L’incertain avenir de la Cuba Post Castro

Si le régime cubain a lancé une série de réformes économiques visant à favoriser l’initiative privée, ce dernier gouverne d’une main de fer les contestations comme la vie politique du pays. La répression des manifestations de juillet 2021 en est le corollaire. Face à une forte émigration et une marginalisation diplomatique de la part des Etats-Unis, comment se dessine le futur de la nouvelle génération du castrisme ?

Par Andréas Ley

Mala hora

Si la crise sanitaire fut relativement bien gérée à ses débuts, l’arrivée du variant Delta a bousculé les systèmes de santé cubains avant de se traduire par la chute drastique du tourisme, des transferts de fonds ainsi que des transactions en dollars. Entre 2020 et 2021, le PIB de Cuba a chuté de 11% avant de retrouver une faible croissance de 2%. La pandémie a entériné l’atrophie de la plupart des industries exportatrices cubaines. Les pénuries d’intrants, à l’instar des pesticides ou des engrais, ont entraîné une forte baisse de la production de tabac, produit phare de l’île des Caraïbes, passant de 32 000 à 22 000 tonnes durant les 5 dernières années.1 Autrefois une grande fierté insulaire, les récoltes de sucre 2021-2022 se sont également contractées pour atteindre une nouvelle baisse historique de 474 000 tonnes, soit la moitié de celles de l’année dernière qui était déjà la pire récolte depuis plus d’un siècle. Seuls 37% des pesticides et herbicides nécessaires ont pu être employés pour un secteur faisant vivre plus de 1,2 million de travailleurs agricoles cubains et un produit clé dans la fabrication d’alcools comme de bioéthanol.2

Cuba importe désormais 70% des produits alimentaires pour couvrir sa demande intérieure, représentant un coût annuel de 1,7 milliard de dollars.3 L’île reste particulièrement exposée aux risques environnementaux, à l’image de la désertification qui menace 60% des terres ou encore des ouragans, responsables de 41 milliards de pertes en pesos cubains de 2001 à 2017. La sécurité alimentaire reste donc structurellement précaire puisque seulement 7% des terres cultivables sont irriguées. « La grande fragilité historique des gouvernements communistes demeure l’agriculture. Aujourd’hui, Cuba ne peut pas nourrir sa population alors que le pourcentage de terres inexploitées reste très important. Cela représente une large perte de devises à cause des importations de riz, de blé ou encore de viande. Ses ressources essentielles proviennent de services issus des secteurs touristiques et médicaux » pointe Jean-Jacques Kourliandsky, Directeur de l’Observatoire Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès.

Homo sovieticus

La faim, l’absence de produits de première nécessité et de liberté d’expression ainsi que la crise sanitaire ont poussé les cubains dans la rue en juillet et en octobre 2021. Ces manifestations ont ébranlé le régime de Miguel Díaz-Canel, élu à 99,76% en avril 2019, et se présentant comme la continuité de l’orthodoxie castriste. Ces tensions ont engendré un mouvement de fuite hors du pays. Entre octobre 2021 et mai 2022, 140 602 cubains ont atteint les frontières des Etats-Unis. Un « Mariel silencieux » qui dépasse sa référence historique de 1980, où plus de 125 000 insulaires, jugés contre-révolutionnaires par l’ancien président cubain Fidel Castro, furent condamnés à l’exode.4

Washington considère encore la « Isla » comme un paria international, malgré l’opposition systématique aux sanctions nord-américaines dans les arcanes de l’ONU par la plupart de ses alliés et opposants. L’ascension de l’administration Biden n’a donc pas endigué l’héritage de Donald Trump qui avait ajouté plus de 280 nouvelles sanctions, notamment pour s’attirer les faveurs de l’électorat hispanique de Floride très hostile au régime castriste. « Cuba est malheureusement un État en faillite et réprime ses citoyens. Il y a un certain nombre de choses que nous envisageons de faire pour aider le peuple cubain, mais cela nécessiterait une circonstance différente ou une garantie qu’ils ne seront pas exploités par le gouvernement » a déclaré le président Joe Biden durant une conférence de presse en juillet 2021.5 Ce statut de paria a ipso facto provoqué l’exclusion de Cuba du Cumbre de la Américas de juin dernier, censé régler les questions migratoires et de développement.

« Cuba souhaiterait prendre part à la coopération continentale. Sa priorité diplomatique est donc d’être considéré comme n’importe quel autre pays d’Amérique latine, ce qui est partiellement acquis puisque l’île a déjà intégré le système régional. La guerre en Ukraine pousse le président Joe Biden à revoir une partie des sanctions contre le Venezuela et Cuba » poursuit Jean-Jacques Kourliandsky. Les Etats-Unis ont donc décidé de supprimer le plafond de transfert de dollars en vigueur, d’autoriser ces envois hors du cadre familial et de faciliter les procédures d’immigration.6 Même si cela représente un premier pas positif pour les mandataires cubains, ces derniers exigent une participation accrue au multilatéralisme américain avant d’entamer un réel dégel diplomatique.

Aggiornamento castriste

L’arrivée de Miguel Díaz-Canel a prolongé les réformes entamées sous la présidence de Raúl Castro. En 2019, le pouvoir cubain s’est doté d’une nouvelle Constitution, plus favorable à l’initiative privée tout autant que la liberté d’expression. Cette libéralisation relative répond à l’inefficacité productive du secteur public et aux problèmes d’approvisionnement, en se reposant sur les « cuenta-propistas » (auto-entrepreneurs). Ces derniers réunissent environ 13% des actifs cubains, l’équivalent de 600 000 personnes.7 Si les entreprises privées ont disparu en 1968, durant les premières années de la révolution cubaine, leur retour s’effectue sous l’égide de l’autorité étatique qui conserve son monopole sur les licences d’exportations comme de la propriété de la terre.8

Les manifestations de juillet 2021 ont mis au jour l’incapacité de ces réformes à répondre aux demandes d’ouverture du régime, ce qui a eu pour effet de relancer les spéculations sur la démocratisation de l’île. « Une première alternative serait une vague de libéralisation politique et économique semblable à celle que connut l’Europe de l’Est après la chute de l’URSS. Une autre voie pourrait être celle de la « vietnamisation » qui se traduirait par une forme d’ouverture et de diversification économique sans être pour autant accompagnées de réformes politiques. En cas d’une double absence de libéralisation économique et politique, une nouvelle génération d’élites politiques incarnerait une rupture dans la continuité avec un degré d’autonomie variable dans la conduite de l’Etat. Nous pourrions alors évoquer deux scénarios possibles pour le cas de Miguel Díaz-Canel. Celui d’une « camporisation », en référence à l’argentin Héctor J. Cámpora qui fut élu président pour répondre aux ordres d’un Juan Domingo Perón exilé en Espagne. Ou bien d’une « balaguerisation », en référence au dominicain Joaquín Balaguer qui succéda au dictateur Rafael Leónidas Trujillo et se débarrassa de ses concurrents pour conquérir le pouvoir. Pour le cas cubain, le scénario le plus probable serait une combinaison entre un régime plus personnalisé et une relative libéralisation économique, entre « vietnamisation » et « balaguerisation » du régime » affirme Santiago Leiras, Professeur associé à l’Université de Buenos Aires (UBA). Et de conclure : « La construction d’une transition démocratique à Cuba sera une œuvre de très long-terme. Cela sera possible sur la base d’une justice transitionnelle à l’instar des processus de paix en Colombie ou de l’Afrique du Sud, un contexte extérieur favorable à la démocratisation autant que la recherche de compromis entre société civile et forces armées pour assurer une transition pacifique et propre à Cuba ».

1AFP, « Cuba: la récolte de tabac en baisse pour la confection des célèbres havanes », ABC Bourse, 26 févr. 2022p.

2AFP, « Cuba veut “sauver” son sucre, autrefois produit-phare de l’île », L’Express, 8 avr. 2022p.

3Conseil d’administration du Programme Alimentaire Mondial, Projet de plan stratégique de pays — Cuba (2021-2024), Rome, Organisation des Nations Unies, 2020.

4Wendy Guerra, « El Mariel silencioso », CNN Español, 17 juin 2022p.

5Maegan Vazquez, « Biden says Cuba is a “failed state” and calls communism “a universally failed system” », CNN, 16 juill. 2021p.

6Le Monde avec AFP, « Les Etats-Unis lèvent une série de sanctions contre Cuba », 17 mai 2022p.

7Domitille Piron, « Cuba: entreprendre dans un pays socialiste », RFI, 5 févr. 2020p.

8Le Figaro avec AFP, « Cuba : le gouvernement exclut de renoncer au monopole du commerce extérieur », 31 janv. 2022p.