Finlande, Suède et OTAN : récit et conséquences d’une adhésion

Le bouleversement géopolitique lié à la probable adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN entraîne des conséquences à l’échelle régionale, et ce, notamment dans deux espaces distincts : la mer Baltique et l’Arctique. Si le premier est un espace de compétition depuis des décennies, le second représentait jusqu’à il y a peu un exemple de coopération. Plusieurs questionnements émergent : la Suède va-t-elle renforcer son dispositif militaire sur l’île de Gotland ? La Finlande doit-elle militariser les îles d’Åland ? Comment combattre efficacement la stratégie de déni d’accès de Moscou dans la région ? Se dirige-t-on vers une militarisation de l’Arctique ?

Par Corentin Dionet

Rupture dans lenvironnement stratégique régional

« Nous nous trouvons à un tournant, ou Zeitenwende selon lexpression allemande consacrée. Cest la fin de la période post-guerre-froide et le départ dune nouvelle ère, qui sera très certainement dessinée par lissue de la guerre en Ukraine. Je ne perçois pas un sentiment durgence en Suède, plutôt un sentiment de réticence tout en ayant conscience de la nécessité de répondre à la crise. Il est largement accepté dans notre société civile que le conflit en Ukraine est une rupture dans larchitecture de l’ordre sécuritaire européen. Nous allons devoir construire une nouvelle structure sécuritaire contre la Russie et non pas avec elle, car elle représente la menace » diagnostique Robert Dalsjö, directeur de recherche à la Swedish Defense Research Agency.

Les conséquences du processus d’adhésion, pour l’environnement stratégique d’Helsinki et de Stockholm, sont importantes, notamment en mer Baltique. Alors que la structure du commandement de l’OTAN dans les pays baltes est extrêmement complexe, se déclinant sur plusieurs couches, l’addition de la Suède et de la Finlande à l’OTAN pourrait changer la donne. Edward Lucas espère qu’elle « permettra de régler les incohérences stratégiques dans la région en créant les conditions idoines pour résoudre les problématiques »1. Couplé à la récente décision du Danemark d’abandonner l’opt-out sur la coopération sécuritaire européenne, l’adhésion des deux pays permettra de coordonner à l’échelle régionale les acquisitions de matériels, puisque tous les pays font partie des mêmes structures et regardent leur environnement stratégique du même œil. Ce qui va maximiser l’aspect dissuasif de l’architecture sécuritaire régionale en comblant les trous capacitaires, mais également accroître le poids géopolitique des pays baltes et nordiques dans l’Alliance atlantique.

« La mer Baltique devient par ladhésion de la Suède et de la Finlande un NATO Lake » affirme Robert Dalsjö. Si la formation des sociaux-démocrates suédois a exprimé ses réservations concernant la mise en place de bases permanentes de l’OTAN, ou de bases nucléaires, sur le sol suédois, le gouvernement finlandais a été moins péremptoire sur le sujet. Les activités militaires de l’Alliance, sur et autour de la mer Baltique, pourraient devenir de plus en plus intégrées avec les forces armées d’Helsinki et Stockholm2.

Gotland et Åland : nœuds géostratégiques clés

« Je pense que cette adhésion représente un soulagement pour les pays de la région car il sera beaucoup plus aisé de défendre la mer Baltique. Les missions de police de lair dans les pays baltes seront plus facilement assurées. L’île de Gotland (localisée à seulement 330 kilomètres de l’enclave russe de Kaliningrad) est un point géostratégique clé, et ce sera l’un des points quil sera nécessaire de prendre en compte et de résoudre au sein de lAlliance. En effet, la Suède est très prudente au sujet de l’île et prend très au sérieux sa défense » explique Minna Ålander, assistante de recherche finlandaise au sein du German Institute for International and Security Affairs. Et d’ajouter : « Personnellement, je ne pense pas quil soit nécessaire de remilitariser les îles Åland. Cette zone géographique est déprise en compte dans les préparations et les planifications d’Helsinki en matière de défense territoriale. La mise en place dune présence militaire sur place doit faire lobjet dune requête de la part des habitants. Pour linstant, la sécurité de larchipel semble suffisamment garantie. Malgré tout, il est peut-être trop tôt pour le dire ».

Les îles Åland furent démilitarisées suite au traité de Paris mettant fin à la guerre de Crimée, en 1856, avant que la Société des Nations ne résolve une querelle entre Stockholm et Helsinki concernant la souveraineté sur l’archipel.3 Après les avoir occupées militairement pendant la Seconde Guerre mondiale, la Finlande a démilitarisé les îles et les citoyens ont été exemptés de conscription.4 L’emplacement géographique de l’archipel est hautement stratégique et sa remilitarisation est un sujet très sensible en Finlande, alors même que le perte de son contrôle pourrait entraîner des conséquences désastreuses sur les capacités d’approvisionnement finlandaises. « La Finlande est responsable de la défense des îles Åland et rien nindique quil soit aujourdhui nécessaire de remilitariser larchipel. Dans l’éventualité d’une attaque armée, Helsinki se juge capable de défendre et/ou reprendre les îles Åland » indique Martin Hurt, chercheur spécialiste de l’OTAN à l’ICDS5.

Pekka Haavisto, ministre des Affaires étrangères finlandais, développe : « D’un point de vue stratégique, pour le contrôle de la mer Baltique, les îles Åland sont importantes, tout comme Gotland lest. Nous avons conscience de cet enjeu. Pour nous, il est primordial que notre armée planifie certaines mesures concernant larchipel, quil conviendra de mettre en place seulement si lon décèle une menace »6. Les pays baltes craignent depuis de nombreuses années que la Russie se serve des îles finlandaises et suédoises dans la mer Baltique comme de bases pour lancer des attaques sur leur territoire, alors même que de nombreux analyses qualifient Gotland de « porte-avion au milieu de la mer Baltique »7. Face à la stratégie russe de déni d’accès dans la région, notamment au travers de l’enclave de Kaliningrad, « L’Alliance atlantique pourrait construire sa propre zone de déni daccès si elle le souhaitait. Cela permettrait de renforcer laspect dissuasif de lOTAN, tout en enlevant à Moscou la possibilité de s’emparer de l’île de Gotland » selon Robert Dalsjö.

Militarisation de lArctique

La Russie a pris la présidence du Conseil de l’Arctique au printemps 2021 pour deux ans, jusqu’en 2023. La coopération est aujourd’hui gelée puisque les sept autres nations ont décidé de ne pas participer aux réunions planifiées, accusant Moscou de ne pas respecter les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale suite au déclenchement des opérations russes le 24 février dernier8. « Nous devons comprendre quun changement dans le statut polio-militaire de certains pays va mener à des ajustements concernant le développement de coopération à haut-niveau. Ces ajustements restent à déterminer »9 a indiqué Nikolai Korchunov, haut-représentant russe au Conseil de l’Arctique. Notons que pour la Russie, il semblerait que le mot d’ordre soit business as usual malgré le boycott occidental. Un boycott qui intervient alors qu’en décembre dernier, les discussions des huit pays tournaient autour des contours d’un plan stratégique sur 10 ans.10

« L’Arctique, jusqu’ici, a été déconnectée des autres conflits. Il ny a pas vraiment d’intérêt à coopérer dans la région sans la Russie qui possède la moitié du territoire Arctique. C’est un véritable défi, puisque la plupart des formats et des initiatives de coopération sont gelées à l’heure actuelle. Lorsque la Suède et la Finlande deviendront membres de lAlliance, sept des huit pays du conseil de lArctique feront partie de lOTAN. Il y aura donc plus de présence de la part de lAlliance atlantique sur place. De son côté, Moscou développe activement et largement ses capacités dans la région. Cest bien la Russie qui est lagresseur, et l’élément responsable de la détérioration de la sécurité. Cependant, une escalade militaire semble peu probable. La frontière entre la Finlande et la Russie est calme et la plupart des troupes russes sont engagées en Ukraine » dévoile Minna Ålander. Dès 2020, Martin Hurt développait sa vision quant à la militarisation de la mer Baltique et du Grand Nord11. Il affirme aujourd’hui : « L’Arctique est démilitarisé puisque la Russie y a amélioré ses capacités et a déclenché un processus de militarisation. Cela est déen cours. Il faut accroître la coopération contre la Russie. Ladhésion de la Suède et de la Finlande offre de nouvelles possibilités en mer Baltique et dans le Grand Nord. Individuellement, la Norvège, la Suède et la Finlande sont plutôt faible en Arctique, mais ensemble, grâce à de la coopération, ces nations pourront renforcer l’OTAN ».

Justement, la Finlande est dotée d’unités spécialisées dans le combat en milieu arctique, et est en capacité de projeter des unités dans le Grand Nord. Les enjeux sont les mêmes pour les deux camps, le contrôle d’éventuelles nouvelles routes maritimes pouvant s’ouvrir du fait du réchauffement climatique. L’actuel sous-secrétaire d’État à la politique étrangère et de sécurité au ministère finlandais des affaires étrangères, Kai Sauer témoigne : « Grâce à notre position géographique, nous avons de larges compétences dans les enjeux arctiques techniquement mais également politiquement. Je pense que, alors que lArctique, ou Grand Nord, selon le jargon de lOTAN, devient de plus en plus important, il est positif davoir des pays comme la Finlande et la Suède contribuant à la stratégie commune de lOTAN dans la région »12.

Robert Dalsjö, lui, va encore plus loin : « La militarisation de lArctique est belle est bien entamée depuis un certain nombre d’années. Vladimir Poutine a choisi la confrontation plutôt que la coopération. La guerre en Ukraine va changer l’équilibre en Europe de manière permanente. Nous nous dirigeons vers une nouvelle Guerre froide, avec un nouveau rideau de fer. La seule question étant : où sera-t-elle dessiné? »

Si ces dernières affirmations méritent certainement d’être nuancées, il n’en reste pas moins qu’elles témoignent de l’état d’esprit d’une large part des pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que des pays nordiques et baltes. Paris, si elle souhaite poursuivre sa promotion de l’autonomie stratégique européenne, doit entendre ce discours et ajuster le sien en conséquence, au risque de se voir isoler sur la scène diplomatique.

1 Quinn Colm, (mai 2022), « Sweden Follows Finland’s Steps Towards NATO », Foreign Policy

2 Selden Zachary, (mai 2022), « Will Finland and Sweden joining NATO deepen the Alliance’s problem ? », War on the rocks

3 Mäkelä Petri, (Septembre 2016), « Åland the blank spot in the Baltic Sea », Define the New Europe

4 Idem.

5 International Centre for Defence and Security

6 Sander F. Gordon, (mai 2022), « Finland’s Foreign Minister on Why Helsinki Is Moving Toward NATO Now », Foreign Policy

7 Milne Richard, (mai 2022), « Baltic states hail Finland and Sweden’s expected Nato accession », Financial Times

8 Staalesen Atle, (mai 2022), « Arctic Council chairman warns against Nordic NATO expansion », The Barents Observer

9 Idem

10 Nilsen Thomas, (mars 2022), « Arctic Council “in pause mode” as seven of eight member states condemn war », The Barents Observer

11 Hurt Martin, (septembre 2020), « Military Tension Increases in the Baltic Sea Region », International Centre for Defence and Security

12 Bayer Lily, Herszenhorn David, (mai 2022), « Putin’s war backfires as Finland aims to join NATO », Politico