L’ accord d’Escazú, un renouveau pour les droits de l’homme et de l’environnement en Amérique latine ?

A Santiago de Chile, en avril dernier, une dizaine de mandataires latino-américains se sont réunis lors de la première COP prévue par l’accord d’Escazú. Si l’événement fait la part belle à la diplomatie environnementale, s’appuyant sur le droit international et les droits de l’homme, le texte apparaît en revanche comme une avancée en demi-teinte au vu des marges d’appréciations étatiques. Ce multilatéralisme vert n’est pas une affaire de quota de pollution mais englobe des enjeux majeurs de consolidation démocratique et de paix sociale dans une région où l’extraction demeure le moyen principal de développement.

Par Andréas Ley

(In)justice environnementale

En 2020, plus de 200 militants écologistes ont trouvé la mort en Amérique latine, devenu le continent le plus meurtrier au monde envers ces derniers1. Ce funeste classement cache les raisons conjoncturelles et structurelles d’une telle brutalité à l’instar de l’opacité de l’information, le déficit de confiance vis-à-vis des autorités publiques, l’impunité des responsables ou encore la fracture digitale qui isole les plus vulnérables. Face aux demandes des défenseurs de l’environnement, les gouvernements ont répondu par la criminalisation de leurs revendications, si essentielles dans une région où l’extraction de matières premières est une variable essentielle du développement économique. Les « peuples originaires » en sont les premières victimes, vivant dans des zones souvent délaissées par les Etats. Indigènes et défenseurs souffrent du manque chronique de protection juridique face à l’ampleur de l’injustice tandis que les sociétés civiles sud-américaines, souvent très actives et organisées, militent en faveur du respect des droits de l’homme et de l’environnement. La crise sanitaire a exacerbé cette tendance, en interdisant de facto toutes les manifestations contre les activités extractives alors que celles-ci ont pu se maintenir malgré la pandémie.

C’est dans ce contexte que naît l’accord d’Escazú, signé en 2018 mais dont la mise en application est une affaire récente. « [Ce texte] est sans aucun doute une avancée majeure car les protagonistes sont les défenseurs. Nous pourrions résumer l’esprit d’Escazú en disant que si nous voulons défendre l’environnement, nous devons commencer par protéger ceux qui le défendent » a déclaré Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme2.

« L’environnement est au cœur de l’accord d’Escazú, s’articulant aux autres conflits sociaux et économiques qui traversent la région. Le droit à la vie, à la santé, à l’éducation, au développement durable et à un environnement sain forment un tout. Cet accord nous permet de penser notre présent comme notre futur car il n’est pas possible de penser la justice sociale sans considérer la justice environnementale » précise Maria Villarreal, politologue à l’Université fédérale de l’État de Rio de Janeiro (UNIRIO).

In dubio pro natura

L’accord d’Escazú s’inspire du Principe 10 de la Déclaration de Rio datant de 1992, consacrant la participation des citoyens comme le pivot de la protection de l’environnement, autant que de la Convention d’Aarhus, promoteur de ce même principe en Europe. Au-delà de son aspect contraignant, ce traité protège directement les défenseurs de l’environnement, ce qui matérialise une avancée mondiale. Ce dernier étend les droits procéduraux de ce Principe 10 à l’image du droit à l’information, à la participation ainsi que l’accès à la justice. « L’objectif de ce triptyque de droits procéduraux est de promouvoir le droit substantiel à un environnement sain. Parallèlement, il contribue à garantir la participation du public à la prise de décision en matière environnementale. Cette participation suppose en amont que la société civile soit correctement informée des menaces qui pèsent sur l’environnement et en aval, la possibilité de pouvoir contester les décisions prises par l’administration en saisissant la justice » indique Julien Dellaux, Maître de Conférence en Droit public au Muséum national d’histoire naturelle. Et de prolonger : « L’adoption de cet accord permet d’imposer un standard commun pour l’ensemble des États d’Amérique latine et des Caraïbes. Les documents préparatoires des négociations recensant les législations nationales révèlent une grande disparité entre les États et une protection généralement moindre du droit du public d’accéder à l’information. Ainsi cet accord vise tant à rehausser le niveau de protection qu’à accroître l’harmonisation juridique ».

L’esprit d’Escazú scelle le co-développement des droits de l’homme et de l’environnement, en se basant sur le principe de non-régression qui assure l’amélioration constante des dispositifs législatifs. Pourtant, « Il ne s’agit pas de mécanismes juridiques stricto sensu puisque la responsabilité internationale des États ne peut être engagée devant le comité. Il n’a pas la possibilité de prononcer des sanctions telles que l’indemnisation des personnes n’ayant pas obtenu les informations demandées. La force du comité réside dans son pouvoir de constatations et de recommandations (semblable à celui des comités internationaux en matière de droit de l’homme). La pression exercée sur l’État à l’origine de la violation s’opère par le biais du naming and shaming, les relais diplomatiques et celui de l’opinion publique » précise Julien Dellaux.

Vers une démocratie environnementale ?

Si 12 pays ont déjà ratifié l’accord à l’instar de l’Argentine, du Chili, du Mexique, de la Bolivie ou encore de la Guyane, ni la Colombie ni le Brésil, pays où les violences sont les plus nombreuses envers les militants écologistes, ne l’ont encore fait. La transposition du traité est une prérogative des Etats, dont les grandes marges d’appréciations pourront altérer son effectivité juridique durant les prochaines années. Plus que jamais, le volontarisme politique doit survivre au temps long de la mise en conformité pour inscrire la démocratie environnementale dans les blocs juridiques internes des pays-signataires. « Soit nous nous sauvons ensemble, soit nous coulons séparément. […] Aujourd’hui, avec cet accord, la région avance dans sa tâche d’assurer la croissance et le développement dans des conditions de stabilité durable » scandait alors le président chilien, Gabriel Boric, pendant l’ouverture de la première COP d’Escazú à Santiago de Chile3.

Fin avril dernier, cette COP1 a inauguré un nouvel espace de dialogue multilatéral et régénéré les discussions autour de la transition verte du continent. Elle s’est traduit par l’élection d’un président en la personne de Marcelo Causillas, ancien Ministre de l’environnement en Uruguay, la création d’un Comité de soutien à la conformité et à l’application du traité ainsi que la définition d’un calendrier diplomatique strict. Ainsi, en avril 2023 sera élu un groupe d’experts indépendants afin d’éviter les conflits d’intérêts avant d’organiser la deuxième COP d’ici avril 2024. « Lors de sa première réunion, la COP est venu consacrer la possibilité pour le comité de recevoir des « plaintes » appelées communications, non seulement de la part des États, mais aussi des individus. Il s’agit là d’un fait assez rare en matière environnementale pour être noté. L’ouverture de la saisine du comité aux membres du public avait aussi été consacrée au sein de la convention d’Aarhus, grand frère de l’accord d’Escazú pour le continent européen. Il s’agit là non d’une garantie, mais tout au moins d’un facteur devant contribuer à une meilleure mise en œuvre de l’accord » souligne Julien Dellaux.

Certaines tensions ont d’ores et déjà émergé, en particulier sur les modalités de participation de la société civile au respect du traité. La Bolivie a exprimé son refus d’inclure le public, ne le jugeant pas indispensable, provoquant de vives réactions des Etats participants comme des représentants indigènes. Ces derniers ont soutenu la mise en œuvre d’un « caucus », ou une assemblée indigène, afin de représenter les intérêts des « peuples originaires » sud-américains, particulièrement exposés aux conflits écologiques. « Supprimer la participation du public, c’est supprimer l’esprit même de cet accord » a alors rappelé Nadino Calapucha, leader de la communauté Shiwakucha provenant d’Amazonie4.

« En Amérique latine, les mouvements écologiques exercent une forte pression interne afin que progressivement tous les pays de la région ratifient l’accord d’Escazú. Un autre point clé est la tenue d’élections en Colombie et au Brésil qui pourraient transformer le paysage politique via les agendas environnementaux de Gustavo Petro et Lula. Un tel changement renforcerait le consensus autour des bénéfices de ce traité et pourrait ainsi convaincre d’autres pays de le ratifier, ouvrant possiblement une nouvelle ère pour la démocratie environnementale en Amérique latine » conclut Maria Villarreal.

1 Environmental activists – land and environmental defenders, https:///en/campaigns/environmental-activists/.

2 Juanita Rico, COP1 Escazú: algunos avances, pocas ratificaciones, https://www.opendemocracy.net/es/cop1-escazu-algunos-avances-pocas-ratificaciones/ , 17 mai 2022.

3 Boric en la primera COP del Acuerdo de Escazú: “O nos salvamos juntos o nos hundimos por separado”, https://www.nodal.am/2022/04/boric-inauguro-la-primera-cop-del-acuerdo-de-escazu-o-nos-salvamos-juntos-o-nos-hundimos-por-separado/ , 24 avril 2022.

4 Oscar Bermeo Ocana et Mongabay Latam, Participación ciudadana: uno de los logros clave en la primera COP del Acuerdo de Escazú, https://redprensaverde.org/2022/04/29/participacion-ciudadana-uno-de-los-logros-clave-en-la-primera-cop-del-acuerdo-de-escazu/ , 29 avril 2022.