Libye, une nécessaire élection en suspens

Tripoli, Libya - December 24, 2020: A soldier holds a Libyan flag in Martyrs Square at the celebration the 69th Anniversary of Libyan Independence.

Initialement prévue le 24 décembre 2021, l’élection présidentielle libyenne ne s’est finalement pas tenue. Face aux dissensions internes et aux ingérences extérieures, le soutien de la communauté internationale en faveur de la tenue de l’élection apparaît nécessaire pour empêcher la Libye de s’enliser dans un conflit sans fin.

Par Alexandre Guichard

La haute responsable des Nations Unies dans le pays, Stéphanie Williams, s’est prononcée, récemment et à plusieurs reprises, pour la tenue de l’élection présidentielle avant le mois de juin 2022. Sur le terrain, les camps d’Aguilah Saleh, le président de la Chambre des représentants et du Premier Ministre Abdulhamid Dabaiba continuent de s’opposer au sujet des lois électorales. Aude Thomas, chercheuse au sein de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) spécialiste de la Méditerranée et du Moyen-Orient, décrypte : « Le camp de lEst plaide pour la constitution dun nouveau gouvernement dici lorganisation des élections ». A l’inverse, le Premier Ministre « milite pour lorganisation dun référendum constitutionnel en amont des élections ». Ayant tout à perdre à remettre en cause leur mandat, les élites libyennes semblent vouloir poursuivre leur rivalité ayant entraîné le premier report du scrutin.

Luttes dinfluences

Le maréchal Haftar est la troisième figure phare de l’échiquier politique libyen actuel. Celui qui a échoué à envahir Tripoli par la force a pour ennemi Abdulhamid Dabaiba et est soutenu par le Parlement. Ce n’est pas tout, « plusieurs puissances parmi lesquelles l’Égypte, la Russie et les Émirats arabes unis (EAU) » appuient le maréchal selon la chercheuse de la FRS. Si de nombreux acteurs régionaux tentent d’influencer les événements en Libye, c’est parce qu’elle représente un intérêt stratégique, regorgeant de ressources énergétiques et étant une porte d’entrée, à la fois pour le Maghreb, l’Afrique et la Méditerranée. « Nous assistons à une guerre dinfluence où chacun des acteurs tente davancer ses pions et ses hommes aux postes clés, dans l’éventualité d’une restructuration du gouvernement libyen » analyse Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS étudiant principalement le Maghreb.

Les acteurs régionaux ne sont pas exclusivement guidés par la convoitise des hydrocarbures libyennes. L’Egypte partage une longue frontière avec le pays et ne peut pas se permettre de voir perdurerl’instabilité en Libye « avec la présence de groupes armés et djihadistes » souligne Aude Thomas. La volonté du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est d’assurer la stabilité du pays en misant sur le maréchal Haftar et la constitution d’un régime autoritaire, rempart contre les Frères Musulmans. Une initiative soutenue par les EAU.

L’ingérence turque, elle, est « liée originellement à la rivalité politico-idéologique » avec Abu Dhabi et au « projet politique diamétralement opposé » planifié pour Tripoli, selon la chercheuse. Et d’ajouter : « Concernant Ankara, la Libye est devenue un intérêt géostratégique majeur dans la réaffirmation de sa puissance en Méditerranée orientale. Les enjeux sont ainsi la sécurisation de ses bases militaires en Tripolitaine et le maintien de laccord maritime noué avec le précédent gouvernement qui a permis de redéfinir les démarcations maritimes en sa faveur. Enfin, la Libye représente une portée d’entrée sur le continent Africain et notamment au Sahel, tant pour la Turquie que pour la Russie. » Toujours est-il qu’à l’échelle régionale, le processus de paix libyen est un enjeu majeur. Un échec de l’élection pourrait replonger la Libye dans les affrontements armés entre Est et Ouest, et le conflit pourrait déborder dans les pays voisins.

L’élection, clé de voute du processus de paix

La Libye est bloquée dans un cercle vicieux de violences et d’inertie politique depuis 2014, coupée en deux par des factions opposées. Le pays bénéficie de six mois pour préparer une élection qui semble être l’opportunité de dépasser les divisions. Pour y parvenir, il s’agira avant tout « de clarifier les critères d’éligibilité des candidats, de définir une base juridique et constitutionnelle incontestable et d’établir un calendrier pour les élections présidentielle et parlementaire. Pour ce faire, les Nations unies, lUnion européenne ainsi que les États-Unis et les acteurs régionaux devront s’accorder sur une feuille de route commune et faire preuve de fermeté quitte à sanctionner tout acteur entravant le processus politique » selon Aude Thomas.

L’absence de consensus pourrait entériner la partition du pays, effective de facto depuis juin 2020 et la fin des combats. Il apparaît clair que la Chambre des représentants et Aguilah Saleh souhaitent « déloger le gouvernement actuel » pour la chercheuse. Et de poursuivre « Parmi les scénarios envisagés, le parlement de Tobrouk pourrait nommer un gouvernement intérimaire parallèle. Cela a déjà été fait dans le passé avec la nomination du gouvernement Al-Thani. Le président du parlement, Aguila Saleh, semble prendre cette voie, comme le confirme la nomination unilatérale de Fathi Bashagha également au poste de Premier ministre. Cela risque malheureusement de prolonger la crise politique et rend possible l’éclatement de combats dans la capitale ».

Seulement, si l’instabilité perdure, c’est toute la région qui pourrait en souffrir. Brahim Oumansour averti sur la possibilité de voir émerger des groupes djihadistes dans ce cas de figure : « On pourrait imaginer la montée en puissance de groupes affiliés à l’Etat islamique (EI) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), voire de nouvelles formations sans allégeance. Le retour de combattants de l’EI dispersés dans plusieurs pays, qui pourraient être tentés de recréer un foyer du terrorisme mondial en Libye, est également un enjeu auquel il faut prêter attention. Cependant, il apparaît clair que, si cela devait se produire, lOTAN et les pays voisins interviendraient et ne laisseraient pas lEI et AQMI prendre racine en Libye. »

L’enjeu sécuritaire, « un défi majeur »

Dans l’éventualité où une élection devait se tenir avant juin 2022, la tâche du nouveau gouvernement élu serait ardue. Pour le chercheur, « Le futur dirigeant devra accepter des concessions pour asseoir sa légitimité et reconstruire les institutions de l’Etat autour d’un consensus politique. La question sécuritaire, incarnée par le retrait des mercenaires étrangers et le désarmement des groupes armés libyens, va représenter un défi majeur. Sa résolution dépendra de l’acceptabilité et de la légitimité du nouveau gouvernement. »

C’est pourquoi il est primordial pour la sécurité régionale que le processus électoral soit un succès, selon lui : « Attendre trop longtemps serait néfaste. L’élection est une étape primordiale et une partie intégrante de la consolidation du processus de paix et de reconstruction de la Libye, à condition de l’organiser dans la transparence ». L’Organisation des Nations unies semble également déterminée à œuvrer pour la conduite de cette élection avant juin 2022. Cependant, rien ne dit que cela sera suffisant. Aude Thomas l’affirme : « À ce stade, je ne pense pas que la date de report des élections annoncée en juin 2022 soit tenable. La représentante des Nations unies pour la Libye, Stéphanie Williams, a dores et déappelé les acteurs libyens à ne pas allonger le processus politique et à définir rapidement le calendrier électoral. Toutefois, sans mesure coercitive, il y a peu de chance que son appel soit entendu… »