La corruption : un fléau aux mille entailles

« La corruption est dans l’homme, comme l’eau est dans la mer », écrivait Mirabeau. En effet, elle est globale, touche tous les espaces et se retrouve dans tous les secteurs et chez tous les acteurs. Il serait toutefois nécessaire, aujourdhui plus que jamais, de la réduire drastiquement. Selon les estimations de la Banque mondiale et du Forum économique mondial, le montant annuel des pots de vin et de largent détourné s’élèverait à 3 600 milliards de dollars (Md$), soit 5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial. Favorisant le développement des luttes armées et mettant à mal le développement sain et durable des sociétés humaines, la corruption est un fléau qui perdure. Il convient dès lors de sinterroger sur les moyens de lutte contre ce mal incurable.

Par Hugo Champion

Le détournement de laide internationale : un venin persistant.

L’aide internationale constitue l’un des secteurs massivement touchés par la corruption et le détournement de fonds. L’impact de ce phénomène est tant concret que symbolique, car il ternit l’image des acteurs de l’aide internationale. Fénelon écrivait : « La corruption de ce qu’il y a de meilleur est le plus pernicieux de tous les maux». Les pratiques de corruption viennent instaurer un climat de méfiance entre les différentes parties. L’aide est donc détournée de ses objectifs et de sa destination. « Les méfaits de la corruption sur la lutte contre la pauvreté sont connus: investissements frauduleux, détournements de fonds publics à des fins privées, petite corruption qui opère comme un impôt sans but redistributif, impunité qui grève la crédibilité du système judiciaire et, partant, de tout lappareil étatique », expliquait déjà en 2007, Anne Lugon-Moulin, l’actuelle ambassadrice de la Suisse en Côte d’Ivoire. Les pays touchés par la corruption sont précisément les zones atteintes par la pauvreté, le réchauffement climatique, les conflits et l’instabilité politique.

Des pratiques de corruption qui sadaptent au contexte local.

En 2018, le journal The New Humanitarian a lancé une enquête en République démocratique du Congo qui a montré les pratiques de détournement de l’aide internationale. Environ 6 millions de dollars pourraient avoir été perdus au profit de plusieurs organisations humanitaires en 2 ans, selon des responsables de Mercy Cops, une ONG qui venait en aide aux familles de déplacées, et au sein de laquelle des escroqueries ont été observées. Concrètement, ce sont les programmes de réponse rapide aux mouvements de population (RRMP), administrés par l’ONU, qui ont été ciblés par les fraudeurs. Ces derniers exagéraient le nombre officiel des personnes déplacées pouvant bénéficier de l’aide. Pour cela, les hommes d’affaires locaux payaient des personnes non-déplacées afin d’utiliser leur carte d’électeur pour les enregistrer comme bénéficiaire dans les programmes d’aide aux populations déplacées. Puis, ils livraient des pots-de-vin aux travailleurs humanitaires pour enregistrer des centaines de personnes supplémentaires sur les listes. Enfin, les personnes non-déplacées remettaient une partie de l’argent aux entrepreneurs locaux. Les responsables de Mercy Cops ont déclaré que la nature du programme signifiait que les organisations prenaient des raccourcis, augmentant les risques de corruption dans un pays qui est, selon l’organisme de Transparency International, l’un des plus corrompus au monde (169ème sur 180). La révélation de ces affaires devraient conduire les ONG à lutter davantage contre la corruption, en développant considérablement les audit en accentuant la professionnalisation du personnel humanitaire. La RDC n’est évidemment pas le seul pays en proie à la corruption.

La Grèce, qui s’est vue allouer une aide de 1,5 milliard d’euros pour venir en aide aux réfugiés présents sur son territoire, a été épinglée par des journalistes du quotidien grec Filelefhteros. Ces derniers ont suggéré que des entreprises liées au ministre de la Défense, Panos Kammenos avaient gonflé les tarifs des services au camp de Moria. Le directeur des centres d’accueil et d’identification des réfugiés du ministère grec des Migrations a été limogé alors qu’il demandait l’intervention du procureur concernant la gestion des fonds de l’UE pour les réfugiés et les migrants dans le pays. Depuis cette affaire qui a vu le jour en 2018, des allégations de corruption concernant les fonds débloqués font surface.

La France, qui a récemment renouvelé un plan de lutte contre la corruption pour la période 2021-2030, a mis en exergue la nécessité de coopérer à l’échelle internationale afin d’endiguer le fléau de la corruption dans le cadre de l’aide publique au développement et de soutenir la lutte anticorruption dans les pays partenaires. Le chantier est conséquent mais peut s’appuyer sur de nombreuses initiatives. Afin de contrer la corruption dans les zones où opèrent les ONG, l’organisation YouthLead, dotée du statut consultatif ECOSOC auprès du conseil économique et social de l’ONU depuis 2019, propose des formations de prévention de la corruption aux acteurs de terrain.

Les affaires de corruption reflètent des pratiques qui sont en réalité répandues et qui s’adaptent constamment au contexte local. Ce détournement de l’aide internationale favorise de surcroît la montée en puissance des groupes armés locaux.

La corruption: moteur des luttes armées.

Le développement de la corruption dans un contexte de conflit armé à l’échelle locale recouvre un paradoxe. Les fonds d’aide apportés aux populations locales peuvent être indirectement ou directement captés par les groupes armés alors que l’instabilité et l’insécurité favorisés par ces derniers appellent les donateurs à venir en aide aux populations locales. « La corruption alimente linsurrection» avait alerté en 2018 John Sopko, l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan chargé par le Congrès de suivre l’utilisation des fonds américains. La corruption conduit ainsi à l’effritement des pays et au développement des groupes armés, tels qu’on a pu le voir en Afghanistan avec la montée en puissance des Talibans par exemple. « La corruption omniprésente et la captation de l’État par des réseaux criminels ont porté atteinte à la légitimité du gouvernement afghan, réduit son efficacité et provoqué le mécontentement de la population afghane », rappelait Karolina MacLachlan, chargée de recherche en 2018 à Transparency International, Défense et sécurité. Le développement économique du pays s’annonçait donc impossible quand on sait qu’en 2020, le PIB afghan s’élevait à 19,81 milliards de dollars tandis que les flux d’aide représentaient 42,9% du PIB, selon les données de la Banque mondiale.

Dans de nombreux pays sévit une corruption généralisée allant des membres du gouvernement aux élites locales et tribales. Que ce soit en Afghanistan, en Irak ou encore au Soudan du Sud, les groupes armés prospèrent et gagnent en légitimité auprès des populations locales en raison de la corruption d’Etat.

La Kleptocratie: des Etats acteurs de la corruption

« Nous sommes tous impliqués dans la corruption, moi le premier », concédait lors d’une interview sur la chaîne Al-Etejah en janvier 2016, le député irakien sunnite Mechan Al-Joubouri, membre de la commission parlementaire pour la transparence. Il apparaît dès lors comme impossible qu’un climat de confiance puisse s’instaurer entre les élites et la population locale, condition sine qua non au développement économique et social d’un pays en reconstruction. Les Etats peuvent être eux-mêmes acteurs de corruption.

L’Ukraine, en proie à un conflit avec la Russie, connaît une mobilisation notable des pays de l’Union européenne et des Etats-Unis notamment. A la mi-mai, Washington a annoncé une enveloppe de 40 milliards de dollars pour venir en aide à Kiev. Le risque de captation de cette aide par des agents de l’Etat reste élevé, dans un pays qui se situe au 122ème rang mondial en matière de corruption. L’élection de Volodymyr Zelensky en 2019 avait pour vocation d’endiguer ce phénomène dans le pays. Le président ukrainien avait d’ailleurs lancé la création d’un corps judiciaire anticorruption. La guerre déclenchée par Vladimir Poutine pourrait cependant renforcer la cohésion de l’Etat et favoriser la solidarité nationale ce qui aura pour effet d’endiguer la corruption.

La kleptocratie est une forme de pouvoir répandue au sein de nombreuses sociétés, dont le gouvernement œuvre dans le même temps pour l’endiguer. C’est le cas notamment du Niger qui a mis en place sa Stratégie Nationale de Lutte contre le Blanchiment des Capitaux, le Financement du Terrorisme et la Prolifération des armes en juin dernier. La Banque Mondiale aide en ce sens avec l’initiative Gov Tech qui incite les pays à rendre les opérations et les services des administrations publiques simples, transparents et efficients grâce au pouvoir de la technologie. L’intégration des mégadonnées, de l’IA et de la blockchain pour construire des systèmes capables d’effectuer des opérations centrales de l’appareil d’État (telles que la gestion des finances publiques, la passation des marchés, le suivi-évaluation et la fiscalité) peut permettre de détecter des schémas de corruption et faciliter la prévention.

La redevabilité : chaînon indispensable dans la lutte anticorruption

La Convention des Nations unies sur la corruption, dite de Merida, est le seul instrument du droit international en matière de lutte contre la corruption. Depuis 2003, elle fixe comme principe fondamental la restitution des avoirs issus de la corruption et prévoit diverses mesures en ce sens. Ces restitutions restent rares en pratique. C’est pourquoi la France s’est dotée en décembre dernier d’un nouveau mécanisme de restitution des « biens mal acquis », visant à restituer les sommes confisquées par l’Etat français aux populations qui en ont été privées, via des actions de coopération et de développement.

La restitution des avoirs détournés doit être mise en œuvre systématiquement afin de restaurer un climat de confiance notamment. « La redevabilité restant le « maître mot » de la protection des civils en conflit armé, aucune attaque ni aucun crime à leur encontre ne doit rester impuni», soulignait lors d’une séance du Conseil de Sécurité en mai dernier Maria Theofili, représentante permanente de la Grèce auprès des Nations Unies en septembre 2017.

L’Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR), engagée en partenariat avec les Nations Unies, contribue depuis sa création en 2007 au gel ou à la récupération de fonds volés pour un montant largement supérieur à un milliard de dollars. En décembre 2017, l’Initiative StAR a lancé le premier Forum mondial sur le recouvrement d’avoirs (GFAR) organisé par les États-Unis et le Royaume-Uni, qui a porté sur le Nigéria, le Sri Lanka, la Tunisie et l’Ukraine. Un mémorandum d’accord a été signé entre le Nigéria, la Suisse et la Banque mondiale, prévoyant la restitution de 321 millions de dollars d’avoirs recouvrés. Cette initiative soutient actuellement l’établissement de bureaux de gestion et de recouvrement d’avoirs en Ouganda, en Tanzanie, en Moldavie et en Ukraine.

Le 9 décembre prochain aura lieu la Journée internationale de lutte contre la corruption. Si l’ONU est mobilisée contre ce fléau, seule une réelle exigence et volonté politique permettront de l’endiguer durablement.