Oman : un acteur diplomatique discret mais incontournable

omani man in traditional outfit ilooking at the landscape of remote countryside

Le 31 janvier dernier, le ministre des Affaires étrangères omanais s’est rendu à Damas pour rencontrer son homologue syrien. Ce dernier s’est félicité que « les relations entre les deux pays frères se poursuivent toujours et naient pas été interrompues »1. Oman a en effet été l’un des rares pays à maintenir ses relations diplomatiques avec la Syrie après la révolution de 2011. Alors que les tensions sont croissantes au Moyen-Orient, retour sur la diplomatie originale et avant-gardiste portée par le sultanat d’Oman.

Par Camille Léveillé

Une diplomatie basée sur la neutralité

Oman, monarchie absolue située au sud-est du Golfe persique, est l’un des Etats les plus discrets de la zone. Il se trouve pourtant au sein même d’une véritable poudrière, partageant ses frontières avec l’Arabie saoudite et le Yémen, deux pays en guerre. Une position qui n’empêche pas le sultanat de mener une diplomatie active sur plusieurs fronts simultanément, s’attachant à entretenir de bonnes relations avec ses voisins. « Leur diplomatie est très originale dans la région. La doctrine omanaise est simple : navoir zéro ennemi et de bonnes relations avec tout le monde » résume Jean-Paul Ghoneim, chercheur associé à l’IRIS et ancien premier conseiller à l’Ambassade de France en Oman.

Après la mort du sultan Qabous en 2020, la question d’un potentiel changement de cap concernant la politique étrangère s’est posée. Haitham ben Tarek, successeur du sultan, s’est engagé à poursuivre une « politique étrangère basée sur la coexistence pacifique entre les nations […] et sur la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres, dans le respect de la souveraineté des nations et de la coopération internationale »2.

Un rôle de facilitateur

Le sultanat se révèle être un intermédiaire privilégié pour les Occidentaux. Mascate a joué un rôle de facilitateur, souvent déterminant, pour la libération de plusieurs otages américains et français détenus au Yémen ou en Iran entre 2011 et 2018.

Mais, si Mascate représente une voie de dialogue permanente ouverte « le sultanat d’Oman nest pas un médiateur, cest un facilitateur. Il opère des rapprochements, il permet à des personnes de se rencontrer sur son territoire mais ce nest pas un médiateur au sens diplomatique du terme. » assure Jean-Paul Ghoneim. En 2013, le Sultanat avait secrètement accueilli les Américains et les Iraniens afin d’avancer sur le dossier du nucléaire et apaiser les tensions entre les deux Etats. « Ils ont certes permis cette rencontre sur leur territoire pour faciliter la signature du JCPOA mais ils nont pas activement participé au processus. » rappelle Jean-Paul Ghoneim.

« Depuis l’arrivée au pouvoir Haitham ben Tarek, les relations entre lArabie Saoudite et le sultanat dOman sont excellentes. » constate Jean-Paul Ghoneim. Les deux alliés ont inauguré ensemble une route de 564 kilomètres reliant le royaume saoudien au sultanat omanais. Le ministre des Transports et des Services Logistique saoudien, Saleh Al-Jasser note « la volonté du Royaume d’Arabie Saoudite de faire tout ce qui peut renforcer la coopération avec les pays frères arabes, notant que cette nouvelle route ouvre de larges perspectives pour améliorer les échanges commerciaux entre le Royaume d’Arabie saoudite et Oman »3. Les deux Etats ont besoin l’un de l’autre, et ne peuvent se permettre d’entretenir des relations diplomatiques et commerciales tendues. Riyad est, en effet, l’un des deux principaux partenaires commerciaux de Mascate.

Trouver une issue diplomatique au Yémen

Oman joue également un rôle déterminant dans le conflit opposant l’Arabie Saouditeaux rebelles Houthis au Yémen. Mascate ne s’est officiellement engagé pour aucune des parties au conflit. Le sultanat est le seul pays membre du Conseil de la Coopération du Golfe qui ne fait pas partie de la coalition saoudienne débutée en 2015. « Mascate ne rejoindra pas cette alliance. Ils ont une position très ferme à ce sujet et sont farouchement attachés à leur indépendance » observe Jean-Paul Ghoneim et d’ajouter « Ce pays qui compte seulement 4 millions dhabitants doit sa renommée et son prestige à ce rôle de facilitateur auquel il est très attaché. »

Au-delà de la Syrie de Bachar Al-Assad, Oman a également maintenu, envers et contre tous, ses relations avec le Qatar dans la crise qui opposa l’émirat, dès juin 2017, à ses voisins d’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et Bahreïn. Le sultanat a ainsi conservé ses relations diplomatiques, économiques et commerciales avec Doha, provoquant seulement l’agacement des Etats du Golfe formant un semi-blocus, ni plus, ni moins.

Des relations stratégiques avec lOccident

Les relations entretenues par le sultanat d’Oman avec les Occidentaux sont elles aussi remarquables. Les Etats-Unis et Oman ont conclu de nombreux accords commerciaux et le Royaume-Uni entretient une « relation quasi-parentale » avec Mascate, selon Jean-Paul Ghoneim. En effet, la diplomatie du “0 ennemi” permet notamment aux Occidentaux de se tourner vers le sultanat pour prendre contact avec des groupes ou Etats avec lesquels ils n’entretiennent que des relations lointaines ou difficiles.

La France a signé en juin dernier un protocole d’accord sur la coopération militaire avec Mascate. Par ailleurs, les Occidentaux et Oman mènent régulièrement des exercices militaires conjoints dans le détroit d’Ormuz, zone stratégique mais particulièrement instable. Le 2 février dernier s’est tenu un exercice militaire naval (IMX 22) mené par les Etats-Unis. Une soixantaine de pays étaient impliqués, dont l’Arabie Saoudite, Oman et Israël. Ce dernier n’entretient pour l’heure aucune relation diplomatique avec les deux pays de la Péninsule, mais, cet exercice pourrait favoriser un éventuel rapprochement avec Oman qui avait été, rappelons-le, l’un des premiers pays de la région à nouer des relations avec Israël sans pour autant signer de traité de paix. Benjamin Netanyahu fut le dernier responsable politique israélien à rencontrer le sultan Qabous en 2018. Le sultanat a tenu à féliciter les Émirats arabes unis et Bahreïn pour la signature du traité d’Abraham avec l’Etat hébreu mais il ne semble pour autant pas inscrit à l’agenda diplomatique omanais une quelconque intention de normalisation des relations bilatérales avec Israël. « (…) Nous sommes toujours partisans dune solution à deux Etats. Le problème avec les Israéliens, cest quils font un pas en avant… puis trois pas en arrière ! » témoignait un diplomate omanais en 2021 auprès de nos confrères de France Culture.

Alors que le monde s’embrase, et que les ingérences étrangères sont légion, Oman entend bien conserver son rôle clé, stratégique et très efficace de facilitateur. Si cela ne laisse pour autant pas présager une désescalade des tensions, elle pourrait être un exemple à suivre…

1. Mohamad Misto, “Le ministre omanais des Affaires étrangères en visite officielle à Damas”, AA, 31 janvier 2022, https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-ministre-omanais-des-affaires-%C3%A9trang%C3%A8res-en-visite-officielle-%C3%A0-damas/2489913

2. “Oman : le nouveau sultan Haitham ben Tarek dans les pas de son prédécesseur”, La Croix, 12/01/2020, https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Oman-nouveau-sultan-Haitham-ben-Tarek-pas-predecesseur-2020-01-12-1201071229

3. “Inauguration de la route reliant l’Arabie saoudite à Oman”, Saudi Press Agency, 8/12/2021, https://www.spa.gov.sa/viewfullstory.php?lang=fr&newsid=2310853