Menaces NRBC : « Aucun pays n’est réellement préparé »

De sa première utilisation pour qualifier l’attaque de la Luftwaffe sur Guernica, en 1937, à sa popularisation durant l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, en 2003, le concept d’armes de destruction massive a peu évolué, englobant les armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). La France se préparant à accueillir de grands événements, le risque NRBC ne doit pas être minoré. Et les acteurs, qu’ils soient institutionnels ou industriels, doivent poursuivre leur mobilisation.

Par Alexandre Guichard

Nous assistons aujourd’hui à une recrudescence de la menace suscitée par ce type d’équipements, une mouvance notamment due à la multiplicité des acteurs pouvant les manier, qu’ils soient étatiques – en témoigne l’affaire Skripal – ou terroristes : l’Etat islamique étant parvenu à concevoir et employer des agents chimiques. Ces tendances de fond, identifiées par la France, apparaissent dans le rapport d’informationparlementaire sur la défense NRBC des députés Carole Bureau-Bonnard et André Chassaigne. Le constat est simple : « Depuis une dizaine dannées, l’évolution de la situation internationale montre laggravation constante de la menace et des risques NRBC qui ont dorénavant atteint leur plus haut niveau depuis la fin de la Guerre froide »1.

La recherche du « risque acceptable »

Aussi proposent-ils de consacrer deux milliards d’euros d’ici 2029 pour la gestion de ce spectre à haut-risque, soumettant l’idée de « sanctuariser ce budget en loi de programmation militaire »2. Autre proposition phare de leur rapport : « porter à 250 millions deuros par an les crédits dédiés à la défense NRBC »3. Aujourd’hui, la doctrine française consiste à mener de front une triple mission visant à protéger ses forces et sa population contre les risques NRBC tout en luttant contre la prolifération des armes de destruction massives. Pour ce faire, elle est basée sur un triptyque, associant la prévention de la menace à sa gestion et la restauration d’une situation à « risque acceptable »4. Face à la rareté des moyens de défense NRBC tant dans l’aspect qualitatif que quantitatif, les décideurs ont érigé en priorité la complémentarité et la non-duplication des équipements.

Depuis 50 ans, sur la totalité des actes terroristes, l’utilisation de produits chimiques ne représente qu’environ 0,17 % quand les explosifs ont été utilisés dans près de 50 % des cas et les armes à feu dans 32 % des attaques. Durant la dernière décennie, la France fut victime à plusieurs reprises d’actes terroristes sur son sol et rien n’indique que la nature de ces actions n’évoluera pas vers plus de sophistication pour inclure des armes NRBC. Ce, d’autant plus que le pays va accueillir dans les mois à venir la Coupe du monde de rugby 2023 et les JOP l’année suivante. Il est donc nécessaire, pour assurer la sécurité de ces événements, de prendre en compte les risques NRBC.

Une menace à ne pas exclure

Pour autant, « aucun pays nest réellement préparé pour faire face à la menace » témoigne Nils-Erik Lindblom, ancien Major au sein de l’armée suédoise et expert ès NRBC de Saab. Et de regretter : « Nous agissons de la même manière depuis 20 ans, avec les mêmes équipements, qui sont pour la plupart issus des années 90. Certains matériels sont vendus sur le marché extrêmement chers, pourtant, ils sont obsolètes ».

Il apparaît donc nécessaire de ne pas occulter le sujet par manque de visibilité. « Bien que lutilisation de toxiques de guerre semble avoir une probabilité dusage limitée pour diverses raisons, il ne faut pas lexclure. Les agents de la menace possiblement utilisables (hors agression dEtat) sont connues depuis longtemps et un bon chimiste peut réussir à les reproduire en faibles quantités en quelques semaines »5 explique Christian Sommade, Délégué Général du Haut Comité Français pour la Résilience Nationale (HCFRN). Et d’ajouter : « Il faut rendre le domaine NRBC moins théorique et plus pratique, arrêter de croire que la préparation et les exercices réalisés ne serviront jamais. Tous les décideurs du monde de la sécurité nont pas encore pris conscience de la possibilité réelle de la survenue de tels événements et de leurs implications tactiques, opérationnelles et techniques »6.

Réaction européenne

Des projets émergent donc à l’échelle européenne pour résoudre cet état de fait. L’UE a lancé une Initiative des centres d’excellence NRBC afin de réduire les risques et « renforcer les capacités NRBC en facilitant la coopération régionale »7. Ces structures ont notamment pour dessein le renforcement des politiques nationales, l’optimisation des capacités des Etats-membres et la favorisation d’une approche « bottom-up » permettant de répondre aux besoins des différents pays partenaires.

En Roumanie, la France et l’Italie coopèrent avec le pays hôte sur un projet intitulé CBRN Defence Training Range8 dont l’objectif est de conduire des entraînements et exercices tactiques servant de contre-mesures à la menace NRBC. Qu’ils soient individuels ou collectifs, simulés ou non, ces exercices ont pour ambition d’accroître l’interopérabilité des Etats membres de l’Union européenne dans cette sphère opérationnelle.

Les industriels en première ligne

Les industriels sont un acteur majeur de la réponse à apporter à la menace NRBC. L’un des enjeux prépondérants réside dans la mobilité des équipements. D’où la création du CRVK (CBRN reconnaissance vehicle kit) par Saab. Ces kits de véhicules de reconnaissance NRBC « facilement interopérables et cost-effective » selon Nils-Erik Lindblom s’installent sur des véhicules civils et militaires et prennent entièrement en charge la surveillance, l’échantillonnage, la reconnaissance et l’analyse sur le terrain. Le système AWR (Automatic Warning and Report), quant à lui, permet de réduire le délai entre l’incident et l’identification de la menace, grâce à un réseau de senseurs pouvant être mobile ou stationnaire auquel s’ajoute un centre de command and control.

L’entreprise suédoise collabore également avec de nombreux sous-traitants, dont plusieurs sociétés françaises. C’est notamment l’une de ces compagnies qui a délivré la dernière version d’un simulated training environment (ou simulateur d’environnement d’entraînement) permettant de s’entraîner sans relâcher aucune arme NRBC. Une solution prisée par certains pays du Moyen-Orient.

La prochaine étape se dessine pour l’industrie du secteur. « Nous devonsavancer dans les registres de la ground detection et du ground sampling car aujourdhui il ny a pas de solution réellement user friendly. Cela pourrait notamment passer par des systèmes de détection fonctionnant via des technologies infrarouge » dévoile Nils-Erik Lindblom.

A lire : EU preparedness and responses to Chemical, Biological, Radiological and Nuclear (CBRN) threats – https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2021/653645/EXPO_STU(2021)653645_EN.pdf Authors: Alexandra RIMPLER-SCHMID, Ralf TRAPP, Sarah LEONARD, Christian KAUNERT, Yves DUBUCQ, Claude LEFEBVRE, Hanna MOHN
European Parliament Coordinator: Policy Department for External Relations Directorate General for External Policies of the Union

LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE ET LEUR INTERDICTION, Claude Lefebvre, Guillaume Weiszberg, Editions Harmattan 2022 : https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_armes_de_destruction_massive_et_leur_interdiction_menaces_nucleaires_radiologiques_biologiques_chimiques_explosives_de_masse_claude_lefebvre_guillaume_weiszberg-9782343209715-66598.html

1 Assemblée nationale, (2022) « Rapport d’information sur la défense NRBC », p. 18, disponible ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b5112_rapport-information.pdf

2 Idem

3 Idem

4 Idem

5 Colle Philippine, « Terrorisme biologique et chimique, la France est-elle prête ? », S&D Magazine, le 17 septembre 2021

6 Idem

7 Union européenne : « Initiative de l’UE des Centres d’Excellence pour la réduction des risques NRBC (CdE NRBC) », disponible ici : https://eeas.europa.eu/archives/delegations/tunisia/documents/press_corner/presentation_nrbc_2013_fr.pdf

8 Permanent Structured Coopération : « CBRN Defence Training Range (CBRNDTR) », disponible ici : https://www.pesco.europa.eu/project/cbrn-defence-training-range-cbrndtr/