L’investissement privé peut-il subvenir aux besoins des start-up et PME de la défense ?

Après le choc de la crise sanitaire, la Base industrielle et technologique de défense (BITD) demeure vulnérable à la baisse des exportations et cherche à maintenir un haut niveau de financement de son développement. La diversification de ses sources de financement devient un enjeu majeur pour la souveraineté nationale, notamment pour les petites entreprises stratégiques qui souffrent d’un manque chronique de liquidités, conduisantà leurs rachats par des capitaux étrangers. Si les grands donneurs d’ordres compensent largement leurs risques de crédit par leurs volumes d’affaires, l’obtention d’un prêt bancaire demeure un péril existentiel pour la plupart des start up et PME de la défense. C’est pourquoi le réseau Défense Angels s’est fixé comme mission de promouvoir l’investissement privé comme un nouveau pilier financier de l’industrie de la défense.

Par Andréas Ley

Un désamour bancaire ?

« Les entreprises de défense se heurtent de plus en plus fréquemment à un phénomène de frilosité bancaire. Un fonds de 100 millions d’euros sur cinq ans [Definvest] est ciblé sur les entreprises critiques, stratégiques, qui risqueraient d’être menacées. Le fonds complémentaire de 200 millions d’euros [Fonds Innovation Défense] sera ciblé sur les entreprises duales, transverses, d’innovation technologique pour essayer d’entraîner les autres investisseurs. Notre effet de levier est de six sur les fonds d’investissement, la démarche est productive, mais il convient de s’inquiéter du comportement des banques » assure Joël Barre, délégué général pour l’armement au cours d’une audition au Sénat en 20211. Malgré l’essor de ces fonds publics, la commande étatique ne peut à elle seule amortir les coûts de développement de la BITD, notamment dans un contexte de contraction des contrats d’exportations dont dépendent grandement les entreprises qui la composent.

Ces exports exposent les banques sur des marchés étrangers, où les règles d’extraterritorialité anglo-saxonnes donnent lieu à « une guerre juridique et normative afin de nous contraindre sur les marchés stratégiques à l’international » selon François Mattens, Vice-président de Défense Angels. Mais, les règles de conformité se durcissent également sur la protection de l’environnement et sur le plan éthique. En 2018, un rapport d’Amnesty International a dénoncé l’exportation de véhicules blindés et de munitions de la France vers l’Egypte du Général al-Sissi pour un total de 4 milliards d’euros entre 2012 et 20172. Industriels et banques sont aussi mis à l’index, accusés de partager la responsabilité étatique dans la répression égyptienne. Bis repetita placent, en 2019, après la publication d’un autre rapport sur la vente d’armes françaises au Yémen alors en guerre contre les Emirats arabes unis.

S’ajoutant aux risques de crédit et de conformité, la réputation des banques entre également dans l’équation. « Aujourd’hui, les banques sont de plus en plus vigilantes à l’image qu’elles renvoient à la société civile, à leurs clients ainsi qu’aux marchés financiers. Le travail de lobbying des ONG a eu pour conséquence de stigmatiser péjorativement le secteur de la défense. En ce sens, une banque qui finance l’exportation d’armes deviendrait la complice de crimes de guerre. Pourtant, l’industrie de la défense est l’une des plus régulées au monde puisque le non-respect d’une règle de compliance peut entraîner la mort commerciale d’une entreprise » pointe François Mattens. En conséquence, les banques réduisent les crédits bancaires accordés aux start up et PME, posant un frein à l’innovation de la défense française.

La complémentarité de l’investissement privé

Le rapport sur le financement de la BITD porté par la Commission de la Défense nationale a donné un cap pour combler ce « manque de familiarité » entre banques et industriels3. Ce dernier se divise en trois étapes : les enjeux de formation et de dialogue, réunir les investisseurs privés et créer un fonds stratégique privé. Ses conclusions appellent notamment à implanter des référents défense dans les banques, spécialistes des marchés stratégiques, ainsi qu’une meilleure formation des PME et start up aux politiques de conformité pour les sensibiliser massivement. « Au travers de Défense Angels, nous mettons en place un mécanisme de financement privé qui permet de pallier là où les banques ne veulent plus aller. Notre objectif est de financer et soutenir des start up stratégiques possédant des retombées duales, au profit du monde militaire comme civile, dans une logique de souveraineté. Nous les accompagnons durant leurs phases de pré-amorçage, grâce à un volume financier de 500 000 à un million d’euros investis par an. Pour les besoins entre 5 et 10 millions d’euros, nous souhaitons monter un fonds d’amorçage, agissant comme un fonds d’investissement prenant en compte les temporalités d’investissements plus longues et les sorties d’investissements spécifiques aux enjeux stratégiques. Le dernier volet de réponse serait d’avoir un fonds entre partenaires de défense pour réaliser des financements de série A ou B pour des tickets allant de 5 à 30 millions. La finalité est de permettre aux start up stratégiques d’obtenir une véritable visibilité sur leurs investissements durant leurs premières années d’existence » précise le Vice-président de Défense Angels.

Entre ces deux véhicules financiers, ce réseau vise à investir dans 25 start up et TPE ainsi que 10 PME sur une période de trois à cinq ans. Ces premiers financements privés sont complémentaires des fonds publics, à l’instar des Fonds innovation défense et Definvest tout comme les dispositifs RAPID et ASTRID. L’essor de label de finance durable et responsable tels que le label français ISR ou le belge « Towards sustainabiltiy» excluent les activités d’armements pour éviter de voir les produits de ces investissements être employés à mauvais escient mais attirent les épargnes de retraite et salariale. Le rapport soulève donc le besoin d’attirer cette épargne de long terme des particuliers, au profit de véhicules financiers dédiés au secteur de la défense, à l’image des 200 milliards d’euros épargnés par les français durant la pandémie. « Au même titre que les placements durables, les investissements de défense dans une start up stratégique ont des impacts positifs sur la souveraineté nationale, sont sources d’emplois et peuvent rapporter une plus-value. Investir dans ces entreprises est une « valeur refuge » en période de crise. Plus de 70 start up nous ont demandé des financements dont les activités touchent les nanomatériaux pour l’aviation, de nouvelles générations de lances à incendie, la cybersécurité, les énergies, les drones ou encore un aspirateur de débris spatiaux » précise François Mattens.

Changer notre perception collective de la Défense nationale passe d’abord par diversifier les profils des professionnels qui pensent cette industrie. Cette dernière doit se tourner vers les étudiants des grandes écoles et des Universités et non plus seulement vers les ingénieurs pour « gagner en visibilité »4 et convaincre l’opinion publique de son importance pour l’économie nationale.

1 Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : compte rendu de la semaine du 19 octobre 2020, https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20201019/etr.html.

2 Amnesty International France, Égypte  des armes françaises au cœur de la répression, https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/france-egypte-aux-armes-policiers-egyptiens , 16 octobre 2018.

3 Françoise Ballet-Blu et Jean-Louis Thiériot, Commission de la défense nationale : mission flash sur le financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD), Assemblée Nationale, Paris, 2021.

4 François Mattens et Joshua Henry, « Et si l’industrie de défense n’était pas qu’une question d’ingénieur ? », La Tribune, 17 mai 2022p.