Au coeur des enjeux des smart & safe cities latino-americaines

Si la notion de « smart city » a essaimé au-delà des seuls cercles d’architecture ou d’urbanisme, celle de « safe city » ne bénéficie pas de la même audience, alors que ces deux concepts présentent des accointances certaines, notamment dans les métropoles où la question de la sécurité se pose au premier chef. C’est le cas en Amérique latine.

Par Sarah Pineau

L’insécurité, le talon dAchille du continent latino-américain

Près des deux tiers des villes les plus dangereuses au monde sont en Amérique latine. C’est le constat glaçant d’une étude rendue publique en mai dernier1 relayée aussi bien par The Guardian2 que par Courrier international3. Plus précisément, le cabinet d’analyse de risques Verisk Maplecroft a compilé des données (criminalité, émeutes, conflits et terrorisme) dans 579 villes de plus d’un million d’habitants ; il en tire la conclusion que huit des douze villes les plus dangereuses au monde et 62 des 100 villes les plus risquées sont localisées sur ce continent. Les faits, tout comme les raisons – trafic de drogue et poids des cartels – sont connus mais les solutions classiques déployées telles que le renforcement des forces de l’ordre ou des peines exemplaires en cas d’arrestation, ne semblent pas suffire. Dans ce contexte, l’option de la safe city apporte une réelle plus-value.

Safe cities latino-américaines: exemples et réussites

« Quand la smart city vise à l’amélioration de la qualité des services urbains, réduire les coûts et améliorer la consommation des ressources grâce aux technologies de linformation, la safe city veut surveiller lespace urbain pour réduire ses dangers avec ces mêmes dispositifs » précise la chercheuse Myrtille Picaud, associée à la chaire « Villes et numérique » de l’Ecole urbaine de Sciences Po, au Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE) et au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP).

Confrontées à un flux continu des citoyens d’Amérique latine – d’ici 2050, 85 % de la population d’Amérique latine devrait vivre dans ces centres urbains4 – et aux problématiques qui l’accompagnent (transports, déchets, énergie, insécurité, etc.), de nombreuses villes du continent ont, de fait, pris le virage de la smart and safe city ces vingt dernières années : création du ministère de modernisation de la ville en 2011 à Buenos Aires, apparition de Bogota et Montevideo dans le Top 10 des smart cities mondiales dès 20155, baisse de la criminalité de 56 % à México grâce au partenariat monté avec Thales, installation de plus de 1 800 caméras de vidéosurveillance à Vicente Lopez, ville de 24 000 habitants (à titre de comparaison, Paris en compte le double mais pour 2 millions d’habitants !) ou encore la transformation spectaculaire de Medellín. Longtemps considérée comme l’une des plus dangereuses du monde – plus de 4 500 homicides comptabilisés en 1991 – la ville a changé de visage au point d’être reconnue comme « ville la plus innovante » par le Wall Street Journalen 2013. Désormais modèle international de résilience urbaine, elle doit sa « reconversion » à une transposition pertinente des fondamentaux de la smart city à ceux d’une safe city : amélioration des transports pour désenclaver les territoires dangereux (train léger), urbanisme social avec l’implantation de centres culturels dans les quartiers défavorisés en impliquant les habitants (exemple de Parque Explora), et accent mis sur l’économie de la connaissance avec la création de Ruta N, incubateur de start-up locales et étrangères.

Si les safe cities latino-américaines concentrent leurs efforts, comme leurs homologues en d’autres points du globe, sur les technologies visuelles (vidéosurveillance), leur spécificité est une intégration importante de l’audio, utilisé comme un complément précieux et même une alternative aux caméras ou autres capteurs IoT. La ville de Concón au Chili a ainsi mis en place un réseau de caméras réseau de haute qualité et d’autres capteurs avec analyse intégrée et haut-parleurs pour détecter les urgences et envoyer des avertissements à sa population en cas de tremblements de terre et de tsunamis permettant d’aider les autorités à gérer les évacuations d’urgence rapidement et efficacement. Idem à México où 10 000 haut-parleurs peuvent fournir une notification d’évacuation préenregistrée lors de tremblements de terre graves dans les 30 secondes suivant la survenue d’une crise.« En combinant différents capteurs comme laudio et la vidéo, on maximise le potentiel, et in fine, l’efficacité de chacune des technologies pour un service optimal »témoigne AXIS Communications, entreprise européenne leader du secteur de la vidéoprotection.

Vers une coproduction de sécurité globale

Bien que les villes d’Amérique latine témoignent d’une appropriation réussie du concept de safe city, beaucoup reste à faire. Les centres urbains demeurentfracturés par les inégalités, qu’elles soient de genre, d’âge, ou socio-spatiales et restent, de fait, en proie à une insécurité importante. Un des remèdes pourrait être de bâtir une meilleure synergie entre intelligence artificielle et intelligence collective en impliquant davantage les habitants dans la gestion des problématiques communes, pour atteindre une coproduction de sécurité globale. Ce d’autant qu’en matière de smart city, les citadins latino-américains placent parmi leurs priorités « celle dune meilleure transparence dans la gestion des affaires communes » selon R. Gomes, directeur Amérique latine de Business France.

Ces attentes comme les enjeux auxquelles font face les villes latino-américaines sont sources d’opportunités. D’ici à 2024, l’Amérique latine devrait investir 660 milliards de dollars6 sur le sujet.

1 https://www.maplecroft.com/insights/analysis/latin-america-hosts-over-60-of-worlds-most-crime-stricken-cities–global-ranking/

2 The Guardian, « World’s most violent cities: Medellín crime surge helps Latin America top list », 26 mai 2022

3 Courrier international, « Insécurité. Près des 2/3 des villes les plus dangereuses au monde se trouvent en Amérique latine », 26 mai 2022

4 Arthur L., « Smart city : le marché d’Amérique latine augmentera de 19 % d’ici 2020 », 27 juin 2016

5 MALONE L., « Le Top 10 des smart cities », le Parisien, 21 juillet 2015

6 « Smart City : quels sont les besoins croissants de l’Amérique Latine ? », octobre 2020