Industries de défense et sécurité : debout à travers les crises

A lapproche des Jeux Olympiques en France et alors que la crise sanitaire, pas encore résorbée, laisse place à une crise géopolitique majeure avec la guerre en Ukraine, défense et sécurité sont au cœur des sujets. Et les industriels français et européens ne plient pas.

Par Lola Breton

De 13 milliards à 7 milliards. En juillet 2020, la Commission européenne divisait de moitié le budget prévu pour le Fonds européen de défense, censé « favoriser la compétitivité, lefficacité et la capacité dinnovation de la base industrielle et technologique de défense européenne ». Nombreux sont les pays à avoir également progressivement réduit leur budget de défense. En pleine crise sanitaire, et alors que des dissensions parcouraient les 27, l’industrie de défense ne paraissait donc pas une priorité. Mais, le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. « La situation politique et géopolitique dans laquelle nous sommes a mis en exergue les déficiences en équipements de défense en Europe, note le général Charles Beaudouin, directeur général de COGES Events, organisateur d’Eurosatory. LEurope a compris quelle devait se rééquiper. Elle était plutôt sur une pente de moindre armement depuis plusieurs dizaines dannées, au point davoir sacrifié beaucoup de pans de sa défense. La guerre met en exergue le manque de pièces par exemple et la réduction progressive de lartillerie. »

Une marche arrière drastique doit donc avoir lieu. Pour apporter une aide à l’Ukraine, défendre les frontières de l’Europe et de l’Otan, mais aussi regagner en force face à des menaces potentielles qu’ils ne pensaient plus avoir à contrer, les pays européens ont d’ores et déjà pris des décisions pour leur futur militaire. L’UE a débloqué 450 millions d’euros pour livrer des armes à Kyiv quand les membres de l’Otan ont déployé davantage d’hommes sur le terrain depuis le 24 février dernier. La France s’est elle aussi pleinement engagée dans cette voie.

Pologne : linnovation en ligne de mire

Pour d’autres pays, notamment à l’Est de l’Europe, l’heure est plus grave. La menace russe semble plus réelle qu’auparavant. République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie ont, depuis le déclenchement de la guerre, annoncé leur volonté d’atteindre les 2% de PIB dédiés à la défense. La Pologne devrait même monter à 3%, dans la continuité de ses dernières réformes en matière de forces armées.

L’Etat, qui garde aujourd’hui la porte de l’Europe et accueille des forces de l’Otan pour protéger le territoire, a une longue tradition d’innovation de défense. Dans l’entre-deux guerres, puis pendant la Guerre froide, en dépit d’une forte dépendance à l’URSS, la Pologne développait largement son tissu industriel et sa BITD. Si celle-ci s’est écroulée en même temps que le bloc soviétique, le pays a repris en main sa défense dès 2014. 118 milliards d’euros devraient être injectés dans les forces armées polonaises entre 2021 et 2035 via un plan de modernisation technique. Une nouvelle branche de défense territoriale, consolidée par une cyber force a, de plus, vu le jour.

Mais la Pologne doit aussi penser plus grand. La filière emploie actuellement 16 000 personnes et vend à hauteur de 1,3 milliard d’euros d’armes par an, en majorité sur le marché national. En investissant dans des programmes de R&D ambitieux, le pays a l’ambition de s’intégrer davantage sur le marché mondial.

Place au futur

« Eurosatory est le lieu parfait pour réfléchir à ce à quoi peut ressembler le réarmement de l’Europe », estime Charles Beaudouin. Quatre ans après sa dernière édition, le salon de la défense et de la sécurité terrestres et aéroterrestres revient. Près de 1700 exposants s’apprêtent à investir le Parc des Expositions pour la 27e édition du mondial du 13 au 17 juin 2022. L’occasion de mettre en avant les filières de défense et sécurité françaises face aux visiteurs venus du monde entier. L’occasion aussi de « présenter l’exhaustivité des capacités possibles des filières et de présenter l’horizon 2030-2040 et créer la tendance », estime le général Charles Beaudouin.

Si aucun exposant russe ne sera présent, l’Ukraine sera représentée. De nouveaux pays feront aussi leur entrée, tant sur le plan de la défense que sur celui de la sécurité. « Le Mexique, la Macédoine du Nord, la Côte dIvoire et Andorre nous rejoignent pour la première fois. » La Chine sera elle très peu présente.

Lhorizon des JOP 2024 sur fond dattaques DDoS

En quatre ans, les industriels ont dû faire face à de nombreux défis et adapter leurs produits et services. Sur fond de guerre en Ukraine, l’année 2022 ne fait pas exception. S’il est encore trop tôt pour connaître les effets de ce conflit sur le marché de la sécurité, il est aisé d’imaginer que les solutions de cyber protection et de lutte contre l’espionnage informatique, ainsi que les services de sécurité civile seront les plus affectés par la crise.

D’autant que les derniers chiffres sur les cyberattaques ne sont pas rassurants. Le second semestre 2021 a vu se multiplier les attaques par déni de service distribué (DDoS), notamment en Asie du Sud-Est. La Chine est largement pointée du doigt comme autrice de ces attaques, notamment par Taiwan, qui déplorerait 5 millions de cyberattaques et de sondes chaque jour. La Russie semble être entrée dans la même logique depuis le début de la guerre en Ukraine. Des groupes de hackers soutenant les Russes ont notamment attaqué l’organisation internationale Cyberpol le 1er avril 2022.

« Il y a eu énormément de cyber-attaques lors des Jeux Olympiques de Tokyo, précise Marc Darmon,président du GICAT et directeur général adjoint, Systèmes d’information et de Communication sécurisés, chez Thales. Selon le comité olympique, les Jeux 2020 ont essuyé huit fois plus dattaques que 5 ans auparavant. » Or, la sécurisation des JOP 2024 est l’une des priorités de la filière : « Avec larrivée des Jeux, olympiques comme paralympiques, mais aussi de la coupe du monde de rugby 2023, il nous faut combiner les besoins de sécurité et faire de ces événements une vitrine pour lindustrie française. Les entreprises, grands groupes, comme PME, se sont structurées en ce sens. Nous avons également commencé des expérimentations techniques et opérationnelles pour préfigurer ce qui pourrait se passer puisque les JOP sont un événement sans précédent à sécuriser. »

Airbus, Boeing, Safran et Thales développent actuellement des drones électriques capables de transporter les athlètes sur les sites de compétition depuis les aéroports parisiens. Un pari de taille en termes de législation et de production qui se doit d’être prêt dans deux ans.

Un besoin davancer uni à lexport

Thales et Idemia mettront également en avant leur savoir-faire de leaders mondiaux en matière d’identité numérique, grand enjeu pour la filière française dans les prochaines années. « Nous ne sommes pas en avance en matière de déploiement par rapport à dautres pays dEurope, concède Marc Darmon. La carte biométrique forte est en cours de diffusion. Ce nest que la moitié du chemin parce que cette carte pourrait permettre de faire des achats, de prendre des décisions, de faire des démarches administratives et des investissements : tout un écosystème de services marchands à construire. »

Pour cela, il convient désormais de travailler sur l’identité décentralisée et une blockchain interopérable au sein de l’UE, mais aussi sur le développement de technologies capables de détecter avec haute précision la fraude dans l’image. C’est notamment dans cette optique qu’IN Groupe (ex-Imprimerie nationale) a lancé un partenariat avec le CEA, en avril.

Linnovation pour répondre aux crises

Faire face aux enjeux d’aujourd’hui et demain. C’est ce à quoi ambitionne de répondre le tout nouveau projet qui sera présenté en juin prochain : HELPED (Humanitary Emergency Logistic Project and Eco Development) où comment aider à « répondre aux crises, quelles soient dorigine climatique, industrielle ou conflictuelle », explique Charles Beaudouin. « Dautant que les crises se multiplient. Il y a des inondations au coeur de l’Europe, par exemple. Cela met la vie des hommes en danger et lenvironnement à mal. »

Face à cette réalité, le GICAT, porteur du projet, a souhaité « proposer une capacité industrielle globale » dans laquelle forces armées, forces de sécurité et équipes de reconstruction post-crises travaillent en intelligence. « Les guerres sont écocides la plupart du temps, admet Charles Beaudouin. Plutôt que de penser armée verte, pensons plutôt reconstruction dans la foulée pour sauvegarder les populations et restaurer lenvironnement. »

En concentrant des moyens multi-effets, cette capacité, pour l’heure tricolore, permettra d’adapter les réponses aux crises en cours. Assurer la première urgence, porter de l’aide aux personnes, assurer la sécurité des lieux puis sa reconstruction. Tout cela suppose de l’anticipation. Le projet sera présenté à Eurosatory cette année, avec une zone de démonstration. Charles Beaudouin insiste : « Nous ne contentons pas dexposer, nous sommes aussi des forces de proposition de ce qui est nécessaire pour le futur. »