Les droits des femmes au Pakistan : un combat quotidien

Imran Khan, ancien Premier ministre du Pakistan déclarait en juin dernier : « Si une femme est très peu vêtue, cela produira un effet sur les hommes à moins qu’ils ne soient des robots. C’est une question de bon sens ». Des propos qui ont fait bondir les ONG mais témoignent du phénomène endémique d’une région où la femme n’a que peu d’importance. Etat des lieux sur les droits des femmes au Pakistan : les initiatives engagées ont-elles une chance d’aboutir ?

Par Camille Léveillé

Des violences systémiques

En 2021, le Pakistan se plaçait à la 153e place sur 156 du rapport mondial sur l’écart entre les sexes du Forum Economique Mondial. Les femmes, peu, pour ne pas dire, aucunement considérées dans une société encore ultra conservatrice, sont victimes de violence « chaque jour, chaque seconde. » témoigne Rehana Hashmi, avocate d’origine pakistanaise, résidant au Canada. Expatriée pour fuir les menaces de mort dont elle fut victime dans son pays en raison de son combat pour le droit des femmes et des minorités, elle ajoute : « La violence domestique est la plus répandue. Chaque femme est victime de violence au moins une fois dans sa vie et si elle nest pas physique, elle est psychologique. Notre gouvernement ne se soucie pas des droits de l’homme. Et, lorsque les autorités font mine de s’en soucier, les droits des femmes arrivent en dernière position. »

Autre fléau : les conversions forcées. Une loi avait pourtant été rédigée pour lutter contre ce dernier mais n’a pas été adoptée par le gouvernement. Environ un millier de jeunes filles chrétiennes et hindoues seraient converties de force à l’islam chaque année pour être ensuite mariées de force. Une loi bannissant cette pratique a été promulguée mais cela n’a pas empêché la justice de valider le mariage de Huma Younus, chrétienne pakistanaise de 14 ans. Selon l’avocate des parents de la jeune fille, le Child Marriage Restraint Act a été adopté « dans le seul but d’améliorer limage du pays dans lopinion internationale, dobtenir des fonds daide au développement et de pouvoir commercialiser librement des produits pakistanais sur le marché européen »1.

« Malgré les lois adoptées ces dernières années pour protéger et promouvoir les droits des femmes ces dernières années, la violence à leur égard s’est intensifiée. » décrit le rapport 2019 de la Commission des droits de l’Homme du Pakistan (HCPR). Des lois qui, bien qu’adoptées, sont souvent peu appliquées par la police, certains représentants des forces de l’ordre n’en ayant même pas connaissance2.

Des initiatives encourageantes

Loin de baisser les bras face à l’ampleur du défi, de plus en plus d’initiatives pour lutter contre la violence faites aux femmes voient le jour dans le pays. L’Aurat March, organisée depuis 4 ans le 8 mars, témoigne de ce phénomène. Appelant à une plus grande responsabilisation face aux violences faites aux femmes, des slogans tels que « Mon corps, mon choix » sont devenus des cris de ralliement dans tout le pays. De la même manière, après le meurtre de Noor Mukadam, une jeune femme de 27 ans séquestrée, violée et décapitée par un ami d’enfance, plusieurs villes se sont soulevées. « Cette affaire met en lumière laction des activistes de la jeune génération. Ils ont fait pression sur le système judiciaire et les médias. Cela a permis daller jusqu’à la condamnation du meurtrier » explique Rehana Hashmi. Mais, la partie conservatrice du pays s’oppose à ces manifestations allant jusqu’à jeter des pierres sur les manifestants lors des précédentes Aurat March.

Eva B, première rappeuse pakistanaise, utilise sa voix pour dénoncer les violences et sensibiliser le grand public. Elle déclarait à nos confrères du Guardian : « Je viens d’un endroit où seules quelques filles ont pu travailler et la société ne considère pas une fille qui rappe comme étant respectable. Je voulais défier cela »3. Elle-même fut contrainte d’arrêter le rap de 2015 à 2019, son frère jugeant cette activité comme choquante. En 2019, elle fut contactée par Patari, la plus grande plateforme de streaming du pays pour écrire et interpréter une chanson. Sans matériel et désobéissant à son frère, elle enregistra la chanson Gully girl depuis son téléphone. Face au succès, son frère n’a eu d’autre choix que d’abdiquer…

Engagée, Eva B poursuit son combat et dénonce la place qui est réservée aux femmes dans la société à travers sa chanson en featuring avec Ali Gul Pir “Tera Jism Meri Marzi”, “Ton corps, mes choix”.

Les associations sont également force d’action dans ce pays. En témoigne, Woman in Struggle for Empowerment (WISE) qui a notamment accompagné plus de 630 organisations publiques à se conformer à la loi en matière de harcèlement sexuel et a fourni une orientation a plus de 34 000 personnes dans 26 districts du pays. D’autres associations mettent en lumière les dysfonctionnements d’institutions qui sont à l’image d’une société dont la transition vers l’avènement des droits des femmes est lente. Au-delà de la sensibilisation, elles proposent des formations destinées aux femmes afin de s’émanciper financièrement de leurs maris.

Une justice existante mais non appliquée

« Dans les anciennes zones tribales, les femmes ne sont pas autorisées à choisir leur mari ou leur travail. » explique Rehana Hashmi. Une coutume, le ghag est particulièrement appliquée dans ces régions. Elle permet à tout homme d’exiger la main d’une femme ou d’une jeune fille sans son consentement. Bien que cette règle ait été abolie par une loi nationale, elle continue d’être appliquée car, les femmes n’ayant pas connaissance de la loi selon la sénatrice Sitara Ayaz. « Il n’y a pas de mécanisme pour mettre en œuvre cette loi. La justice informelle, qui prime dans les anciennes zones tribales, est un déni de justice pour les femmes. Même lorsque les défenseurs des droits humains réussissent à faire passer des mesures, il ny a personne pour les mettre en œuvre » souligne Rehana Hashmi.

Les anciennes zones tribales ne sont pas les seules à être concernées par ces dénis de justice récurrents. « Les victimes de violences fondées sur le genre au Pakistan obtiennent rarement justice […] il faut mener une réforme procédurale et institutionnelle dampleur afin de faire face au problème endémique de la violence faite aux femmes au Pakistan » plaide Rimmel Mohydin, chargée de campagne pour l’Asie du Sud à Amnesty International4.

Qui protège les défenseurs des droits humains ?

La défense du droit des femmes au Pakistan n’est pas sans danger. Rehana Hashmi continue son combat depuis le Canada et explique : « J’ai été forcée de fuir mon pays d’origine, séparée de ma famille et de mes amis ». Et déplore : « Les défenseurs des droits humains protègent la société. Mais, personne ne protège les militants. S’il n’y a pas de protection, qui parlera alors pour les victimes ? ».

La parole se libère et les initiatives se multiplient mais la défense des droits des femmes est une lutte quotidienne qui sera encore de longue haleine… Les cultures séculaires disposant de leur propre vision des choses, certains discours pourraient bien rester stériles face à des esprits imperméables à ce que l’on érige comme étant les droits de l’homme…

Si dénoncer les injustices et les dysfonctionnements n’éradiqueront pas le mal, ils contribuent cependant à faire avancer le combat !

1 Claire Lesegretain, “Au Pakistan, le mariage forcé d’une chrétienne de 14 ans validé par la justice”, La Croix, 18/02/2020, https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/Au-Pakistan-mariage-force-dune-chretienne-14-ans-valide-justice-2020-02-18-1201079005

2 Kathy Ganon, “Report gives Pakistan failing grade on human rights”, AP News, 1/05/2020, https://apnews.com/article/420015590f0d778843f80b5cc7e5c7be

3 “The rap star of Karachi: ‘My veil cannot take away the talent I have’”, The Guardian, https://www.theguardian.com/music/2022/feb/13/eva-b-the-rap-star-of-karachi-my-veil-cannot-take-away-the-talent-i-have

4 “La condamnation de Zahir Jaffar est essentielle, mais la peine de mort ne mettra pas fin aux violences faites aux femmes”, Amnesty International, 24/02/2022, https://www.amnesty.fr/presse/pakistan-la-condamnation-de-zahir-jaffar-est-essen