaite relancer le projet Astrid et construire 6 nouveaux EPR, ambitionnant qu’une France décarbonée voit le jour en 2050. Marine Le Pen propose de relancer Fessenheim et le projet Astrid ainsi que la construction de 6 nouveaux EPR. Eric Zemmour, quant à lui, a indiqué vouloir construire 10 nouveaux EPR, remettre en cause les fermetures de réacteurs prévues, relancer le projet Astrid et réaliser le centre de stockage géologique de Bure, tout en investissant dans la fusion nucléaire.

Au-delà des débats politiques intrinsèques à une élection présidentielle, l’avenir de la filière nucléaire mondiale se joue au moins en partie en France, à Saint-Paul-lez-Durance, dans les Bouches-du-Rhône. C’est là que 35 nations collaborent dans le cadre du projet Iter, visant à produire à l’échelle industrielle de l’énergie en provenance de la fusion nucléaire. Moins dangereux que la fission et plus pilotable, la fusion nucléaire pourrait-elle devenir l’avenir de la production énergétique française ? Seuls le gigantisme des infrastructures nécessaires à sa création et le temps semblent nous séparer de ce qui pourrait être une avancée technologique majeure produisant une énergie décarbonée, presque sans déchets et non-militarisable.

1 Philippe Knoche, « Le nucléaire est une chance pour la France et la planète, saisissons là ! », 8 novembre 2021

2 RTE, « Futurs énergétiques 2050 – Principaux résultats », Octobre 2021.

3 Cour des comptes, « La filière EPR », juillet 2020.

4 Jean-Luc Mélenchon, « Eviter le black-out nucléaire », Tribune dans Le Journal du Dimanche, le 27 octobre 2021.

5 Discours d’Emmanuel Macron à l’Elysée, le 12 octobre 2021.

6 Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration