Phénomène en pleine expansion, la prostitution des mineurs concerne majoritairement des jeunes filles âgées de 15 à 17 ans. Entre banalisation de l’activité, émergence des réseaux sociaux et manque de sensibilisation, la prostitution toucherait 7 à 10 000 mineurs. Ce nombre, inférieur à la triste réalité, ne cesse d’augmenter. Le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) recense une progression de 70 % du phénomène sur les cinq dernières années.
Par Camille Léveillé
« L’effet Zahia »
Selon Christophe Molmy, le fléau de la prostitution des mineurs a pris un véritable tournant ces dernières années : « Avant 2017, la mineure prostituée était une jeune fille avec de très mauvaises fréquentations et qui peu à peu l’amenaient à se mettre en danger. Ce schéma est beaucoup plus rare aujourd’hui, même si certaines victimes sont toujours issues d’un milieu dysfonctionnel. » Une majorité des jeunes filles qui se prostituent le font donc en connaissance de cause et l’auraient même « choisi ».Un mineur sur deux (49,7 %) reconnaît en effet des aspects positifs à la prostitution selon une étude menée par le département du Nord. Parmi eux, l’autonomie financière apportée, à 81,9%1. Cet « effet Zahia », caractérisé par une « glamourisation de la prostitution » entraine une banalisation de l’activité de la part des jeunes filles concernées. « Selon elles, elles font de l’escorting. Lorsqu’on leur demande la différence, elles expliquent qu’une prostituée ne choisit pas ses clients et est contrainte d’exercer son activité dans un contexte d’insécurité. Cela n’est, selon elles, pas leur cas » déclare le chef de la BPM.
Loin des clichés ancrés dans l’opinion publique, où la grande majorité des adolescents qui se prostitueraient seraient issus de milieux défavorisés — ce qui était encore vrai il y a quelques années —, les victimes de prostitution proviennent désormais de tous milieux sociaux, classe moyenne voire aisées y compris.2
Le nouveau visage des proxénètes
Les proxénètes sont majoritairement de jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans qui proposent des « packs » aux adolescentes sur les réseaux sociaux. En échange de 50 % des bénéfices, le jeune homme gère toute la logistique entourant de l’activité : transport, location de chambre d’hôtel et protection des jeunes filles. Mais, « petit à petit, la part financière de la prostituée fond. C’est souvent à ce moment-là que la jeune fille décide de porter plainte contre son proxénète. » selon Christophe Molmy. Et d’ajouter « dans une majorité des cas, les garçons impliqués dans les affaires de proxénétisme n’ont pas réellement conscience du rôle qu’ils jouent ou le minimisent, pensant qu’un proxénète exerce forcément une forme de contrainte.» En février dernier, 6 personnes âgées de 20 à 23 ans ont été condamnées à des peines allant de 2 ans de prison à 18 mois avec sursis pour « proxénétisme aggravé », « enlèvement » et « séquestration » sur une mineure de 17 ans.
Le proxénétisme constitue un délit, puni de peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 1,5 million d’euros d’amende si le mineur à 16 ou 17 ans. En dessous, elles peuvent monter jusqu’à 15 ans d’emprisonnement et 3 millions d’euros d’amende.
Les réseaux sociaux : un facilitateur
Selon le rapport sur la prostitution des mineurs, « certains usages du numérique exposent les adolescents à des risques en lien avec la pratique prostitutionnelle : exposition précoce à la pornographie et banalisation de celle-ci, harcèlement en ligne, échanges de « nudes » permettant des chantages… » Entre recrutement, annonce ou encore prise de contact, aujourd’hui tout se passe sur ces réseaux sociaux. Des sites comme Vivastreet ont par ailleurs été accusés d’héberger des annonces visant à la prostitution de mineurs. Depuis juin 2018, la section « rencontre » du site a été suspendue. Les jeunes filles trouvent donc de nouveaux moyens pour diffuser leurs annonces via Instagramet Snapchat, réseau particulièrement utilisé car les messages envoyés disparaissent instantanément et sont donc plus difficiles à tracer.
Les réseaux sociaux compliquent la lutte contre la prostitution. Dès lors qu’un réseau supprime un compte, ce dernier peut être recréé à partir d’une nouvelle adresse mail quasi instantanément.
L’intensification de la lutte
Conscient de l’explosion du phénomène, l’ancien gouvernement d’Emmanuel Macron a présenté un plan national de lutte contre les enfants victimes de prostitution déployé en 2021 et 2022. Porté par l’ancien Secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, Adrien Taquet, il repose sur 4 piliers : la sensibilisation et l’information, le renforcement des repérages, l’accompagnement des mineurs en situation prostitutionnelle et le renforcement de l’action judiciaire contre les clients et proxénètes. 14 millions d’euros ont été ainsi promis par l’Etat pour financer les nouvelles mesures. Parmi elles : nouveaux clips de sensibilisation, développement de formations réunissant tous les acteurs confrontés à la prostitution infantile, création d’un dispositif d’accompagnement et/ou d’hébergement dans chaque département pour protéger les mineurs victimes de prostitution ou encore développement d’enquêtes dans le domaine du cyber proxénétisme.
A ce nouveau plan, s’ajoutent l’action judiciaire et associative. Depuis septembre dernier, un groupe de 7 personnes de la BPM traite les affaires de proxénétisme les plus complexes.
Agir Contre la Prostitution des Enfants (ACPE), une association engagée dans la lutte contre la prostitution des mineurs, notamment dans les foyers de l’aide sociale à l’enfance (ASE), propose, elle, des formations à destination des professionnels et des accompagnements psycho-éducatifs pour des jeunes victimes de prostitution. L’association interviendra prochainement au sein d’un lycée du Val d’Oise : « Nous organiserons des ateliers de paroles autour de la sexualité et la pornographie. Ils ne seront pas directement tournés vers la prostitution mais peuvent être en lien. » relate Bérengère Wallaert, déléguée générale de l’association. Et d’ajouter : « Nous avons des permanences pour accueillir ces jeunes, leurs parents ou les éducateurs. Notre objectif n’est pas directement de faire sortir les adolescents de la prostitution mais nous leur proposons un accompagnement psycho-éducatif pour les amener à réfléchir à leurs vies et leurs projets. Le but est qu’ils puissent reprendre leur vie en main, pour qu’ensuite, ils s’engagent vers un chemin différent de la prostitution.» L’ACPE mènedes campagnes de communication, parfois chocs, afin d’alerter le grand public. Elle se constitue partie civile dans certaines affaires liées au proxénétisme.
Christophe Molmy salue la coopération entre la BPM et les associations : « Elles peuvent permettre une prise en charge efficace des mineurs, ce qui est très précieux. Si les victimes ne sont pas emmenées dans d’autres départements ou régions de France, elles retourneront dans la rue ou dans des foyers et garderont les mêmes fréquentations ».
Enfin, les parents peuvent jouer un rôle décisif. Après un an de fugue et de prostitution, Nina, 15 ans au moment des faits, appelle ses parents au secours. Ils témoignent : « Il est important pour les parents de ne pas juger leurs enfants. Il ne faut pas couper ce lien, c’est vraiment la seule chose qui permet à l’enfant de revenir au sein du foyer. »
Continuer d’agir
Si les initiatives pour lutter contre la prostitution des mineurs se multiplient, la question de leur efficacité se pose. La remontée d’information est aujourd’hui l’une des principales problématiques à laquelle font face les policiers de la brigade de protection des mineurs. « Nous avons besoin d’informations qui nous permettent d’interpeller et d’intervenir le plus rapidement possible dans ces dossiers car dans l’idéal, l’interpellation doit se faire en flagrant délit pour arrêter les proxénètes et caractériser l’infraction. La création d’autres groupes comme celui que nous avons mis en place se justifierait au regard de l’augmentation exponentielle des saisines en la matière. » expose le chef de la Brigade de protection des mineurs et d’ajouter « Il est essentiel de renforcer et d’amplifier le travail d’éducation et de sensibilisation auprès des jeunes, car aujourd’hui, les filles qui se prostituent ont l’impression que leurs actes n’auront pas de conséquences psychologiques ou d’impacts sur leurs vies futures. Elles banalisent leur activité. »
Un enjeu auquel tente de répondre la campagne nationale de sensibilisation lancée en février dernier par le gouvernement Castex, « Je Gère », dont le but est de prévenir des dangers liés à la prostitution des mineurs. Les premiers résultats de cette campagne sont encourageants. Plus de 8 Français sur 10 estiment cette campagne est nécessaire et qu’il s’agit d’une bonne initiative de la part de l’ancien gouvernement. Ils sont également 80% à déclarer qu’ils appelleraient le 119, numéro d’aide, s’ils étaient confrontés à cette situation.
1 Enquête sur les conduites prostitutionnelles de mineurs dans le Nord, 2021
2 Gurvan Kristanadjaja et Marie Piquemal, “Des adolescentes de tous les milieux tombent dans l’engrenage”, Libération, 12/05/2021, https://www.liberation.fr/societe/aujourdhui-des-adolescentes-de-tous-les-milieux-tombent-dans-la-prostitution-20210512_25PIAHIVWJGPREIRRZOXUJZZAQ/