L’AFRIQUE DE L’EST : TERRITOIRE EN PROIE A LA JUXTAPOSITION DES CRISES

L’Afrique de l’Est, sous-région allant de l’Erythrée à la Tanzanie, englobera dans son futur développement le Mozambique, permettant de mieux comprendre la dynamique régionale. En effet, la zone est le théâtre de périls graves aux conséquences dévastatrices. Entre crise alimentaire et une situation sécuritaire rythmée par des attaques terroristes, la région est en proie à des conflits semblant peu considérés par la communauté internationale…

Par Camille Léveillé

Une crise alimentaire à contenir

La situation humanitaire en Afrique de l’Est est critique, notamment en raison d’une crise alimentaire qui dure depuis octobre 2020 affectant 14 millions de personnes dans la sous-région. En Somalie, quelque 6 millions de personnes sont concernées, soit 40 % de la population totale. Et, si une aide humanitaire d’urgence n’est pas octroyée, une situation de famine attend le pays. « Des centaines de milliers de vies sont déen danger. Une action immédiate est nécessaire pour éviter une catastrophe humanitaire » avertit El-Khidir Daloum, Représentant du Programme Alimentaire Mondial (PAM) en Somalie. Le réchauffement climatique est en cause puisque la zone est en déficit pluviométrique pour la quatrième année consécutive, alors même que la saison des pluies doit débuter en avril. Pour l’heure, elle n’a toujours pas commencé. Mais, l’ombre de la guerre en Ukraine plane également. La Somalie importe 92 % de son blé de Russie et d’Ukraine, et les lignes d’approvisionnement sont aujourd’hui bloquées.

Elle n’est pas le seul pays de la zone à être concerné par les effets néfastes du dérèglement climatique. L’Ethiopie et le Kenya sont également en proie à une crise humanitaire ayant pour conséquence une explosion de la mortalité, infantile en particulier. « Si le monde ne détourne pas son regard de la guerre en Ukraine et nagit pas immédiatement, une explosion de la mortalité infantile est sur le point de se produire dans la Corne de lAfrique », alerte Rania Dagash, Directrice régionale adjointe de l’UNICEF pour l’Afrique orientale et australe. 10 millions d’enfants ont besoin d’une assistance vitale à Djibouti, en Ethiopie, en Somalie et au Kenya.

Le 26 avril dernier, l’ONU annonçait une aide de 1,4 milliard de dollars pour faire face à la situation. Cette aide sera-t-elle suffisante pour éviter une intensification de la crise humanitaire qui se joue actuellement en Afrique de l’Est ? La question reste en suspens…

Une situation sécuritaire précaire

Si la situation humanitaire est catastrophique, celle qui a trait à la sécurité est elle aussi fortement dégradée : présence de groupes armés terroristes, volonté séparatiste de la part de certaines régions des Etats comme le Tigré en Ethiopie, porosité des frontières et migration sont les principaux maux de l’Afrique de l’Est. « Le pouvoir de nuisance des groupes terroristes est absolu. Dans cette zone, tout est possible car ces groupes sont de véritables nébuleuses à la cohérence factice. Par exemple, lunité apparente des Shebabs n’exclut pas en leur sein des luttes de pouvoir féroces.» témoigne Marc Fontrier, colonel des Troupes de Marine et spécialiste de l’Afrique de l’Est. Entre enlèvements par des groupes armés, explosions d’Engin Explosifs Improvisés (EEI), attentats suicides, explosions de voiture piégées, et carjackings, le risque est partout. Le 6 juin dernier, plusieurs soldats kényans ont été blessés après une attaque des Shebabs à Garissa au Kenya. Ces mêmes Shebabs contrôlent une partie du territoire somalien. En mars dernier, il ont attaqué l’aéroport de la capitale, alors même que ce dernier abrite l’ONU, des ambassades, des agences d’aides ou encore le siège de la mission militaire de l’Union africaine, l’AMISOM. Au Mozambique et en Ethiopie les actions terroristes sont tout aussi régulières. Dans le premier, une aggravation du conflit se dessine : des attaques djihadistes ont été recensées dans les districts d’Ancuabe et de Chiure alors que les terroristes étaient cantonnés depuis 2017 à la province de Cabo Delgado. Au total, au moins 10 personnes auraient été tuées au mois de juin dans cette zone, certaines décapitées. Si les intérêts français dans la région sont limités car l’Afrique de l’Est n’est pas une zone d’influence pour la France, au Mozambique la situation est quelque peu différente. Un projet de construction par TotalEnergie d’un complexe de gaz liquéfié ayant nécessité un investissement de 20 millions d’euros a été suspendu en 2021 en raison de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays.

En Ethiopie, le conflit dans la région du Tigré représente le principal risque sécuritaire. Ce conflit a débuté après l’envoi de troupes armées dans la zone par le président Abiy Ahmed, prix nobel de la paix 2019, pour chasser les autorités régionales issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Ces dernières étaient accusées par le pouvoir central d’avoir attaqué des bases militaires fédérales. Depuis, la situation ne fait que s’aggraver. « Le conflit au Tigré est marqué par une brutalité extrême » dénonçait Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, alors même que des massacres, enlèvements, tortures et violences sexuelles sont perpétrés par l’ensemble des parties au conflit. « Le conflit en Ethiopie est parti pour durer de nombreuses années. Même si un accord de paix est trouvé demain, il sera instantanément violé par une des parties » prévient Patrick Ferras, docteur et chercheur au centre d’Etudes africaines en France. « Cette juxtaposition de crises rend la zone complètement instable » ajoute-t-il.

Un arc de crise se dessine t-il ?

Cette accumulation de crises à la fois sécuritaires et humanitaires dans les pays de la région peut amener à se questionner sur l’émergence d’un potentiel arc de crise.

« Pour quil existe un arc de crise, il faudrait quil existe une cohérence politique, idéologique et économique entre les conflits. Or dans cette région, il y a une juxtaposition de crises mais il est très difficile de les lier entre elles.En effet, les affrontements spécifiques au Soudan, à la Somalie ou à l’Erythrée n’ont guère sinon rien à voir les uns avec les autres. Seule lEthiopie cristallise des conflits spécifiques à l’intérieur de son propre territoire. Selon moi, il ny a donc pas darc de crise en Afrique de lEst précisément parce que les conflits de cette région ny offrent aucune cohérence stratégique » développe Marc Fontrier.

« Les crises de cette région sont en effet toutes très différentes, mais cela n’empêche pas, des débordements frontaliers dune crise à l’autre. Néanmoins, il serait trop simpliste de globaliser les problématiques auxquelles sont confrontées les pays de la région » abonde Patrick Ferras.

Une sortie de crise envisageable ?

Les ONG, l’ONU et les pouvoirs publics, souvent faibles, tentent d’endiguer ces crises sécuritaires, politiques et humanitaires. L’ONU et ses agences investissent massivement dans cette région. Mais, cela n’est pas toujours suffisant. Faute de financements, le PAM a dû réduire de moitié les rations des trois quarts des réfugiés. Les personnes les plus concernées par cette réduction se situent en Afrique de l’Est, n’arrangeant en rien le drame qui se joue. Les ONG ont également un rôle clé dans l’aide humanitaire apportée. A titre d’exemple, Médecins du Monde intervient au Kenya, en Tanzanie et en Ethiopie pour tenter d’endiguer l’insécurité alimentaire, sensibiliser aux maladies infectieuses comme le VIH, les hépatites ou encore la Covid-19. Care agit également dans la région à travers des programmes visant l’accès à l’eau, la défense du droit des femmes, la distribution de nourriture et l’accès aux soins.

Plus encore, le retour de la sécurité est un élément essentiel pour espérer un développement de ces pays, aujourd’hui gangrénés par des fléaux multiples. Le 30 mars dernier, l’ONU a annoncé poursuivre la force Atmis (Mission de transition de l’Union africaine en Somalie) prévoyant une stratégie militaire « plus offensive, combinée à un retrait progressif d’ici fin 2024 » en Somalie. Au Mozambique, le Rwanda envoyait en juillet 2021, 1000 soldats pour lutter contre l’insurrection djihadiste. En décembre 2021, la Communauté de développement de l’Afrique australe déployait à son tour un contingent régional dont le nombre exact de militaires n’a pas été communiqué. Si les Etats multiplient les renforcements sécuritaires, leur efficacité semble relative.« La majorité de ces Etats resteront en crise dans les prochaines années car il nexiste pas de solutions à court terme. Les réformes des appareils sécuritaires ou des appareils de gouvernance prennent environ 20 à 30 ans. Il faut donc du temps et de la bonne volonté de la part des leaders africains pour espérer voir un règlement de ces différentes crises. A partir du moment où il y a une volonté réelle exprimée, lUnion européenne peut venir en appui financier. Les Etats africains devront trouver eux-mêmes les solutions adéquates. Mais, à court terme, une partie de ces pays pourraient même devenir des Etats faillis, au même titre que le Soudan du Sud aujourdhui, si aucune action concrète n’est menée par lUnion africaine ou par les dirigeants. » conclut Patrick Ferras.