Quelles identités numériques à travers le monde ?

« Fers de lance du développement, les technologies numériques offrent aux pays des perspectives uniques pour accélérer la croissance économique et connecter leurs habitants aux services » note la Banque Mondiale1. Le développement des identités numériques fait figure de pilier pour l’émergence d’un numérique de confiance et tendent à se démocratiser dans le monde entier. Retour sur les principaux programmes, autour du monde, de celle qui pourrait simplifier la vie de millions de personnes sur la planète.

Par Camille Léveillé

L’Europe : pionnière de lidentité numérique

Les premières identités numériques ont vu le jour il y a une quinzaine d’années dans les pays du nord de l’Europe. Le continent européen fait figure de pionnier. Plusieurs Etats utilisent déjà des identités numériques, à l’image de l’Estonie, modèle en la matière. Depuis 2002, les Estoniens peuvent disposer d’une identité numérique grâce, notamment, à la carte d’identité électronique. Leur trois systèmes d’identités numériques sont interopérables et permettent des utilisations variées comme le vote en ligne ou le paiement de facture. En Italie, le programme d’identité digitale SPID est obligatoire pour accéder à certains services gouvernementaux. Dans l’Hexagone, France connect compte pour sa part déjà plus de 39 millions d’utilisateurs et permet d’accéder à plus de 1000 services. France Identité, en phase de test, devrait voir le jour début 2023. Monaco dispose également d’un programme d’identité numérique, MConnect, qui permet aux utilisateurs de prouver leurs identités ou encore de signer en ligne.

L’Union européenne a également pour objectif de développer un programme d’identité numérique. « La Commission proposera une identité électronique européenne sécurisée. Une identité fiable, que tout citoyen pourra utiliser partout en Europe pour nimporte quel usage, comme payer ses impôts ou louer un vélo »2 déclarait Ursula Von Leyen, Présidente de la Commission européenne en 2020. « Avec linitiative du wallet européen, lEurope montre de nouvelles ambitions. Les autres continents regardent de près ce que va faire lEurope car elle va servir de laboratoire à taille humaine. Un grand nombre de continents attend de sinspirer des best practices qui vont être générées » développe Kristel Teyras, Présidente du Groupe de Travail Digital ID de la Secure Identity Alliance et responsable marché identité numérique, plateformes et services chez Thales. « Il y a un réel engouement mondial. Et, lEurope nest pas seulement leader du point de vue technique, elle est également un modèle en matière de réglementations » témoigne Stéphanie de Labriolle, porte-parole de la Secure Identity Alliance.

Afin de mener à bien ce projet de e-wallet, l’Europe a fait le choix de l’agilité. Plusieurs consortium regroupant les acteurs de l’identité numérique ont été formés. Ils « travaillent ensemble pour construire le modèle européen de lidentité et garantir le succès attendu. Lessentiel du projet réside dans linteropérabilité du wallet qui sera proposé aux citoyens européens » pointe Kristel Teyras.

Si le portefeuille d’identité numérique européen ne devrait pas voir le jour avant 2024, son adoption ne fera aucun doute. 85 % des Français et 75 % des Italiens sont prêts à l’utiliser selon une étude publiée par Thales3.

Quelle identité numérique pour les Amériques ?

Les acteurs du privé ont investi ce nouveau marché. Ainsi, aux Etats-Unis, Google et Apple ont d’ores et déjà annoncé le lancement de leur digital wallet. Dans le pays, ce sont les Etats fédérés qui choisissent de développer ou non des solutions d’identité numérique. Ainsi, le permis de conduire des citoyens américains, principal document d’identité dans le pays, pourra bientôt être intégré à l’Apple Wallet. La nouvelle fonctionnalité, qui n’a pas encore de date de mise en service, a été légalement reconnue par l’Arizona et la Géorgie. D’autres Etats comme le Maryland, l’Oklahoma, l’Iowa, le Connecticut, le Kentucky ou encore l’Utah devraient également suivre sous peu. Le géant américain assure mettre la protection des données de l’utilisateur au cœur de ses préoccupations. « Les identifiants d’Apple Wallet permettent de préserver la confidentialité des informations des utilisateurs »4 explique-t-il. L’Apple Wallet répond notamment à toutes les dispositions prévues par l’ISO 18013-5, la nouvelle norme internationale relative à l’identification personnelle pour un permis de conduire numérique.

Le Canada développe petit à petit son programme d’identité numérique au niveau fédéral. Le programme national Verified.Me a pour objectif de vérifier de manière sécurisée les identités des utilisateurs rapidement et efficacement. Au niveau provincial, les identités numériques existent depuis plusieurs années déjà. La Colombie Britannique propose un service d’authentification, le BCeID, qui permet d’accéder à plusieurs services gouvernementaux en ligne depuis 2002. Les habitants de la province d’Alberta peuvent également disposer de leur identité en ligne grâce au programme MyAlberta Digital ID. La province de Québec, quant à elle, prévoit un déploiement pour 2025 alors que ni le Manitoba ni le Saskatchewan n’ont fait d’annonce particulière sur la mise en place d’une identité numérique dans leurs provinces. La question de l’interopérabilité de ces différents programmes se pose. Au niveau fédéral, le gouvernement canadien a annoncé lancer son pilote. « L’identité numérique permettrait d’instaurer la confiance dans les transactions numériques et de les rendre numériques de bout en bout » souligne Michael Goit, Directeur Identité numérique du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada5.

L’Amérique du Sud regorge également d’initiatives d’identités numériques à l’image du programme MeuID du Brésil. Espace de stockage de documents d’identification et permettant la vérification d’identité, elle permet d’accéder à certains bâtiments, de partager des informations d’identité de manière sécurisée mais aussi de vérifier si l’utilisateur a été impliqué dans une fuite de données ou encore de s’inscrire dans des établissements d’enseignement.

L’Asie et le Moyen-Orient : des identités numériques matures

Le projet d’identité numérique Aadhaar, développé par l’Inde depuis 2009, est le projet comptant le plus d’utilisateurs au monde. 92% de la population soit 1,2 milliard de personnes est enregistrée dans ce programme d’Etat basé sur la biométrie. Les habitants concernés ont un numéro d’identification associé à leurs empreintes digitales et leurs iris. L’objectif premier était d’optimiser les programmes sociaux. Et, contrairement aux autres identités numériques dans le monde, qui sont facultatives, le numéro Aadhaar est obligatoire pour bénéficier de certains services publics dont les pensions de retraites, les cantines scolaires, les bourses étudiantes, les soins dans les hôpitaux publics ou encore la distribution d’aide alimentaire pour les plus démunis. Pour autant, cette identité numérique a de nombreux opposants qui craignent notamment la création d‘une base de données destinée à surveiller la population. La Cour suprême indienne a néanmoins jugé que la collecte « d’informations démographiques et biométriques » prévue par la loi ne « constituait pas une violation du droit fondamental à la vie privée »6.

Singapour était également l’un des premiers Etats à intégrer une identité numérique au sein de son administration dès 2003. SingPass permet d’accéder aux services publics en ligne, de prouver son identité, de signer électroniquement. Il sera bientôt permis de payer ses factures en ligne.

Depuis un peu plus d’un an, les citoyens saoudiens disposent de “Digital ID”, une nouvelle identité électronique disponible depuis l’application Absher via un QR code unique. Les Saoudiens peuvent alors télécharger leur carte d’identité et la présenter, même hors-ligne, pour prouver leur identité auprès des banques, des services gouvernementaux et lors de contrôles de sécurité.

L’Afrique : continent davenir de lidentité numérique

« La transition numérique et l’adoption d’identité numérique sont inévitables en Afrique. La question est de savoir comment développer des identités numériques inclusives, efficaces et qui respectent les budgets des Etats » explique Joseph Atick, PDG d’ID4Africa. Véritable moteur du développement des Etats, les gouvernements africains sont prêts à se tourner vers le numérique, malgré les obstacles. Premier d’entres eux : le recensement. 500 millions d’Africains ne disposent d’aucune identité physique. Si l’identité numérique peut être une partie de la solution, « il est impossible d’avoir une transition numérique réussie sans état civil » pour Joseph Atick. La deuxième problématique est liée à la disparité de la digitalisation en fonction des pays.

Pourtant, le développement d’identités numériques sur le continent africain est essentiel. La reconnaissance d’identité permettra aux citoyens d’avoir accès beaucoup plus facilement aux services proposés par l’Etat. Des crédits pourront être attribués à des personnes qui ne pouvaient, jusque-là, pas en contracter. Le recensement pourra se faire en ligne pour les villages les plus reculés. En 2020, seuls 12 % des Nigérians possédaient un numéro d’identification national et moins de 1 % une carte d’identité selon l’AFD7. L’agence de développement, en partenariat avec le Nigeria a donc lancé le projet Identification for Development (ID4D) qui vise à la « mise en place d’un système d’identification numérique robuste, sécurisé et conçu pour respecter la vie privée »8. A ce jour, le Nigeria aurait une base de données biométriques de 83 millions de personnes grâce à la mise en place du numéro NIN, désormais obligatoire pour avoir accès à certains services gouvernementaux. La base de données devrait être complète d’ici 2025.

Le Togo développe un programme similaire nommé e-ID Togo. Toute personne togolaise ou résidant sur le territoire aura, à terme, un numéro d’identification unique lié à ses données biométriques. Ces deux éléments serviront à mettre en place une base de données centralisée qui fera référence en matière de vérification d’identité.

Entre protection des données personnelles et expérience utilisateur agréable, l’identité numérique de demain pourra simplifier la vie de millions de personnes à travers le monde. « La création d’une identité numérique est un marathon, et non un sprint. Elle doit être fondée sur les besoins et les réalités locales, mais les gouvernements doivent également chercher à apprendre des autres. La collaboration doit s’étendre également à la mise en œuvre, car lidentité numérique dépasse aujourdhui les frontières nationales »9 concluent Calum Handforth des Nations Unies et Kendrick Lee de l’agence gouvernementale de la technologie de Singapour.

1 Développement numérique, Banque Mondiale, https://www.banquemondiale.org/fr/topic/digitaldevelopment/overview

2 Une identité numérique pour tous les Européens, Commission européenne, https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/european-digital-identity_fr

3 Alice Vitard, “85% des Français sont prêts à utiliser le portefeuille européen d’identité numérique”, Usine Digitale, 7 juin 2022, https://bit.ly/3Sg4v98

4 IDs in Apple Wallet, https://support.apple.com/fr-fr/guide/security/secc50cff810/web

5 Puis-je voir votre pièce d’identité (numérique) ?, 16 juin 2021, https://bit.ly/3oJk37w

6 Julien Bouissou, “Aadhaar, plus grande base de données biométrique au monde, est autorisée en Inde avec des garde-fous”, Le Monde, 27 septembre 2018, https://bit.ly/3b7LrZO

7 « Moderniser et harmoniser la politique nationale d’identification numérique », AFD, https://bit.ly/3BmTehg

8Ibid

9 Calum Handforth et Kendrick Lee, “How digital can close the ‘identity gap’’, UNPD, 19 mai 2022, https://bit.ly/3oIpp39