Inès Mesmar : une femme au service de l’intégration par la création

Inès Mesmar, à 35 ans, découvre par hasard les broderies de sa mère. Un talent extraordinaire dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Celle qui n’avait de sa mère que le portrait « d’une femme au foyer dévouée à sa famille depuis son arrivée en France 40 ans plus tôt » prend conscience d’une réalité : les immigrés, les réfugiés disposent de savoir-faire, nombreux, divers et parfois, ancestraux, enfouis, oubliés dans l’urgence de refaire leur vie dans leur nouveau pays d’accueil. Une prise de conscience qui donnera vie quelques années plus tard, à Paris, à La Fabrique NOMADE.

Rencontre avec Inès Mesmar, ethnologue et fondatrice de cette association engagée dans la mise en valeur du savoir-faire artisanal des réfugiés ou comment porter un nouveau regard sur les réfugiés et repenser notre modèle d’intégration.

Par Camille Léveillé

Une formation inédite en France

« En 2015, au plus fort de la crise migratoire, je découvre que ma mère avait un métier dans son pays. C’est en passant à côté des camps de réfugiés à Paris, que j’ai alors une intuition. Soudainement, je regarde ces personnes avec un œil différent… celui que j’ai posé quelque temps auparavant sur ma mère. Parmi eux, certains disposent très certainement d’un savoir-faire particulier. » Une intuition qui va conduire Inès Mesmar à rencontrer ces réfugiés, puis d’autres, dans des centres d’hébergement notamment, « pour comprendre quelle est leur situation. » Les métiers qui leurs sont proposés ne correspondent pas à leur expérience. « Je me souviens avoir rencontré un psychologue syrien qui, en France, travaillait dans une cantine scolaire. C’est un véritable déclassement qui s’opère. Mais face à l’urgence de la situation, ils n’ont d’autres choix que d’accepter ces emplois qui les aident à avoir un toit et à se nourrir. » explique la fondatrice de La Fabrique NOMADE. Et d’ajouter : « Ils sont alors dépossédés de leurs vies quand ils n’ont plus de choix.» Inès Mesmar veut trouver un moyen de les aider à reprendre leur destin en main au travers de véritables projets « qui s’inscrivent sur le long terme alliant validation des compétences et maîtrise du français afin de les parer au mieux au monde professionnel ». C’est ainsi qu’est née La Fabrique Nomade en 2016.

La formation des artisans retenus dure 9 mois au cours desquels ils collaborent notamment avec un designer, pour co-créer ensemble un objet d’art et de design, vitrine de leurs savoir-faire. « La formation les aide à comprendre la réalité du marché de la création et à adapter leur savoir-faire au marché français. En effet, les artisans doivent nécessairement se réadapter car il n’est pas toujours possible de trouver les outils ou les matières qu’ils avaient l’habitude de travailler et de façonner dans leur pays d’origine. » souligne Inès Mesmar. Une découverte enrichissante autant que troublante « cette réadaptation peut en effet s’avérer compliquée pour certains d’entre eux. Elle nécessite de sortir de sa zone de confort, de se réinventer, se remettre en question, alors même que leur quotidien est déjàprécaire, et difficile.C’est un processus douloureux mais salvateur ». La motivation fait le reste. « Au coeur de La Fabrique NOMADE, ils se nourrissent de leur métier. Leur énergie et leur motivation leur permettent de dépasser les obstacles. Leur métier est leur identité profonde. » explique Inès Mesmar.

Une reconnaissance essentielle

Si l’objectif premier de La Fabrique NOMADE est une insertion professionnelle, elle s’attache aussi à accompagner une intégration réussie : « L’idée est qu’ils quittent l’association avec un projet de vie. Très souvent la question de l’intégration est limitée à la notion d’emploi. Bien entendu, c’estimportant. Mais, il faut prendre conscience qu’une personne se sent intégrée lorsqu’elle développe un sentiment d’appartenance au pays. Or, la reconnaissance est essentielle pour cela. C’est ce que nous faisons au sein de La Fabrique NOMADE. Nous valorisons leurs savoir-faire ainsi que les 20 nouvelles compétences acquises par l’obtention d’une certification après passage devant un jury à la fin des 9 mois de formation. Une reconnaissance qui a beaucoup de valeur à leurs yeux ».

A travers la mise en lumière de parcours d’artisans singuliers, Inès Mesmar compte bien donner confiance aux nouvelles promotions. « Ablaye, réfugié Sénégalais, avait un savoir-faire, la broderie Cornely, une technique utilisée en Afrique pour décorer les vêtements traditionnels maisqui s’est perdue en France. Ablaye fait partie des 3 premiers artisans formés par La Fabrique NOMADE. Lorsque nous l’avons connu, il travaillait de manière informelle à la Goutte-d’Or. A la fin de sa formation, il a intégré l’atelier Caraco qui réalise des vêtements sur-mesure notamment pour la haute-couture et les costumes de scènes. Il est désormais chez Kenzo et a obtenu la nationalité française l’année dernière. ».Aujourd’hui, Ablaye vient partager son expérience avec les nouvelles promotions de La Fabrique NOMADE. « C’est un témoignage riche de sens, porteur d’espoir et générateur de confiance. » Katayon Atayi, couturière de près de 60 ans a elle été embauchée chez Dior à la fin de sa formation. Des parcours inspirants pour la cinquantaine d’artisans venus de toute la planète : Côte d’Ivoire, Pérou, Azerbaïdjan, Afghanistan, Erythrée, Russie, Syrie, Soudan, etc.

Changer le regard sur l’immigration

La Fabrique NOMADE espère, par sa contribution, montrer la richesse qu’apporte la migration et faire bouger les lignes sur les politiques d’intégration. Lorsque l’on demande à Inès Mesmar ce qu’elle aimerait dire aux candidats à l’élection présidentielle, dont l’un sera le futur locataire de l’Elysée et devra porter la politique d’immigration de la France, elle décrit « ils pourraientvoir l’immigration comme une vraie richesse. L’Histoire de France s’est construite aussi par les vagues d’immigration successives, ce qui fait sa belle diversité aujourd’hui et nier l’existence de cette Histoire, c’est refuser une partie de la population qui la constitue. Si on élargissait La Fabrique NOMADE à tous les corps de métier, nous découvririons l’immense potentiel de toutes ces personnes. Aujourd’hui, nous ne nous rendons pas compte des dégâts occasionnés par le système d’intégration actuel. Des conséquences lourdes pèsent sur leurs vies et sur celles de leurs enfants. C’est un véritable enjeu de société que nous devrions porter au travers du « vivre-ensemble » qui ne doit pas être uniquement des mots. Plus loin encore, cela doit passer par le « faire-ensemble ». »

Des projets pour l’avenir

Pour Inès Mesmar, les projets ne manquent pas. L’avenir, elle le voit se construire en Europe, et rêve même d’international : « J’aimerai que l’on puisse mettre en lumière, à travers notre nouvel atelier de confection textile, l’impact social et économique de notre projet qui se veut également viable économiquement et faire rayonner cette réussite humaine hors de nos frontières. Développer un réseau de préservation des savoir-faire en Europe et à l’international serait un grand bonheur. » Un projet qu’elle a, avec ses équipes, déjà initié « Pour aller plus loin, nous devons à présent miser sur notre transformation digitale. Le numérique doit être un outil au service de notre communauté pour échanger, cartographier les acteurs et leurs besoins, et ainsi démultiplier notre impact. Notre savoir-faire est déjà reconnu, si nous ajoutons à cela un impact sociétal dans le monde, ce serait la cerise sur le gâteau » conclut-elle.