Armes illicites : la nécessite d’une lutte commune

Plus d’un milliard d’armes à feu circulent probablement dans le monde. Aucun moyen de connaître le nombre exact, la part darmes illégales étant inconnue. Pourtant, ces armes tuent, blessent et prolifèrent continuellement. Pour endiguer le problème, Etats et institutions inter-étatiques sengagent.

Par Lola Breton

Le conflit russo-ukrainien qui a débuté le 24 février 2022 apporte son lot de défis et rappelle à la mémoire de la coopération internationale plusieurs enjeux qu’il convient d’affronter. Il existe une crainte autour des risques de prolifération d’armes en Ukraine et dans les pays alentours aujourd’hui et dans le futur. Et pour cause, « pendant le conflit de 2014, des stocks darmes ont été capturés par les deux parties du conflit et on a assisté une grosse prolifération darmes militaires au sein de lUkraine », explique Nicolas Florquin, responsable des données et analyses au sein du programme indépendant Small Arms Survey. On estime que 300 000 armes légères et de petit calibre (ALPC – dites armes individuelles qui vont des armes à feu personnelles aux missiles portatifs en passant par les mitraillettes) avaient alors disparu, dont 100 000 en Crimée. Si les autorités ont réussi à en récupérer quelques milliers, le reste a continué de circuler hors du contrôle de l’Etat ukrainien, dans les mains des groupes criminels, et via internet.

Il est donc probable que certaines de ces armes soient actuellement utilisées dans la guerre. « Il ny a pas eu de trafic de grande ampleur entre lUkraine et ses pays frontaliers après 2014, sûrement parce que les contrôles ont bien été faits notamment dans la zone Schengen mais aussi parce que le conflit n’était pas résolu dans lest. Il y avait donc une perception d’insécurité qui poussait les gens à garder les armes et à ne pas les vendre. »détaille Nicolas Florquin.

Détournement darmes légales

Ce qui se déroule aujourd’hui en Ukraine n’est en réalité qu’un exemple du fléau invisible que représente la prolifération des armes légères et de petits calibres dans le monde. « On estime qu’un milliard d’armes à feu, sous-entendu armes de petit calibre, sont aujourdhui en circulation, dont 40% se trouvent aux Etats-Unis qui nest pourtant pas la région la plus touchée par la violence armée, chiffre Nicolas Florquin. La majorité de ces armes sont licites. La part de lillicite reste extrêmement difficile à évaluer. »

Si leur nombre exact est inconnu, l’origine des armes illicites, elle, semble plutôt claire. Selon Nicolas Florquin, les groupes criminels passent par trois voies particulières pour mettre la main sur ces engins. « La plus connue, cest le détournement darmes légales. Cela arrive lors de transferts, par exemple. Quand une exportation est censée avoir lieu vers un pays, elle est parfois détournée à coup de faux documents ou dagents corrompus par les groupes criminels. Cétait le scénario classique en Afrique de lOuest ou en Angola dans les années 1990 et au début des années 2000. Il existe aussi une voie de détournement des stocks nationaux. C’était le cas en Libye en 2011, où les groupes armés avaient pillé les hangars officiels. Dans une moindre mesure, on retrouve aussi des armes appartenant à des civils qui se les sont faites voler, par exemple. »

Des armes réutilisées

Nicolas Florquin poursuit : « Le deuxième parcours possible consiste en la production illicite darmes. Cest une activité qui a beaucoup évolué avec les nouvelles technologies comme limpression 3D. Cela comprend également les armes convertibles : des pistolets dalarme convertis par des trafiquants pour tirer de vraies balles. Les engins explosifs improvisés font également partie de cette production illicite. Enfin, les armes légères ne sont pas collectées et détruites à la fin dune guerre. Elles ne disparaissent pas pour autant. Au contraire, elles peuvent être trafiquées et réutilisées dans dautres conflits et infractions, parfois des dizaines d’années plus tard. »

Le problème est donc majeur et les groupes criminels toujours plus inventifs pour mettre la main sur de nouveaux stocks. A toutes les échelles, et notamment au niveau international, des mesures sont prises pour tenter d’endiguer le phénomène. L’ONU a adopté, en mai 2001, le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions. Celui-ci a pour but de contraindre les Etats membres à mettre en place des lois sur le contrôle des armes, ou sur leur production et leur circulation. Depuis, elle a également signé le Traité sur le Commerce des Armes (TCA), adopté en 2013, qui réglemente le transfert des armes classiques, y compris les armes légères. Le Programme d’action contre le commerce illicite, adopté en 2001, se veut un « instrument politique non contraignant mais plutôt complet parce quil aborde le sujet de la production à la destruction de larme et donne un rythme aux pourparlers internationaux » ajoute Nicolas Florquin.

Au-delà de la prolifération

Le programme réaffirme que « tous les Etats ont le droit de fabriquer, dimporter et de détenir des armes légères pour les besoins de leur défense et de leur sécurité ainsi que pour être en mesure de participer aux opérations de maintien de la paix. » Il s’engage aussi à « pousser les Etats dans la lutte pour prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères », notamment en appliquant les lois mises en place, en créant un point de contact national sur ces questions, en identifiant les groupes qui fabriquent, commercialisent, stockent, transfèrent ou possèdent illégalement des armes et ceux qui en financent l’acquisition.

Au niveau régional, les initiatives et les lois se multiplient également. L’Union européenne régit par exemple l’accès aux armes industrielles par un règlement européen de 1991. Et cela fonctionne, au moins en partie. Les programmes de lutte européens ont, depuis 1991, permis de neutraliser près de 860 000 armes à feu sur le continent.

Le fléau n’a toutefois pas disparu. Il se terre encore dans les failles qui parcourent les systèmes légaux. « La question de la gestion des stocks est très structurelle, souligne Nicolas Florquin. Or, nul pays ne pourra bien le faire sans être transparents sur lentièreté de sa politique darmement. »

Une lutte coordonnée en Afrique de l’Ouest

Depuis 2006 et la signature de sa convention sur les armes légères et de petit calibre, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est fortement engagée dans la lutte contre la prolifération illicite de ces armes. « La circulation illicite est un problème majeur en Afrique de l’Ouest, appuie Anzian Kouadja, expert ivoirien en contrôle des armes, prévention et gestion des conflits. La porosité des frontières et les nombreux conflits dans la région favorisent l’émergence de ce fléau. »

Plusieurs initiatives concrètes sont déjà en place. « Il y a eu un renforcement du cadre législatif. Les Etats se sont engagés à améliorer le marquage des armes de leurs forces pour créer une base de données nationale – et, à terme, régionale – et assurer un meilleur traçage. » explique l’expert.La Côte d’Ivoire se veut moteur avec, en 2019, 42 000 armes déjà enregistrées comme appartenant aux différentes brigades ivoiriennes. Trois ans plus tard, la quasi-totalité serait désormais marquée.

Anzian Kouadja ajoute : « Les Etats doivent également collecter les armes qui circulent un peu partout, les retirer du circuit illicite et les détruire. Bien entendu, il y a toujours des défis parce que les frontières sont très poreuses, mais les efforts fournis par les Etats porteront inévitablement leurs fruits. » En Côte d’Ivoire, la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre (ComNat-ALPC), créée dans l’élan de la CEDEAO, a récolté et détruit plus de 35 000 armes depuis 2012. Elle se charge alors de les détruire en les découpant – option efficace et non-polluante.