La SpacEarth Initiative, entre souveraineté et responsabilité

Le secteur spatial est sujet à une compétition acharnée entre les puissances. Les acteurs français, accompagnés par des partenaires européens, ont lancé la SpacEarth Initiative afin de promouvoir une utilisation de l’espace utile, responsable et ambitieuse.

Par Alexandre Guichard

« Nous [les industriels participant à la SpacEarth Initiative] sommes tous extrêmement sensibles au développement économique de nos activités et sommes convaincus qu’il existe de nouveaux services et applications à développer. Cela fait sens. Mais nous partageons la volonté ferme d’adopter une approche responsable face à ce développement. L’espace évoque l’infini, mais nos ressources sont limitées. »1 Ce sont les mots de Jean-Marie Betermier, Directeur Espace chez Safran Electronics & Défense. La SpacEarth Initiative rassemble les acteurs de la filière spatiale française, des start-up aux grands groupes, mais aussi certains acteurs continentaux, comptant au total 23 signataires. Plateforme de discussion, elle permet de gagner en efficacité et en coordination à l’échelle macroscopique d’un secteur qui représente 20 000 emplois en France.

Publiciser les bienfaits de lespace

L’initiative permet de « renforcer le dialogue autour dun projet industriel commun » selon Franck Poirrier, le Président directeur général (PDG) de Sodern, une filiale d’Ariane Groupe, membre de la SpacEarth Initiative et représentant des industriels auprès du Cospace. Et de poursuivre « Nous souhaitons expliquer au grand public à quoi sert lespace, car les Français ignorent en majorité l’impact positif de notre filière, notamment dans le champ climatique ».

Autrement dit, l’objectif est de publiciser l’impact positif qu’à la filière spatiale française sur la société et la manière dont elle influence favorablement la vie de tous les jours des citoyens. « L’enjeu est (…) de battre en brèche les critiques infondées qui sont trop souvent faites à l’égard du spatial en France (…) Il faut montrer lexcellence du savoir-faire français et européen, rappeler que le coût des activités spatiales par individu est mineur, et valoriser les applications quotidiennes que permettent les satellites » souligne Jean-Marc Nasr, vice-président exécutif chez Airbus Defence & Space.

Cette initiative n’est pas seulement un plan de communication. L’espace offre la possibilité de récolter des données d’utilité publique grâce aux satellites, pour lutter contre le réchauffement climatique mais aussi mieux anticiper et gérer les dangers qu’il entraîne. « Nous recensons les émissions de CO2 par pays, la montée du niveau des océans et jouons un rôle dans la gestion des catastrophes naturelles, comme la récente éruption volcanique sous-marine ayant causé le tsunami au Tonga, par exemple » indique Franck Poirrier.

Entre éthique et souveraineté

Pour être en capacité de promouvoir une utilisation éthique et responsable de l’espace, il faut pouvoir choisir le cap à suivre et cela doit se faire, à l’échelle européenne. « Le spatial franco-européen est un service de lessentiel. Nous avons une approche de service public. Nos ambitions visant à faciliter la connectivité des territoires, à l’échelle européenne, grâce à des technologies souveraines en témoignent » explique Franck Poirrier. A l’inverse, « Les Américains et les Chinois prônent, eux, une approche de dominance ».

La question des débris spatiaux éclaire les différences idéologiques entre la France et ses compétiteurs. Paris a mis en place des réglementations contraignantes visant à limiter leur production pour diminuer la pollution dans l’espace. A l’inverse, certains acteurs américains, au premier rang desquels Elon Musk et SpaceX, lancent une partie de leurs satellites bien qu’ils soient en panne, ajoutant des débris inutiles avec des conséquences fâcheuses « Récemment, la Station spatiale internationale a du faire une manœuvre d’évitement face à un débris qui était sur sa trajectoire » témoigne Franck Poirrier.

Ainsi, la SpacEarth Initiative s’est fendue d’une liste de 10 recommandations pour renforcer le spatial européen. Parmi elles : faire de l’Europe le leader mondial en matière de systèmes d’observation satellitaires du climat et des risques environnementaux et mieux maîtriser nos impacts environnementaux pour pouvoir assurer nos missions au service de l’intérêt collectif et contribuer à un modèle durable d’utilisation de l’espace2. L’ensemble de la filière porte une vision commune.« Nous souhaitons renforcer notre leadership mondial en matière de surveillance de lespace. Cela passe par une cartographie des objets, dont les débris, pour limiter les risques de collisions. Cest souverain » se réjouit le PDG de Sodern.

Mieux encore, l’Union européenne va lancer le fonds d’investissement Cassini. Doté d’un milliard d’euros, il vise à financer et venir en aide aux start-up travaillant sur les technologies spatiales, afin de multiplier les licornes européennes dans le secteur.

Mener un nouvel élan

Malgré son autonomie de décision et son « efficience », le spatial franco-européen ne bénéficie pas d’un marché domestique à la hauteur de l’industrie américaine. Cela ne l’empêche pas d’être compétitif. Saluant un dialogue essentiel « entre lEtat et les industriels » et un plan France Relance qui « s’est déroulé à merveille dans la filière spatiale », Franck Poirrier se félicite de la réussite à l’export du secteur : « Le spatial franco-européen gagne des marchés aux Etats-Unis. Nous sommes compétitifs ». Il apparaît donc possible de s’appuyer sur cette santé économique pour promouvoir une exploitation éthique et responsable de l’espace.

Et la SpacEarth Initiative n’est pas la seule structure poursuivant cet objectif. L’initiative de recherche Earth-Space Sustainability3, créée en Suisse, en 2020, s’attaque aux questions de durabilité, avec l’ambition d’atteindre les Objectifs de Développement Durable de l’Organisation des Nations unies (ONU) via des infrastructures issues d’initiatives privées. Autrement dit, grâce au New Space. L’Agence spatiale européenne a lancé, elle, une Climate Change Initiative4 dont l’objectif est de créer un log des variables climatiques essentielles, accessible gratuitement5, tout en soutenant des chercheurs étudiant leurs impacts, leur fournissant aussi un hub d’échange.

« Je ne suis pas étonné quil y ait beaucoup dinitiatives. Lindustrie spatiale franco-européenne est au service du climat. Le spatial était présent dans les discussions de la COP 21, le sujet nest donc pas nouveau » assure Franck Poirrier. Les projets souverains et éthiques se multiplient dans l’espace, comme l’illustre l’industriel : « Nous voulons développer la connectivité à haut débit en Europe, via une constellation satellitaire souveraine. La Commission européenne et Thierry Breton travaillent en ce sens. Pour ce qui est des constellations souveraines, on persiste et signe. Il y a déGalileo pour la navigation et Copernicus pour le climat. »

Ainsi, si la capacité des satellites à monitorer l’évolution de la situation climatique apparaît aujourd’hui essentielle, ce champ ne semble pas être la priorité de tous les acteurs. L’espace est un de ces domaines dans lesquels la compétition fait rage et où il est nécessaire pour la France et ses partenaires européens de parvenir à imposer leurs valeurs de responsabilité, d’éthique et de transparence. Le maintien de la souveraineté de Paris et Bruxelles dans le secteur est primordial afin de ne pas devenir « la variable dajustement des autres grandes puissances du spatial »6.

1 Safran, (2021), « SpacEarth Initiative: Safran commits to a sustainable European space effort ».

2 https://www.spacearth-initiative.fr/nos-propositions/

3 https://www.earth-space.today/

4 Agence spatiale européenne, (2021), « ESA’s Climate Change Initiative ».

5 A cette adresse : https://climate.esa.int/fr/odp/#/dashboard

6 https://www.spacearth-initiative.fr/nos-propositions/