La Marine nationale : entre adaptation et innovation

« Nous assistons à un retour stratégique, et notamment un retour stratégique de la mer. Il y a un retour des compétitions de puissances des empires contrariés tels que la Russie, la Turquie ou la Chine. Aujourdhui, ils ont mis laccent sur la puissance maritime. » déclarait le chef d’Etat major de la Marine nationale Pierre Vandier. A titre d’exemple, la Chine a annoncé augmenter de 138% sa flotte entre 2008 et 2030. Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers la Méditerranée et l’Indo-Pacifique alors que la Mer, intégrée à la Boussole stratégique de l’espace maritime, suscite l’intérêt.

Par Diane Cassain

L’enjeu environnemental : nouvelle préoccupation de la Marine

Le GIEC prévoit une augmentation maximale d’un mètre du niveau de la mer d’ici 2100 et d’importants bouleversements océanographiques et biologiques dus au changement climatique. Les conséquences seront multiples : déplacements de populations, compétition pour l’exploitation des zones économiques exclusives, dont certaines sont déjà contestées ou encore des crises alimentaires. Dans ce contexte, la Marine nationale devra adapter ses forces tant sur le volet de la surveillance que sur celui de l’intervention. L’objectif sera de pouvoir intervenir sur des catastrophes humanitaires de grande ampleur. Le Centre d’études stratégiques de la Marine appelle la Royale à « prendre en compte ces évolutions multiformes, en adaptant ses missions, ses équipements, et la formation de ses équipages »1.

La Méditerranée : carrefour stratégique

« La Méditerranée est notre frontière. Toute crise qui sy déroule affecte directement les intéts et la sécurité de la France. » explique Jean-Jacques Ferrara, député co-rapporteur du rapport parlementaire paru en février dernier sur « les enjeux de défense en Méditerranée ».

Aujourd’hui, la Méditerranée est l’un des principaux foyers de tensions mondiales. Pour faire face à cette multiplication des conflits, les Etats de la région se réarment massivement. L’Algérie a notamment construit deux porte-hélicoptères d’assaut et possédera bientôt dix frégates et quinze corvettes. Son budget de défense a atteint 6,5% du PIB en 2021 alors qu’il représentait 2,6% du PIB en 2007. L’Algérie est dotée de moyens suffisants pour « constituer une bulle de déni daccès dans le détroit de Gibraltar et jusquau sud de lEspagne »2. L’Italie, le Maroc et l’Egypte ont également présenté des programmes de défense ambitieux. Aussi, est-il essentiel, pour Jean-Jacques Ferrara, que la Marine française « dispose de moyens pour faire respecter le droit international, permettre des opérations de réassurance avec ses partenaires et jouer le rôle de gendarme dans cet espace ».

« Gagner en épaisseur » : une nécessité

La question du retour à des conflits de haute-intensité revient sur le devant de la scène. Les politiques et armées du monde s’y préparent. La Marine nationale a participé en ce sens, à l’exercice Polaris au large de Toulon en novembre dernier. Selon Florence Parly, alors ministre des Armées, « cet exercice représente la préparation au combat la plus intense connue par les militaires présents et globalement une réussite. ». « Aujourd’hui, la question de la masse critique se pose. Notre puissance navale est crédible mais nous risquons de nous retrouver face à des ruptures capacitaires temporaires, et ce, rapidement » souligne le député. Pour lui, passer de 15 frégates de premier rang à 18 est un minimum. « Nous devons gagner en performance, que ce soit sur les capteurs ou les systèmes d’armes pour garder une supériorité opérationnelle. » confirme Jérôme Perrin, directeur des techniques navales de la Direction Générale de l’Armement (DGA).La Marine nationale doit également remplacer ses missiles anti-navires Exocets qui ne sont plus compétitifs face aux missiles supersoniques tel que le Zircon russe. « La modernisation de notre flotte a été retardée mais doit redevenir un chantier prioritaire » déclare Jean-Jacques Ferrara. Et d’ajouter : « Passé le temps des atermoiements, je suis convaincu que nous y arriverons. Nous devons tirer les leçons de ces exercices récents. »

La coopération internationale

Affronter les défis de demain ne se fera pas sans coopération. « Dans le contexte de l’OTAN, la Marine française est totalement interopérable avec les autres Marine que ce soit au niveau des matériels ou des procédures. Depuis des années, lors de chaque mission autour du groupe aéronaval, des bateaux étrangers sont intégrés.» explique le capitaine de vaisseau Eric Lavault, commandant du SIRPA Marine. Coopération qui s’est illustrée une nouvelle fois durant la récente mission Clemenceau 22 où furent intégrées les armées belge, américaine, espagnole et grecque au déploiement du GAN français en Méditerranée. Dans le cadre de cette mission et de l’opération Chammal, destinée à lutter contre le terrorisme au Levant, plus de 70 missions aériennes ont été menées. Les combats aériens et la défense de zone entre les aéronefs du GAN et l’Armée de l’air grecque ont entrainé les deux armées à un niveau élevé d’interopérabilité. « Lors de Clemenceau 22, ce niveau d’interopérabilité entre les Marines françaises et américaines, a permis aux Rafales et Hawkeye français d’apponter, une fois de plus, sur le Truman, porte-avion américain » confie Eric Lavault.

Après 30 000 kilomètres parcourus et environ 260 heures de vols de surveillance maritime et de protection,« le groupe aéronaval a atteint lensemble des objectifs de sa mission »3 s’est félicité la Marine après le retour à quai du GAN.

D’autres coopérations ont récemment eu lieu, notamment le déploiement d’urgence des patrouilleurs « La Glorieuse » et « Arago » lors du récent tsunami aux îles Tonga qui s’est inscrit dans un cadre de coopération régionale France-Australie-Nouvelle-Zélande.

La Marine tournée vers l’avenir

« Aujourdhui, nous avons des enjeux dinnovation importants autour de la connectivité, des sonars et des drones. Lun des principaux défis concerne la veille coopérative navale, système qui permet à des bateaux d’échanger les détections des radars en temps réel. Cette technologie a déjà été démontrée et en cours d’intégration sur les bâtiments. Sur les sonars, nous allons chercher à mettre en place des solutions à base dintelligence artificielle. » explique Jérôme Perrin.

D’autres équipements tels que les Sous-Marins Nucléaires Lanceurs d’Engins (SNLE) vont être progressivement remplacés par des SNLE de troisième génération, réputés plus performants. Ils entreront en service tous les 5 ans dès 2035. Enfin, les premières images de ce que pourrait être le porte-avions nouvelle génération qui remplacera le Charles de Gaulle à partir de 2038 ont été dévoilées. Radars de veille très longue portée, auto défense rapprochée, propulsion nucléaire ou encore catapultes électromagnétiques seront intégrés à ce nouveau « titan des mers ».

La Marine nationale pourrait enfin être la première au monde à intégrer des technologies quantiques au sein de ses équipements. D’ici 2026, 4 bâtiments devraient être équipés du système GIRAFE (Gravimètres interférométriques de recherche à atomes froids embarquables). Il permettra notamment de s’affranchir des systèmes de positionnement par satellite, pouvant être brouillés et ainsi, garantir une autonomie stratégique à la France.

1 “La Marine nationale au service des français”, Hors série Etudes Marines, Centre d’études stratégiques de la Marine, mars 2022

2 Rapport d’information “les enjeux de défense en Méditerranée”, 17 février 2022, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b5052_rapport-information#_Toc256000010

3 “CLEMENCEAU 22 – Bilan du déploiement du groupe aéronaval en Méditerranée pour la sécurité de l’Europe”, Marine nationale, 08/04/2022, https://www.defense.gouv.fr/marine/actualites/clemenceau-22-bilan-du-deploiement-du-groupe-aeronaval-mediterranee-securite-leurope