Quels programmes sécurité et défense pour les candidats à l’élection présidentielle ?

A l’approche de l’élection présidentielle, la 23ème édition du « Baromètre Fiducial de la Sécurité des Français pour Le Figaro » révèle que la sécurité aura une importance majeure dans lechoix du candidat : 56 % des Français indiquent qu’ils pourraient changer de bulletin de vote s’ils étaient en désaccord avec un candidat sur le sujet. Les concitoyens attendent en premier lieu dessolutions pour faire baisser la délinquance et les attaques aux biens et aux personnes. Ils placent leur confiance en Marine Le Pen et Emmanuel Macron pour répondre à ces enjeux.
Décryptage par S&D MAGAZINE du programme de Marine Le Pen.

Avec Marine Le Pen, un retour à la « France-puissance » ?

Sur les 22 mesures qui composent le programme de campagne de Marine Le Pen, la vingtième porte sur l’augmentation du budget du Ministère des Armées à 55 milliards par an en moyenne d’ici 2027. La dirigeante du Rassemblement National (RN) souhaite « réarmer la France-puissance »,dépossédée selon elle des moyens de s’imposer dans de nouveaux théâtres d’opérations et à protéger convenablement ses territoires d’Outre-mer. Son projet est divisé en trois grands axes : une nouvelle politique industrielle de défense, une diplomatie en dehors du cadre de l’OTAN et une politique de réarmement national. De quoi la « France-puissance » de Marine Le Pen est-elle le nom ?

Par Geoffrey Comte

Un « réarmement » moral et capacitaire

Lors d’un discours au Centre des hautes études militaires en novembre 1959, le Général Charles de Gaulle affirmait « Il faut que la défense de la France soit française […] Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort ». Née dans un contexte de Guerre froide entre hyperpuissances étasuniennes et soviétiques, cette maxime conditionne toujours la pensée de l’extrême droite française sur les questions de défense nationale. En tant qu’affaire régalienne, l’indépendance ne doit pas être une prérogative supranationale au risque de voir s’effriter son hardpower. La Loi de Programmation Militaire 2019-2025 est considérée comme un « pansement » par Marine Le Pen, voire une série d’« amputations considérables subies par l’appareil de défense, militaire et industriel »1 dont les précédents mandataires de l’Elysée seraient responsables. Le programme du RN vise donc à « éviter un déclassement capacitaire » français en augmentant le budget de la défense à 55 milliards d’euros à l’horizon 2027. Le Pen souhaite d’abord effectuer une revue des besoins des forces d’armées françaises d’ici l’été prochain dans le but de présenter un projet aux chambres du Parlement en automne. Pour faire prospérer l’industrie de la défense, elle établira des « feuilles de route capacitaire qui entraineront la nation où chaque euro investi en génère deux dans l’économie nationale » et où les exportations d’armements occuperont une place centrale de la diplomatie française. Le budget des « études amont », soit la recherche, de la Délégation Générale de l’Armement (DGA) s’élèvera à 1,5 milliard d’euros par an afin de préparer la France à la course à l’espace, aux drones et à la cybersécurité2. Un programme structurant sera lancé afin de construire porte-avions nucléaires, chars de combat, systèmes de missiles ou encore des avions de patrouilles maritimes au fil des prochaines décennies. Le RN met notamment l’accent sur les forces maritimes ainsi qu’aéronavales nucléaires et prévoit la création d’un fond souverain de défense. La cheffe du RN a également vertement critiqué la « faillite morale » d’Emmanuel Macron envers ses armées. En réaction, elle prévoit la revalorisation de la condition des militaires, la célébration des traditions militaires tout en intégrant la parole des soldats dans la société française.

Une diplomatie « réellement souveraine » sur terre et mer

Marine Le Pen désire retirer la France du commandement intégré de l’OTAN, à l’instar de l’exemple gaullien en mars 1966, pour entamer de nouveaux accords stratégiques avec les Etats-Unis et la Russie en particulier. La candidate frontiste a nuancé ses positions du fait de la guerre en Ukraine, affirmant  qu’« Il n’[en] est pas question, surtout en ce moment, de sortir du camp occidental, mais il faudra le faire ». Elle aspire à se rapprocher du Royaume-Uni dans l’optique de prolonger les accords de Lancaster-House de 2010, en approfondissant les coopérations sur les domaines du nucléaire et des missiles. Concernant le secteur spatial, le Qatar, l’Egypte et l’Indonésie seront de potentiels partenaires. La leader nationaliste de 53 ans appelle à une diplomatie maritime plus offensive afin de lutter contre l’influence de la Turquie, la Chine, et les Etats-Unis dans les zones d’influences stratégiques telles que l’Indopacifique ou la mer Méditerranée. L’Outre-mer sera donc l’un des débouchés militaires les plus importants car « le format [ultramarin] actuel datant des années 1980 ne peut être reconduit tel quel : si les Antilles nécessitent un dispositif classique de protection, en revanche tant la Guyane que la Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont un besoin urgent d’un dispositif terrestre, aérien et naval considérablement renforcé pour faire face aux déstabilisations islamistes (Canal du Mozambique) et chinoises (dans le Pacifique et l’Océan indien) » indique le Livret thématique du RN sur la défense. Les Antilles accueilleront dès lors trois patrouilleurs supplémentaires pour endiguer les trafics et la pêche illégale. Les missiles et équipements des dispositifs interarmées seront modernisés dans le Canal du Mozambique. Une base aéronavale sera créée en Nouvelle Calédonie tandis que la lutte contre les migrations illégales et les orpailleurs sera renforcée en Guyane.

Une certaine idée de la « France-puissance »

Si la guerre est une prérogative nationale, son antithèse serait l’« Europe de la défense » que défend le Président en place. La construction communautaire incarnerait la cause première de l’affaiblissement de la souveraineté française. « Pour mémoire, nous fêtons cette année les cinquante ans de la dissuasion assurée par nos sous-marins sans discontinuer. La dissuasion fera l’objet d’une attention particulière parce qu’elle est attaquée en Allemagne, en Europe et dans le monde. […] La dissuasion est nationale et le restera. Plus qu’un système opérationnel permanent, il s’agit d’un projet de la nation toute entière. […] La dynamique de la construction européenne, fil d’ariane du Président, est antinomique de la dissuasion. L’une suppose l’intégration, l’autre la liberté » clame Marine Le Pen lors de son discours à Toulon en février 2022. Même si la dissuasion nucléaire n’a jamais été remise en cause en tant qu’élément existentiel de la défense française depuis Charles de Gaulle, la dirigeante du RN s’inquiète des effets d’une possible dissuasion partagée avec l’Allemagne après la signature du traité d’Aix la Chapelle en 2019. Ce dernier prévoit une coordination des politiques extérieures et un renforcement des relations euro-atlantique en échange du soutien français à l’admission allemande pour devenir membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Or, Marine Le Pen affirme que seul le Président devrait être à même d’utiliser la force de frappe nucléaire, sans avoir à consulter d’autres puissances alliées. « A rebours des idées de souveraineté européenne et d’autonomie stratégique, le général de Gaulle avait placé de manière cohérente la diplomatie, la dissuasion et les institutions dans le même alignement, celui de la souveraineté nationale » souligne plus loin la présidente du RN.

La logique du « réarmement moral et capacitaire » à l’extérieur vaut également pour l’intérieur. En termes de sécurité, la candidate dénonce l’augmentation des violences sans réponse adéquate de l’Etat. Cette dernière prône un retour de l’autorité étatique pour endiguer ce phénomène. Sa loi de programmation pour la sécurité et la justice va augmenter leur budget de 1,5 milliard par an tout en prévoyant la création de 7000 postes de policiers, 3000 fonctions de personnels administratifs ainsi que le doublement des places de magistrats pour atteindre le nombre de 20 000 postes. Actuellement à hauteur de 61 000 en 2021, les places de prisons seront portés à 85 000 places à l’horizon 20283. La leader nationaliste prévoit la suppression des réductions et autres aménagements de peines afin de les remplacer par de courtes peines de prisons systématiques, en s’appuyant sur la politique pénale néerlandaise des années 2000. Les familles des mineurs délinquants pourront voir leurs allocations familiales temporairement coupées par le juge. Son autre objectif prioritaire est d’ « éradiquer l’islamisme […] qui a pour ambition de remplacer nos mœurs et nos lois par d’autres » d’après le livret du RN sur la Justice. La dirigeante du RN souhaite censurer la diffusion des discours islamistes dans l’espace public et renforcer les moyens de la lutte contre le terrorisme islamiste, notamment le renseignement national.

En pleine guerre entre l’Ukraine et la Russie, les débats autour d’une possible « Europe de la défense » sont en effervescence. Marine Le Pen quant à elle ne considère pas l’Union européenne comme un relais de la puissance française, bien au contraire. Son parti propose de renouveler la politique industrielle de défense et de revoir les fondamentaux de nos alliances stratégiques, notamment avec l’OTAN. Sa « France-puissance » se veut l’héritière de l’orthodoxie gaulliste : l’indépendance est nationale ou n’est pas.

1 Réarmer la France-puissance | Projet de Marine Le Pen pour la Défense nationale | Toulon – YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=ZLXrvCk4otY&t=939s&ab_channel=MarineLePen.

2 Le Programme de Marine Le Pen | Présidentielles 2022 | M La France, https://mlafrance.fr/programme.

3 Par Le Parisien Le 7 mars 2022 à 04h05, Présidentielle 2022: le programme de Marine Le Pen, https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-le-programme-de-marine-le-pen-07-03-2022-4K2BPBU52NHGFEK3GT376WYIEQ.php , 7 mars 2022.