Vers une réinvention de la politique extérieure  du Qatar ?

DOHA, QATAR - 20 Mar 2018: Emir of the State of Qatar Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani during the official visit of the president of Ukraine Petero Poroshenko to the State of Qatar

Laffirmation de l’économie chinoise offre de nouvelles perspectives de croissance à la petite monarchie du Golfe persique. Mis à lindex par ses voisins, l’émirat réaffirme son rôle de puissance diplomatique dans la région et dans le monde. Lannée 2022 est une échéance essentielle pour la politique extérieure qatarie alors que les voix se multiplient pour appeler au boycott de la Coupe du monde de Football prévue en novembre.

Par Geoffrey Comte

Bouclier américain, prospérité chinoise

Depuis 2013, le Qatar est l’un des premiers pays du Golfe à s’engager dans la construction des nouvelles routes de la soie chinoises. Le ministre des transports et des communications Jassim bin Saif Al Sulaiti déclarait en mars 2019 que le pays du Golfe «  a signé plusieurs accords et protocoles d’accord qui encouragent cette initiative. Cela a un impact positif sur l’économie du Qatar et soutient son projet de devenir un centre stratégique et économique clé dans la région et dans le monde »1. Les échanges commerciaux ont explosé entre les deux pays. Limités à 50 millions en 1988, ces derniers atteignent les 10 milliards en 2020.2 «  Entre le début des années 2000 et larrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, on constate un essor rapide et inédit entres les pays du Golfe et la Chine. Cest un moment où lon passe de relations dinterdépendance énergétique à une diversification des échanges économiques, en particulier dans les infrastructures et les collectivités » affirme Jean-Loup Samaan, Chercheur à l’IFRI au programme Turquie et Moyen-Orient. La monarchie de 2,7 millions d’habitants cherche à profiter de la croissance chinoise pour moderniser les secteurs stratégiques de son économie, notamment en termes de transports maritimes et de télécommunications. En 2011, Pékin rejoint le projet de modernisation du port de Doha après la signature d’un contrat d’environ 879 millions de dollars avec la China Harbor Engineering Company3. Mais c’est le secteur énergétique qui forme le centre de gravité des échanges entre Doha et Pékin, dont le besoin en gaz naturel continue de croitre. En tant que premier fournisseur de gaz liquéfié au monde, le petit émirat représente plus de 35% des importations chinoises. Les autres pays de la région du Golfe ont également fait le choix de Huawei pour développer leur réseaux 5G malgré les réticentes de la puissance nord-américain.4 La Coupe du monde de 2022 sera la première à proposer des services de streaming en 8K ou en réalité virtuelle, une démonstration décisive du savoir-faire technologique chinois. Cette intensification des échanges commerciaux reste cependant réduite puisque «  la nature de l’économie qatarie est une industrie rentière, et non une économie diversifiée, ce qui limite les opportunités dinvestissements  » précise Samaan. Pourtant, le rapprochement entre Doha et Pékin ne marque d’aucune façon la sortie de la monarchie en dehors du parapluie de sécurité étasunien. «  Le Qatar accueille le Commandement Central des Etats-Unis pour la région alors que les forces américaines représentent 50% des effectifs militaires qataris. Lallié nord-américain est celui qui garantit de facto la stabilité du régime  » souligne le chercheurs français. La bipolarisation du Golfe persique demeure alors un lointain présage même si chaque pays tente de tirer son épingle du jeu de la rivalité sino-américaine.

Dividendes diplomatiques

«  Le Qatar et les Émirats Arabes Unis (EAU) sont des acteurs clés de l’équation géopolitique de l’arc méditerranéen du Golfe. Malgré la normalisation des relations entre les monarchies sunnites du Golfe, des rivalités entre les deux pays subsistent encore » affirme le général Patrick Lefebvre, membre de la Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques (FMES).5 De la Méditerranée jusqu’au Moyen-Orient, la monarchie a soutenu les Frères Musulmans à l’instar du parti Ehannada en Tunisie et de l’égyptien Mohamed Morsi. En 2017, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les EAU et l’Egypte ont alors imposé un embargo à leur voisin, accusé de financer le terrorisme et d’ingérence dans leurs affaires intérieures. «  La motivation qatarie de soutien envers les frères musulmans nest pas dordre idéologique mais plutôt dordre stratégique. Depuis 2011, le Qatar les appuie car ils incarnent la première puissance politique dans les pays où se déroulèrent les révolutions comme la Libye, la Tunisie ou lEgypte. Plutôt que de les marginaliser, le régime sen est rapproché pour mieux les influencer et sen prémunir » appuie le spécialiste de l’IFRI. Acculé, le Qatar cherche une autonomie stratégique nouvelle en cas de retrait des Etats-Unis du Golfe. «  La posture de pays médiateur constitue lADN de la politique étrangère du Qatar qui considère comme vital dentretenir des relations cordiales et coopératives avec les grandes puissances [afin] dassurer la stabilité du régime. Pourtant, après la crise du blocus de 2017, la pratique montre que la priorité du Qatar a été de sassurer que les Etats-Unis maintiennent leur présence militaire sur place, voire laugmentent » souligne Jean-Loup Samaan. Les crises afghanes et ukrainiennes apparaissent alors comme des aubaines pour s’attirer les faveurs des puissances occidentales. Doha a organisé le dialogue entre talibans et Etats-Unis puis sécurisé le rapatriement des personnes quittant l’Afghanistan. Le président Joe Biden qualifiait alors le pays de « principal allié non-membre de l’OTAN »6. En cas d’escalade avec l’Ukraine, le Qatar a récemment promis de venir en aide aux Etats européens, notamment l’Allemagne, si le leader russe Vladimir Poutine décidait d’employer le levier énergétique.

Horizon 2030

Un an après la résolution du blocus, le Qatar affirme une stratégie de diversification de investissements pour assurer souveraineté et résilience nationale. La monarchie a retrouvé une croissance de 2,6% pour le troisième trimestre de 2021, après une récession due à la pandémie de 3,7% en 2020.7 Son influence discrète fut normalisée par une série d’achats sur le continent eurasiatique telles que l’éco-cité de Tianjin en Chine ou de parts dans l’industrie automobile allemande. « Entre les années 2000 et 2010, les investissements qataris et émiriens étaient dirigés vers limmobilier de luxe pour sassurer une rentabilité maximale. En 2011, lachat du PSG visait à favoriser sa visibilité socio-culturelle plutôt que son aspect lucratif  » affirme Jean-Loup Samaan. Aujourd’hui, la Qatar Investment Authority (QIA) diversifie son portefeuille en injectant 99,7 millions d’euros dans un projet de petit réacteur modulaire nucléaire mis en place par Rolls-Royce et le Royaume-Uni. Ces derniers devraient contribuer à décarboner l’économie britannique et alimenter un million de foyers d’ici 2030.8 Au travers de Es’Hail Sat, la monarchie veut doubler le nombre de satellites lancés dans l’espace pour l’année 2022. La Coupe du monde de Football lui servira de vitrine technologique pour ses services de cybersécurité et de protection civile. Drones de surveillance autonomes et robots pompiers seront exhibés durant la compétition, dont l’écho permet aussi d’assurer la publicité des grands projets de transport du Qatar. Le pays joue donc la carte de la modernité en conjuguant Smart City et mobilité durable, dans le but d’attirer des capitaux pour financer le métro de Doha, le tramway de Lusail et de nouvelles navettes électriques, ralentis à cause des effets du blocus.

Alors que le monde du football attend sa prochaine échéance, le pays hôte a reçu de nombreux coup de sifflet à cause des conditions de travail inhumaines pour préparer la Coupe du monde de 2022. Pourtant, la monarchie n’a souffert d’aucune sanction diplomatique ce qui atteste d’une politique extérieure fructueuse, entres alliances stratégiques de longue haleine et nouveaux partenaires économiques.

1 The Peninsula Newspaper, Qatar among first to support Belt & Road Initiative, 27 avril 2019.

2 Le Qatar face à la rivalité sino-américaine : les dilemmes d’une monarchie du Golfe, https://www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/qatar-face-rivalite-sino-americaine-dilemmes-dune-monarchie-golfe.

3 Ibid

4 The Gulf has a 5G conundrum and Open RAN is the key to its tech sovereignty

5 Milipol Network, International Homeland Security Issues, s.l., White Paper n°1, 2021.

6 Biden Designates Qatar as a Major Non-NATO Ally – The New York Times

7 Direction générale du  Trésor, Le virage vert du Golfe – Brèves économiques de la Péninsule arabique – Semaine du 7 au 13 janvier 2022

8 Petit réacteur modulaire nucléaire (SMR) : le Qatar met près de 100 millions deuros dans le projet britannique, https://www.latribune.fr/entreprises-finance/transitions-ecologiques/petit-reacteur-modulaire-nucleaire-smr-le-qatar-met-pres-de-100-millions-d-euros-dans-le-projet-britannique-898860.html.