Le New Space : espace de tous les défis

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs puissances mènent déjà leurs premières explorations spatiales. Depuis, des acteurs privés se sont invités dans cette conquête. La nouvelle industrie du New Space est ainsi née en terres américaines. Quelques années plus tard, non sans accuser de facto un certain retard, l’Europe souhaite prendre part à la dynamique… Entre nécessité de performer, enjeu écologique et régulation internationale, le New Space regorge d’enjeux stratégiques multiples.

Par Camille Léveillé

Un réveil européen ?

Depuis de nombreuses années, les Etats-Unis devancent l’Europe dans le domaine du New Space. Consciente de son retard, l’Agence Spatiale Européenne vient de présenter son agenda 2025. Son objectif : « Accélérer l’utilisation de l’espace en Europe », autrement dit, entrer pleinement dans le New Space. En février, les ministres européens chargés de l’espace se sont réunis. Au cœur des débats semblent s’imposer les sujets liés à la constellation de satellites et la gestion du trafic spatial. Mais, en toile de fond plane l’ambition d’une souveraineté européenne.

Les Etats-Unis ultra compétitifs

Si l’Europe veut être compétitive dans le New Space, elle doit ouvrir son marché au privé. L’espace n’est plus seulement l’apanage des Etats. 700 start-up ont vu le jour en Europe depuis dix ans, dont un tiers en France1, selon Frédéric Alter, directeur de l’innovation du Centre national d’études spatiales (CNES). Mais, les Etats-Unis restent les leaders incontestés. 67% des fonds mondiaux investis dans le domaine spatial ont été levés par des start-up américaines, soit plus de 5 milliards de dollars2, selon un rapport du cabinet Bryce Tech. A titre de comparaison, en 10 ans, 2,5 milliards d’euros ont été investis par des fonds privés dans les licornes européennes. L’Europe a donc investi 2 fois moins d’argent sur une période 10 fois plus longue ! Les fonds d’investissement se tournent vers les Etats-Unis en raison de la souplesse du modèle américain, pays où les partenariats public-privé explosent. L’Union européenne tente de réagir… et annonce la mise en place du fonds Cassini qui viendra en aide aux start-up du secteur à hauteur d’un milliard d’euros.

Des bâtons dans les roues dArianeGroup

Au sein même de l’Union européenne, des manœuvres sont menées en coulisse. Le groupe industriel allemand OHB conduirait actuellement une campagne de lobbying au sein de la Commission européenne, selon nos confrères de Challenges. Cette dernière pourrait choisir les lanceurs Falcon 9 de Space X plutôt que la fusée Ariane 6 développée par ArianeGroup pour les lancements de deux satellites du programme Galileo. Même si cette proposition a peu de chance de voir le jour, notamment pour des raisons juridiques, l’intention d’OHB laisse à réfléchir sur la prétendue solidarité européenne dans le domaine spatial.

La filière française veut faire la différence

« Aujourdhui, la France accuse un retard dans le New Space. Il y a deux raisons principales à cela. D’une part, l’écosystème ne disposait pas de solutions technologiques assez matures pour s’adresser au marché avec un time to market plus long que celui de la concurrence, même européenne. D’autre part, les entreprises françaises n’étaient pas encore dotées de moyens suffisants pour accéder à l’espace » explique Abdelkader Berkane Krachai, responsable du domaine industrie chez BPIFrance.

Mais, la France est décidée à rattraper ce retard. Une vingtaine d’acteurs nationaux du New Space se sont réunis au sein de l’Alliance NewSpace France. Pour Samantha Douarin, cheffe de projet aéronautique et spatial chez Business France, « la fédération de l’écosystème peut passer par des initiatives à l’image de lAlliance New Space France. Ils envisagent la potentielle création dun label permettant de projeter les entreprises du pays à l’international et de faire de la France un pilier dans ce domaine. »

Au niveau institutionnel, BPIFrance et Business France jouent également un rôle dans le développement de cette filière. « A lorigine du New Space, l’objectif de BPIFrance était de renforcer l’écosystème spatial français et de mieux intégrer les PME dans les grands projets spatiaux. Par exemple, nous avons financé dès 2015 les lignes ayant servi la production des composants, systèmes et sous-systèmes destinés aux premiers satellites OneWeb » explique Abdelkader Berkane Krachai. La BPI accompagne également des start-up dans leur développement via le concours i-lab récompensant chaque année les meilleures innovations françaises. A l’export, Business France a organisé la première mission dans le domaine du spatial aux Emirats Arabes Unis en 2021. « 13 entreprises ont rencontré les acteurs locaux du domaine et certaines ont pu développer des courants daffaires. » confie Samantha Douarin. En 2022, 5 autres missions de ce type sont organisées par l’agence publique en Europe, en Amérique et en Asie. Ces différentes initiatives sont prometteuses. « Nous avons, aujourdhui, en France, un écosystème qui dispose de solutions valides en orbite, qui propose desservices en ruptures avec l’Etat de l’art et qui possède des clients» précise Abdelkader Berkane Krachai. Exotrail, start-up toulousaine a récemment dévoilé un nouveau véhicule spatial qui sera lancé à partir d’une fusée SpaceX en 2023. « Nous choisissons nos batailles dans le New Space. BPIFrance souhaite pousser les acteurs vers certains segments de marché dans lesquels ils ont le plus de chance de prendre de l’avance sur la concurrence et d’être suivis financièrement. Par exemple, nous avons une expertise reconnue dans l‘exploitation des données satellitaires, la surveillance de l’espace et la cybersécurité spatiale via des technologies numériques telles que l’IA et les technologies quantiques» ajoute Abdelkader Berkane Krachai.

La data dans lespace

La data est aussi un actif majeur dans le spatial. Dawex, PME française, fournit sa technologie d’échanges de données pour Space Data Market Place, un projet soutenu par le plan France Relance et le CNES, qui sera commercialisé courant 2022. «Space Data Marketplace souhaite devenir la place de marché de données d’observation de la Terre de référence. Grâce à l’accessibilité et la distribution de ces données, de nombreux défis économiques, sociaux et environnementaux sont relevés. De multiples secteurs d’activité expriment le besoin d’accéder à la données d’observation de la Terre pour stimuler l’innovation et développer de nouveaux services »explique Laurent Lafaye, cofondateur de la start-up. Si ce projet est, pour l’heure, en développement, de nombreuses entreprises ont déjà rejoint le consortium porté par Dawex. Laurent Lafaye se félicite notamment de la coopération entre les grandes entreprises leaders du New Space et les PME : « Space Data Market Place est une belle illustration de l’accompagnement de l’Etat pour favoriser la rencontre entre des grandes entreprises et des entreprises innovantes, pour conduire des projets communs ambitieux et impactant ».

Un espace propre : autre enjeu du New Space

Le nombre de débris présent en orbite est en augmentation et représente aujourd’hui 9600 tonnes. Or, ils se déplacent à 7 kilomètres par seconde. Le risque de collision est donc grandissant. Le nettoyage de l’espace, véritable enjeu de sécurité, est pris en compte par les acteurs du New Space. Des initiatives telles que « Net Zero Space » voient ainsi le jour visant à « atteindre une utilisation durable de l’espace extra-atmosphérique au profit de l’ensemble de l’humanité d’ici 2030 ». Mais, les questions, autour de la mise en œuvre de Net Zero Space, demeurent. « Aujourdhui, jai limpression quil y a un statu quo. Les entreprises ne développent pas de solutions de nettoyage de lespace au niveau civil car personne ne veut investir pour nettoyer les constellations des autres acteurs présents. Puis, si les entreprises nettoient une partie de lespace, ils considéreront ensuite que cette partie leur appartient. Nous entrons alors dans une nouvelle problématique car il est impossible de sapproprier un endroit dans lespace. » explique Pierre Omaly, chercheur et spécialiste des débris spatiaux au CNES.

Au-delà du sujet environnemental lié à l’espace, d’autres questions semblent interférer dans le débat : « Est-il raisonnable que le contribuable français paie pour enlever un débris russe, chinois ou américain ? Cela est difficile à admettre » avance Pierre Omaly, et d’ajouter : « Sur le plan militaire, dautres points sont à soulever. Par exemple, si la France récupère un débris russe, la Russie pourrait considérer cette manœuvre comme une agression. De plus, si nous sommes capables denlever un débris, nous pourrions être capables denlever autre chose... » dont on pourrait penser qu’il s’agisse de satellites étatiques…

Dès lors, le New Space doit tendre vers une réglementation plus accrue pour un développement plus éthique. Et de réagir : « L’espace est un bien commun qui, aujourdhui, est martyrisé. Tout le monde lutilise sans comprendre que son exploitation ne sera pas infinie. Nous devons respecter lespace pour les générations futures. »

« Pour ce qui est de lavenir, il ne sagit pas de le prévoir, mais de le rendre possible » disait Saint-Exupéry. Le rendre possible, certes, mais à quel prix ?

1 Véronique Guillermard, “Les start-up, fer de lance du renouveau spatial européen”, Le Figaro, 22/02/2022, https://www.lefigaro.fr/societes/le-renouveau-du-spatial-europeen-20220222#:~:text=Ces%20start%2Dup%20investissent%20tous,grandes%20infrastructures%20publiques%20europ%C3%A9ennes%2C%20telle%E2%80%A6

2 Cabinet BryceTech, “Start-up Space Update on Investment in Commercial Space Ventures”, 26 août 2021