Gravir les sommets et toujours viser la lune…

Bonne élève, à l’aise avec les sciences, Marion est destinée à une carrière d’ingénieure. A une voie toute tracée, elle choisit de sortir de sa zone de confort. Elle veut faire de sa passion pour l’alpinisme et la montagne son métier. Exigent et rude, il y a peu d’élus. Et encore moins du sexe féminin. Elle devra gravir les échelons et les étapes avec courage et détermination, comme les parois vertigineuses qu’elle affronte… sans jamais courber l’échine face aux épreuves et au sexisme. Des unités d’élite de l’armée française aux CRS de haute montagne, rencontre avec Marion Poitevin, une femme de détermination.

Propos recueillis par Mélanie Bénard-crozat

Sortir de sa zone de confort

Marion Poitevin, policière, secouriste en haute montagne, dans les Alpes, est la première femme à avoir intégré le milieu très fermé des CRS de haute montagne. Cheffe d’équipe au goût prononcé pour les sommets, elle a su, grâce à son sang-froid et ses compétences, faire tomber les barrières.

Née dans une famille de sportifs, Marion découvre et pratique avec ses parents de nombreux sports outdoor. « J’aimais partager ces moments en famille, être en extérieur , au coeur de la nature. Mais ce qui me fascinait, c’était la montagne. J’avais envie de partir à la découverte des sommets les plus hauts. L’alpinisme et l’escalade étaient faits pour moi. »

Elle débute l’escalade à 14 ans. A 16 ans, elle atteint la pointe Isabella au coeur du Mont-Blanc, avec son père. L’alpinisme, sa passion, elle veut en faire son métier. Mais bonne élève, on lui prédit plutôt un métier orienté vers les sciences. « Il était déjà difficile de trouver des compagnons de cordées en étant une jeune fille. Alors, en faire son métier était illusoire à l’époque. » Téméraire, elle s’inscrit néanmoins à la Fédération française de montagne et d’escalade. « Il était difficile d’être crédible dans ce milieu, peu habitué à voir des jeunes femmes arriver. »

Mais à 18 ans, c’est une expérience aux Etats-Unis qui va faire basculer sa vie, un moment décisif dont elle prend la mesure aujourd’hui : « Je suis partie pour une année dans le Colorado aux Etats-Unis. Cette expérience a ouvert pour moi le champs des possibles. Quand on vous enseigne que l’échec est une réussite, vous voyez de fait les choses autrement. Douée en maths, on me prédisait un avenir en qualité d’ingénieure. Choisir cette voie aurait été celle de la facilité. J’ai préféré sortir de ma zone de confort en me dirigeant dans un univers difficile, rude, où les femmes avaient tout à prouver, tout à défendre. »

Pression et sexisme au coeur des élites

En 2005, l’équipe nationale des alpes féminine est créée. 8 femmes sont sélectionnées pour 2 ans avec pour objectif de réaliser des courses ambitieuses. Elle en fera partie. « Ce fut un immense tremplin pour ma carrière d’alpiniste. J’ai ensuite rejoint l’armée, en 2008 et intégré le groupe militaire de haute montagne. Il n’y avait jamais eu de femmes dans ses rangs depuis sa création en 1981… »

La fierté passée d’intégrer une telle unité d’élite, le parcours du combattant se poursuit : « c’était une prouesse pour moi de parvenir à intégrer une telle unité. Jamais je n’aurai imaginé oser faire cela. L’armée était une institution très impressionnante et un monde assez unique. J’y ai énormément appris et rencontré de belles personnes, mais j’ai aussi vécu des situations douloureuses, inappropriées… qui ne sont plus tolérées aujourd’hui. »

Brimades, sexisme, pression psychologique… elle ne détaillera pas plus, mais le ton, le poids des mots, sont suffisamment éloquents pour percevoir les étapes qu’il lui a fallu franchir et le courage d’un femme qui ne lâche rien. « La montagne était ma passion. Ma passion était mon métier. Je pouvais gravir les plus beaux sommets. J’étais guide de haute montagne. J’avais l’un des meilleurs niveaux. Je gagnais les compétitions face à des hommes. C’était mon défaut principal… Abandonner sous la pression ? Il n’en a jamais été question. J’avais ma place, non pas parce que je suis une femme, mais parce que j’avais les qualités physiques et techniques requises. J’ai en revanche décidé de changer d’environnement. »

L’esprit d’équipe des CRS

La police recrute alors des personnels pour sa section secours en montagne. « J’ai passé le concours de gardien de la paix et ai été affectée en 2016 au sein de la section CRS de secours de haute montagne d’Albertville où l’équipe de renfort est basée. Nous avons également deux bases hélicoptères, l’une située à Modane et l’autre à Courchevel. » Les CRS de secours de haute montagne comptent aujourd’hui près de 200 gardiens de la paix et 10 officiers. Leurs missions sont multiples : secourir, rechercher et assister les personnes en détresse en montagne ; effectuer le traitement judiciaire des interventions de secours ; mais aussi participer aux actions de formation, d’information et de prévention en rapport avec le milieu montagnard. « Beaucoup d’interventions ont lieu en haute montagne mais l’essentiel, en pleine saison, a lieu sur les stations de ski. L’hiver, lactivité redouble. Les interventions sont réalisées à tour de rôle par la police nationale et la gendarmerie.Nous avons beaucoup de collisions sur les pistes. Nous redoutons notamment les accidents entre skieurs. Ça percute fort car les gens skient vite, très vite. Avoir de l’empathie sans mettre trop d’affect est essentiel, sinon, il est impossible de tenir la distance. Lorsque nous ne sommes pas en intervention ou d’astreinte, l’entrainement aux sports de montagne est de rigueur : ski, alpinisme et escalade rythment notre quotidien. Cela permet de rester au plus haut niveau technique et sportif mais aussi de travailler et renforcer notre esprit d’équipe. Il nous sera précieux en intervention. »

Ne jamais renoncer !

L’effort physique, se dépasser, se surpasser, le travail en équipe et la montagne, voilà ce qui motive quotidiennement Marion Poitevin.

Son chemin était loin d’être tout tracé, tout comme celui de la petite dizaine de femmes qui sont représentées aujourd’hui au sein des trois corps du secours en montagne. Mais elle veut adresser à toute femme qui nous lit, un message : « Osez ! Je n’aurai jamais imaginé en arriver là où j’en suis aujourd’hui et pourtant ! Je suis à ce jour la plus diplômée de France en haute-montagne. Membre des CRS de secours de haute montagne, je suis fière d’être policière. Fière aussi d’être mère. Et bien que tout cela nécessite de très nombreux sacrifices, la vie nous réserve de grandes choses. Alors foncez, donnez vous à fond, et ne reculez pas devant les obstacles ! »

Et d’ajouter : « A 18 ans, je pensais que le sexisme était derrière nous, que les batailles menées précédemment par nos aîné(e)s avaient permis de gagner ce combatA 37 ans, je constate que dans la voie que jai choisie, je n’ai occupé que des postes où aucune femme navait précédemment exercé ! Récemment, alors que j’étais enceinte, j’ai perdu mes dotations matérielles octroyées par mes sponsors… soit près de 25000 € sur 5 ans… Des indicateurs qui nous rappellent que l’égalité hommes-femmes, appelée des voeux de beaucoup dentre nous, est loin d’être acquise. »

Présidente de Lead The Climb qui a vocation à accompagner les femmes dans la prise de leadership des femmes dans les cordées, Marion Poitevin et les bénévoles oeuvrent en faveur de la diversité. « Beaucoup reste à faire mais c’est ensemble, avec les hommes non alpha, que nous y parviendrons. »

L’esprit rivé sur ses objectifs et l’avenir, elle se rappelle enfin se mantra inspiré d’Oscar Wilde « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »