Quel avenir pour les prisons ?

« Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant; il en sortit impassible.Il y était entré désespéré ; il en sortit sombre». Si la plume de Victor Hugo nous informe ici sur les maux que peut générer l’incarcération, il convient aujourd’hui de s’interroger sur ce qu’il peut advenir de la prison, en tant qu’espace de sanction mais aussi de réinsertion. Les chiffres sont éloquents : 63% des sortants de prisons sans accompagnement adapté récidivent dans les 5 années suivant leur libération. Alors que la peine perd de son sens, il devient nécessaire d’ouvrir le champ de la réflexion sur l’avenir des prisons.

Par Hugo CHAMPION

Comment endiguer le phénomène de surpopulation carcérale?

Fréquemment pointé comme le premier des maux carcéral, le phénomène de surpopulation en prison dénature le sens de la peine. « Dans les maisons d’arrêt (où sont incarcérés les prévenus – présumés innocents, en attente de jugement et les condamnés à de courtes peines), il n’est pas rare de voir des taux d’occupation de 150, 180, voire 200% », expliquait en avril dernier Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. A titre d’exemple, au 1er janvier 2022, l’administration pénitentiaire annonce pour la maison d’arrêt de Chambéry, un taux d’occupation de 144% au vu de sa capacité opérationnelle de 86 places pour 124 détenus. Dès lors, plusieurs pistes se dessinent afin de limiter la surpopulation carcérale.

D’abord, « la loi dit que la détention provisoire doit être le dernier recours alors même quon a aujourdhui 30% dincarcération pour des personnes en attente de jugement donc présumées innocentes», indique Estelle Carraud, membre du Syndicat National de l’Ensemble des Personnels de l’Administration Pénitentiaire (SNEPAP-FSU). Il convient donc aux juges de limiter le placement en détention provisoire. Cette pratique s’inscrit dans une politique qui tend à augmenter les capacités du parc pénitentiaire et qui « peut s’avérer incitatif à recourir plus fréquemment à la détention provisoire », souligne Jean-Paul Céré, Directeur du Centre de recherche sur la justice pénale et pénitentiaire à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, président honoraire de l’association française de droit pénal. Aussi peut-on s’inspirer d’autres modèles. Au Danemark, « la limitation de la durée de détention provisoireest très cadrée. Il faut justifier au bout dun mois si on veut renouveler le placement en détention», explique Estelle Carraud.

La lutte contre la surpopulation s’avère complexe. Une politique globale doit être mise en œuvre afin d’endiguer par différents moyens ce phénomène. Elle nécessite, entre autres, « de déjouer le recours aux courtes peines privatives de liberté et de leur substituer des mesures alternatives (semi-liberté, placement sous surveillance électronique, travail d’intérêt général…) », résume Jean-Paul Céré.

L’alternative à l’incarcération: une solutionviable et acceptable?

L’incarcération reste le modèle de référence de la punition. Néanmoins, d’autres formes de peines et de sanctions existent en France. « Il faut faire comprendre que la prison n’est pas la seule peine existante, ni la plus efficace en terme de prévention de la récidive », explique Estelle Carraud. Au début de l’année 2020, environ 2 000 condamnés effectuaient leur peine dans le cadre d’un centre de semi-liberté (QSL), 11 558 bénéficiaient d’un bracelet électronique et près de 950 étaient dans un centre de placement extérieur. Afin de favoriser le développement des peines alternatives à l’incarcération, il est nécessaire de délimiter le champ de la peine. « Est-ce que des conduites sans permis, par exemple, sont un motif dincarcération? La question peut également se poser sur la consommation de stupéfiants. Jusqu’où peut-on aller pour les réponses pénales? », s’interroge Estelle Carraud. L’incarcération doit-elle être la seule réponse pour celui qui enfreint la loi ?

« Depuis une vingtaine d’années, le législateur n’a eu de cesse d’opérer un mouvement de balancier entre mesures sécuritaires ou, au contraire, mesures favorisant la recherche d’alternatives à l’emprisonnement et à l’aménagement de la peine en milieu libre. Les réformes successives et contradictoires débouchent aujourd’hui sur un millefeuille législatif extrêmement technique et peu lisible », souligne Dominique Simonnot. Parmi les solutions envisagées, on retrouve le principe de régulation carcérale qui verrait au-dessus de 100 % d’occupation, à chaque entrée de nouveau détenu, la sortie d’un autre, sous le contrôle du juge d’application des peines. Certains de nos voisins européens ont réussi ce pari grâce à une politique volontariste. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a notamment prévu une visite prochainement, dans certains Länder, en Allemagne.

Le recours à l’innovation technologique

En plus des besoins humains qui sont régulièrement mis en exergue par le personnel de l’administration pénitentiaire et par les politiques, le développement des outils numériques pour les détenus prisons constitue un point d’amélioration notable. Le programme Numérique en détention (NED), qui vise à permettre aux personnes détenues, via des tablettes numériques, de consulter leur compte nominatif, de cantiner ou encore de saisir l’administration de requête, représente un outil de premier plan pour améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées. Son expérimentation est en cours à Melun, Strasbourg et Dijon. La généralisation de NED est prévue pour 2024. Cet outil représente un enjeu à la fois sociétal et sécuritaire car il permettrait d’une part de réduire la fracture numérique, et d’autre part, de favoriser la réinsertion des détenus par un accès à la formation professionnelle et au maintien des liens familiaux, qui représentent un vecteur de réinsertion sociale et donc de prévention de la récidive. Le télémédecine est également en passe de se développer sur l’ensemble du parc pénitentiaire permettant de réduire des extractions médicales jugées coûteuses tout en gagnant une qualité de suivi pour le patient incarcéré.

La prison comme espace de punition et de préparation à la sortie

L’architecture de la prison constitue un enjeu primordial pour repenser l’avenir de celles-ci. Louis-Mathurin Moreau-Christophe, inspecteur général des prisons du royaume écrivait en 1838 que « l’architecte de la prison est donc le premier exécuteur de la peine ». Refonder l’architecture de la prison permettrait de répondre aux besoins des détenus tout en permettant que leur détention se déroule dans de bonnes conditions. C’est à partir d’un nouveau paradigme que la Grande-Bretagne a décidé de construire la prison HMP Five Wells à Wellingborough dans le Northamptonshire. Cet établissement comprend 24 ateliers, dont ceux de mécanique de vélo et de barbier, ainsi que des terrains de sport, des gymnases et des cours de rugby. « HMP Five Wells est un exemple phare du plan de ce gouvernement visant à créer des prisons sûres et modernes qui réduisent la criminalité et protègent le public », a déclaré Dominic Raab, vice-Premier ministre britannique et secrétaire à la Justice. La conception « intelligente » de la prison implique que les délinquants soient logés dans des blocs en forme de X, avec des couloirs plus larges et plus courts et moins de prisonniers dans chaque aile afin que le personnel pénitentiaire puisse voir rapidement toutes les cellules et les délinquants à tout moment. Les cellules auront des fenêtres ultra-sécurisées et sans barre pour mettre fin aux drones apportant des drogues illégales, des téléphones et des armes dans les prisons, a indiqué le département de la Justice. De plus, des centres de désintoxication verront le jour dans cet établissement afin de lutter contre les problématiques d’addictologie. Les investissements ont été pensés dans le but d’individualiser au maximum l’accompagnement des détenus à la réinsertion.

De nombreuses pistes ont vu le jour pour penser les problématiques complexes inhérentes au système carcéral et judiciaire. Les établissements pénitentiaires français ont été condamnés à 36 reprises pour des conditions de détention violant le droit européen relatif à la torture et aux traitements inhumains ou dégradants.