A l’Est de l’Alliance atlantique, une posture « défensive et dissuasive »

Des militaires français sont déployés en Estonie et en Roumanie dans le cadre de la « présence avancée renforcée » (eFP)1, un dispositif créé par l’OTAN. Visant à protéger les frontières orientales de l’Alliance, cette structure incarne l’une des principales opérations extérieures françaises. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, est-elle vouée à évoluer ?

Par Corentin Dionet

Cela fait aujourd’hui cinq années que des groupements tactiques multinationaux ont été implantés par l’OTAN en Estonie, en Lituanie, en Lettonie et en Pologne. Ils avaient été établis en réponse à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, formant une « présence renforcée avancée » avec respectivement pour pays cadre le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada et les Etats-Unis.

Défendre « le flanc est »

« Les contingents français qui sont déployés en Estonie, et maintenant en Roumanie, puisque c’est la même philosophie, participent au dispositif de présence avancée renforcée de l’OTAN. Il a pour but d’afficher une posture dissuasive et défensive sur le flanc est de l’Alliance. Les unités françaises prennent part à la préparation des plans de défense des pays dans lesquelles elles sont déployées, dans le cadre fixé par l’OTAN, s’entraînant au combat de haute intensité » explique le colonel Ianni, porte-parole du chef d’état-major des armées françaises, qui tient à rappeler que « la posture générale de l’OTAN est non-agressive et non-escalatoire ».

Concrètement, en Estonie, le sous-groupement français, dont le volume varie entre 200 et 350 hommes, est intégré au sein d’un bataillon britannique, lui-même compris dans la première division estonienne. Du fait de l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes, « la France a d’ores et déjà renforcé sa posture. Son rôle était d’assurer une rotation d’un an sur deux avec le Danemark, dans le cadre de l’EFP de l’OTAN. Néanmoins, le président de la République a décidé, dès le déclenchement de l’invasion, de maintenir en continu des troupes en présentiel en Estonie face à la montée objective de la menace, envoyant un détachement de chasseurs alpins » explique son Excellence, Eric Lamouroux, Ambassadeur de France en Estonie qui affirme que le nouveau concept stratégique de l’OTAN aura logiquement l’obligation d’intégrer cette « nouvelle donne géopolitique qui change fondamentalement l’équilibre des forces, en adaptant les postures et les capacités de l’OTAN sur son flanc oriental ».

Sur le plan opérationnel, la doctrine française restera également la même, malgré l’actualité. Aujourd’hui, c’est le 7e bataillon de chasseurs alpins qui est sur le terrain en Estonie, des troupes habituées à évoluer dans des conditions hostiles et qui ont appris à apprivoiser le froid. Elles sont donc particulièrement adaptées à la topographie marécageuse du pays et à ses températures glaciales. Or, la France ne poursuivra pas sur cette voie consistant à déployer des unités plus spécialisées, l’objectif étant de préparer le plus grand nombre de troupes à la haute intensité, tout en collant aux besoins énoncés par le pays hôte en fonction des rotations.

La France va « jouer son rôle »

Emmanuel Macron, à la suite d’un sommet exceptionnel de l’Union européenne à Bruxelles tenu le 25 février dernier, a confirmé l’intention de la France de poursuivre et renforcer son engagement dans cette structure : « La France continuera à jouer pleinement son rôle de réassurance des alliés de l’OTAN en envoyant en Estonie un nouveau contingent au sein de la présence avancée renforcée, en anticipant sa participation à la police du ciel balte dès le mois de mars, et en accélérant aussi son déploiement en Roumanie »2.

L’implication française s’est dorénavant amplifiée. Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, l’assure : la France « s’est portée volontaire (…) pour assurer le rôle de nation cadre (…) en Roumanie prochainement »3.

« Rassurer nos partenaires »

Cette volonté politique s’est matérialisée par le déploiement du bataillon fer de lance (VJTF)4 de la force de réaction rapide (NRF)5 de l’Alliance. La France ayant pris la tête, pour l’année 2022, de la force de réaction rapide de l’OTAN, ce sont 500 soldats français accompagnés par 300 militaires belges qui ont été placés sur la base Mihail Kogalniceanu, à proximité de Constanta, en Roumanie. Le colonel Minguet, qui dirige cette mission intitulée « Aigle », l’assure : « Nous serons sur place pour rassurer nos partenaires et renforcer la défense sur le flanc est de l’Europe »6. Des propos qui s’expliquent par les partenariats stratégiques anciens que Paris a développé avec Tallinn et Bucarest, l’Estonie et la Roumanie ayant activement participé à l’opération Barkhane.

La présence française en Roumanie s’inscrit dans le cadre de l’élargissement de la « présence avancée renforcée » de l’Alliance. Peu après l’invasion de l’Ukraine, l’OTAN avait réagi en annonçant sa décision de « mettre en place quatre groupements tactiques multinationaux supplémentaires en Bulgarie, en Hongrie, en Roumanie et en Slovaquie »7. Pour l’heure et si les discussions sont en cours, « il n’est pas prévu que l’on participe [aux dispositifs en Slovaquie, Hongrie et Bulgarie] » selon le colonel Ianni.

Les exercices militaires se multiplient sur les territoires de l’Alliance, à l’instar de Cold Response 2022, rassemblant, en Norvège, 30 000 soldats de 27 pays ayant pour objectif de « se défendre, combattre et survivre en milieu polaire »8. Pour l’heure, aucun événement de cette ampleur n’est prévu en Roumanie, mais nul ne doute que la France aurait alors un rôle majeur à jouer. « Un tel exercice n’est pas envisagé pour l’instant, mais il est parfaitement envisageable. Naturellement, la France jouerait un rôle important dans ce cadre » soutient le colonel Ianni.

Vers un renforcement du dispositif ?

Kaja Kallas, Première ministre de l’Estonie, milite pour l’installation de divisions de l’OTAN sur les territoires de chacun des pays baltes9. C’est-à-dire, bien au-delà des 1 000 soldats déjà disposés en Lituanie, Lettonie et Estonie. « Les revendications et demandes exprimées par la Première ministre Kallas, et par ses pairs lettons et lituaniens, sont parfaitement légitimes et logiques dans le contexte nouveau créé par la guerre en Ukraine. Nous les comprenons et les intégrons dans notre réflexion à titre national et au sein de l’Alliance atlantique pour pouvoir y répondre. Nous y avons partiellement répondu en allant au-delà de notre présence traditionnelle au titre de l’EFP et en ayant avancé l’arrivée d’un détachement de l’Armée de l’air chargé d’une mission de police de l’air baltique. Nous avons donc déjà renforcé notre posture, mais il faut maintenant collectivement traduire notre réaction immédiate dans le temps long, l’enjeu étant d’apporter une réponse crédible et soutenable au long cours. Les travaux en ce sens sont en cours entre Alliés en vue du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de Madrid en juin prochain » poursuit l’Ambassadeur. Et de conclure : « Ce qui est demandé par les pays baltes est de passer d’une posture de dissuasion à une posture de défense. Il s’agirait donc pour l’OTAN de continuer de renforcer son engagement en matière de défense aérienne, de défense du territoire et de défense maritime pour gagner en crédibilité et empêcher toute velléité ou intention de toucher au territoire de l’Alliance atlantique ». La porte menant à un renforcement du dispositif semble donc bel et bien ouverte.

1Enhanced Forward Presence.

2« Ukraine : Emmanuel Macron annonce le déploiement de soldats en Roumanie », La Croix avec AFP, le 25 février 2022.

3« Guerre en Ukraine. La France va déployer 500 militaires en Roumanie », Ouest France, le 26 février 2022.

4Very High Joint Readiness Task Force

5NATO Response Force

6Dupin Bleuette, « Départ des chasseurs alpins du 27e BCA en Roumanie : « On va là-bas pour défendre le flanc Est de l’Europe » », France Bleu Savoie, le 28 février 2022.

7Organisation du traité de l’Atlantique nord : « La présence militaire de l’OTAN dans la partie orientale de son territoire », disponible ici : https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136388.htm?selectedLocale=fr

8Organisation du traité de l’Atlantique nord : « Exercice Cold Response 2022 – Les forces des pays de l’OTAN et des pays partenaires à l’épreuve du froid en Norvège », disponible ici : https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_192351.htm

9Milne Richard : « Estonia’s prime minister urges vast rise in Nato forces to defend Baltic states », Financial Times, le 8 avril 2022.