De la guerre économique à l’écocide au Venezuela

La guerre en Ukraine a modifié les équilibres géopolitiques de ce pays fortement fragilisé, dont le PIB a perdu 80% de sa valeur entre 2013 et 2020. Le salaire minimum y est le plus faible de la région à hauteur de 2,4 dollars par personne et par jour1 tandis que l’inflation y a détruit la majeure partie de l’économie, culminant à 130 000% en 2018 avant de diminuer à 2 700% selon le FMI en 2021.2 Malgré des capacités d’extractions diminuées, les Etats-Unis ont rouvert les négociations avec le régime de Maduro, troquant réformes démocratiques contre sécurité énergétique. Une opportunité de conduire le Venezuela vers une reconstruction de ses institutions démocratiques afin de répondre aux défis sécuritaires et socio-environnementaux qui sapent le développement du pays.

Par Geoffrey Comte

Les affres de la guerre économique

« Regardez ce que [l’Occident fait] avec la Russie, c’est un crime ce qu’ils font contre le peuple russe, une guerre économique, ils les ont sortis du système SWIFT, ils ont fermé leur espace aérien, ils ont fermé leurs liaisons commerciales, ils ont fermé et interdit l’utilisation du dollar, c’est de la folie » a vilipendé le président vénézuélien, Nicolás Maduro, lors d’une allocution en mars dernier.3 Et de prolonger : « Nous savons qu’une des principales formes de guerre de l’impérialisme américain est la guerre économique, utilisant le dollar, le système financier [et] le système commercial ».

Les sanctions n’ont pas eu le résultat escompté. Ces dernières ont renforcé le pragmatisme extérieur de Nicolas Maduro, se rapprochant des autres « parias » internationaux pour mieux contourner leurs effets et contester l’ordre libéral. « Les piliers de la coopération russe avec le Venezuela sont les exportations d’armements, les investissements dans l’industrie pétrolifère ainsi qu’une volonté commune d’établir un monde multipolaire. Après 2017, l’expérience partagée des sanctions a encouragé de nouvelles collaborations sur le plan des cryptomonnaies et du transport du pétrole vers le marché asiatique. Sous l’administration Trump, les sanctions financières et énergétiques visaient à faire chuter le régime de Maduro et d’y faire respecter les droits de l’homme. Mais, ces dernières se sont avérées être de cuisants échecs entraînant l’essor de l’hyperinflation, l’effritement de l’opposition ainsi qu’un effet drapeau augmentant le soutien au président » assure Benedicte Bull, professeure de sciences politiques à l’Université d’Oslo.

Le Venezuela s’est également rapproché de l’Iran pour raffiner son pétrole, tous deux souhaitant jouer le rôle de stabilisateur du marché énergétique mondial perturbé par l’invasion russe. Turquie et Syrie sont également des collaborateurs essentiels, notamment en termes d’aides alimentaires pour pallier les pénuries de Caracas. Pourtant, ces alliances marquent de nouvelles dépendances. Le « piège » de l’endettement massif chinois s’est refermé sur le Venezuela qui a obtenu plus de la moitié des 133 milliards de prêts aux Etats sud-américains, soit 67 milliards de dollars4. Malgré le remboursement en pétrole et en achats de biens, Caracas se retrouve donc incapable de recouvrir ses emprunts chinois. Ce qui n’est pas sans rappeler les opérations conduites en ASEAN et Afrique par l’empire du Milieu.

Entre vocation minière et crime d’écocide

Lancé en 2016, le mégaprojet de l’« Arc minier de l’Orénoque » est devenu un symbole de l’effondrement de la rente pétrolière traditionnelle du Vénézuela. Le pays tente alors de la compenser en diversifiant ses activités extractivistes afin d’assurer sa survie économique devant la chute des prix du pétrole et le remboursement de ses dettes.

Situé au sud du fleuve Orénoque dans la région de Bolivar, ce projet recouvre 12,8% du territoire national, soit la taille de la Belgique ou encore de Cuba, et contient de la bauxite, des diamants, du charbon comme de l’or. Cet « Arc » est un lieu opaque où des groupes irréguliers pratiquent l’extraction illégale de minerais au détriment des populations locales et de l’environnement. Le mercure y est employé pour extraire l’or en polluant sols et rivières tandis que la déforestation est devenue monnaie courante dans le sud-est du pays. Les groupes irréguliers, composées d’ancien FARC colombiens ou de l’Ejército de Liberación Nacional, de « megabandas » criminelles et d’orpailleurs, prospèrent tant sur cet écocide que sur l’effritement des capacités de sécurité étatique.

« Au cours des deux dernières décennies, le Venezuela a perdu le monopole de la violence légitime en cédant le contrôle d’une partie de son territoire au profit d’acteurs non-étatiques, souvent armés. Le pays a démontré son incapacité à faire respecter l’Etat de droit, de procurer des biens basiques et de protéger ses citoyens. L’érosion de ses capacités de sécurité l’a conduit à devenir un hub du crime régional, en facilitant la transnationalisation de la violence criminelle. La porosité de la frontière avec la Colombie entretient la régionalisation du conflit armé colombien. La crise migratoire, conséquence directe de la faillite du Venezuela, permet l’exportation des groupes criminels vers les pays hôtes » signale John Polga-Hecimovich, Professeur associé de l’Académie navale des États-Unis.

Les chemins de la ré-institutionnalisation

En mars dernier, Washington a interdit les importations de pétrole russe en représailles de la guerre en Ukraine. En 2021, c’est plus de 500 000 barils de pétrole par jour en moyenne qui transitent de Moscou à Washington. L’administration Biden envisage un accord avec Caracas, reposant sur la levée d’une partie des sanctions financières et sectorielles en contrepartie de l’« or noir » vénézuélien, la tenue d’élections libres d’ici 2024 ainsi que la libération de détenus nord-américains5. Même si une transition démocratique comme un retour au niveau de production de pétrole d’antan semblent improbables, certaines réformes peuvent être mises en avant dans le but d’éloigner le chavisme du pouvoir.

«  Le principal objectif de ces négociations devrait être de concevoir des mécanismes qui permettent de reconstruire les institutions démocratiques sur le temps long. Cette ré-institutionnalisation déboucherait sur des mécanismes de « power-sharing », en révisant la Constitution de 1999 qui favorise grandement les majorités et accorde un pouvoir extraordinaire à l’exécutif. Ces nouvelles institutions rééquilibreraient le pouvoir entre gouvernement et oppositions, en accordant des garanties au perdant de ne pas abdiquer sa place au sein des organes de représentations politiques. Par exemple, cela pourrait se traduire par le rétablissement de la Chambre haute du Parlement où les groupes minoritaires possèdent un pouvoir de veto » soutient Antulio Rosales, professeur de sciences politiques à l’Université de New Brunswick au Canada.

Cette ré-institutionnalisation serait également le moyen d’orienter le pays vers une adaptation de son modèle de développement aux contraintes environnementales. « Il faut d’abord reconnaître que le Venezuela n’a plus la capacité de retrouver les niveaux de production des années 1990 et que la majeure partie de ses ressources ne seront pas extraites. Cela n’est pas désirable non plus en vue du changement climatique, poussant le pays à maintenir le déclin progressif de sa production de pétrole. La priorité nationale devrait être de satisfaire la demande locale d’énergie au travers de prix reconnaissant le coût environnemental de l’extraction. L’autre priorité devrait être le contrôle des activités minières illégales, génératrices d’exploitations et de maltraitances aux communautés vénézuéliennes. L’Etat doit donc récupérer la mainmise sur ses territoires comme mettre en œuvre des mécanismes de réparations sociales importants. Le pays doit également dépasser son modèle de redistribution de la rente pétrolière pour mieux se reposer sur la productivité de sa population » conclut Antulio Rosales.

1PH9 Medio Digital, « La realidad del salario en Venezuela », Latinoamérica 21, 25 juin 2021p.

2AFP, « Le Venezuela soutient sa monnaie à coups de milliards de dollars », France 24, 25 mars 2022p.

3NOTICIAS EL COMERCIO PERÚ, « Nicolás Maduro tilda de “crimen contra el pueblo” las sanciones a Rusia por su invasión de Ucrania », El Comercio Perú, 2 mars 2022p.

4Cristina J. Orgaz, « Cuáles son los países de América Latina que más dinero le deben a China (y qué implicaciones tiene esa deuda) », BBC News Mundo, 28 nov. 2019p.

5Marianna Parraga et Matt Spetalnick, « U.S. ties easing of Venezuela sanctions to direct oil supply | Reuters », Reuters, 9 mars 2022p.