Pékin fait cap sur le Pacifique

Fin mai, le ministre des Affaires étrangères chinois a mené une grande tournée diplomatique dans huit pays du Pacifique insulaire. Le point dorgue de laccélération de la stratégie de politique étrangère chinoise dans la région. Si tout ne sest pas passé comme Pékin l’avait prévu, cette visite a largement rebattu les cartes de la géopolitique.

Par Lola Breton

Ce devait être un coup de maître. Une tournée de dix jours à travers huit Etats du Pacifique insulaire pour pouvoir, sans effort, sécuriser la signature d’un « Plan d’action quinquennal Chine-Pays du Pacifique pour le développement commun ». Un plan dont le « commun » n’avait que le nom. Fin mai, le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, s’est donc lancé dans une visite diplomatique de grande ampleur. Îles Salomon, Kiribati, Samoa, Fidji, Tonga, Vanuatu, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor-Leste – il a également discuté avec les Etats fédérés de Micronésie, les Îles Cook et Niue en visioconférence. Cependant, le 30 mai, au moment de réunir tous ces partenaires désormais bien entretenus, tous ont refusé de signer ce fameux plan. « Un camouflet pour le ministre Wang Yi », estime Marc Julienne, docteur en science politique, chercheur et responsable des activités Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Le plan, rédigé entièrement en amont par Pékin, portait sur la sécurité, l’économie, la santé et le climat. Les Etats du Pacifique n’ont pas eu leur mot à dire sur son contenu. « La Chine a certainement été trop confiante sur sa stratégie, analyse Marc Julienne. Avoir soumis le plan dans ces conditions, cest nier les process et traditions du Forum des îles du Pacifique qui est une instance régionale dans laquelle les Etats du Pacifique insulaire se réunissent pour discuter des questions qui les concernent et les trancher au consensus. »

Des pions chinois avancés depuis 10 ans

Dans une lettre adressée aux autres Etats de la région, le 20 mai, le président des Etats fédérés de Micronésie, David Panuelo, alertait : « La Chine essaie de prendre le contrôle de notre région en fracturant la paix, la sécurité et la stabilité dans la région, tout en disant vouloir faire exactement linverse. » Sur huit pages, le chef d’Etat expliquait à ses homologues les dangers qu’il voyait dans le document quinquennal écrit par les Chinois, avec qui la Micronésie est pourtant alliée depuis plusieurs années.

Et c’est là toute l’ambivalence – et en un sens, la force – de la Chine. Si elle ne s’est pas terminée comme prévue, la tournée diplomatique de Wang Yi dans son intégralité n’est pas un échec cuisant. De nombreux accords ont été signés bilatéralement entre la République populaire et les Etats. Mais, de ces signatures, on ne sait pas grand-chose. On se doute que cela concerne des accords de pêche, de commerce autour des télécommunications, des câbles sous-marins ou des ressources minières, mais on ne sait rien précisément. Car la Chine essaie de tout garder dans le secret, malgré les régimes démocratiques avec lesquels elle traite dans le Pacifique. « Cette stratégie chinoise dans le Pacifique nest absolument pas nouvelle. Les jalons sont posés depuis une dizaine d’années. Si elle était plutôt discrète jusqu’à présent, elle se fait maintenant plus offensive. Il y a eu une accélération en 2021 qui sest confirmée en début d’année 2022 avec les rumeurs dun pacte de sécurité signé entre les îles Salomon et Pékin. Un brouillon du texte a fuité et linformation a été conformé par les autorités salomonaises en avril 2022, note Marc Julienne. Cela a créé un mouvement de panique. »

Dans cet accord, deux éléments interpellent. Tout d’abord, le droit d’escale accordé à la marine chinoise sur l’archipel, qui, pour certains observateurs s’apparenterait à une première étape en vue de créer des bases chinoises en plein Pacifique. L’autre point épineux de cet accord, c’est l’envoi de troupes chinoises possibles en cas de troubles à l’ordre public aux Salomon, sur demande des autorités. Une première dans l’histoire.

Le réveil de louest

En faisant son tour du Pacifique malgré les craintes et les alertes de certains Etats, Wang Yi a donc peut-être visé exactement là où il fallait. D’autant que cette tournée a eu le mérite de réveiller les consciences, surtout auprès des alliés historiques de la région, Etats-Unis et Australie en tête. « Il y a eu un délaissement du Pacifique de la part des grandes puissances, note Marc Julienne. Il ny a pas si longtemps lAustralie parlait encore du Pacifique insulaire comme de son arrière-cour, comme une zone dinfluence à protéger plus qu’à développer. » La Chine s’est donc naturellement placée là où les autres puissances n’étaient pas, en allant voir les Etats pour étudier ce dont ils avaient besoin, notamment.

Mais, les lignes bougent, enfin. En Australie, le nouveau gouvernement d’Anthony Albanese – longtemps critiqué pour son manque de considération envers les îles du Pacifique – est notamment composé de Penny Wang, chargée de réengager les partenariats avec ces Etats autour de la question du climat. Et cela tombe bien. Car s’il y a bien un sujet sur lequel les Etats insulaires, par le biais du président micronésien David Panuelo ont été clairs, c’est celui-ci : « Nous pensons que le changement climatique fait courir le risque le plus élevé à nos îles et que la géopolitique dans son ensemble na pas pris la mesure de cet immense défi. »

Le climat pour unique compas

Côté chinois, le retour en Indopacifique des puissances historiques n’est pas la meilleure des nouvelles mais elle n’est pas synonyme de défaite. D’ailleurs, la zone n’a jamais été son unique objectif diplomatique. Dans sa zone d’influence, elle tient toujours, bien sûr, l’Asie du Sud-Est avec qui elle continue de nouer des liens commerciaux très forts autant que des velléités de domination sur la mer de Chine méridionale. En Asie centrale, où la division du travail tacite avec Moscou lui dévouait depuis longtemps une place de choix pour le commerce, Pékin tente depuis peu de se faire un rôle sécuritaire. C’est notamment le cas au Tadjikistan, depuis le départ des troupes américaines de l’Afghanistan voisin en août 2021.

L’Europe n’est pas en reste dans ses relations avec la Chine. En pleine guerre russo-ukrainienne, la Lituanie est également en froid avec Pékin. En effet, depuis décembre 2021, alors que Vilnius avait décidé d’installer une représentation permanente de Taiwan en sa capitale, la République populaire bloque toutes les exportations lituaniennes. Une pratique commerciale déloyale dénoncée par l’Union Européenne auprès de l’Organisation mondiale du commerce mais toujours pas réglée, plus de six mois plus tard.

C’est d’ailleurs, en partie, à l’Europe, que revient la tâche de donner une place réfléchie à la Chine dans le nouveau concept stratégique de l’OTAN, adopté fin juin à Madrid. Pékin y sera alors impliqué comme acteur clé pour la première fois de l’histoire.