La fraude à l’identité peut avoir des répercutions nombreuses, dévastatrices et aux conséquences au long cours. Aussi, avec la pandémie de la Covid-19, le phénomène a trouvé de nouvelles surfaces de jeu, porté par des fraudeurs dont la capacité d’adaptation ne semble pas avoir de limites. Pour lutter contre ce fléau planétaire, les gouvernements et le secteur privé s’organisent. L’identité numérique européenne, quant à elle, retient tous les suffrages.
Par Diane Cassain
La lutte contre la fraude : enjeu de société majeur
« Les documents frauduleux ouvrent la voie à la grande criminalité organisée, notamment au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Par conséquent, l’incapacité à identifier les documents frauduleux dans le monde réel et en ligne constitue une menace pour l’économie mondiale, les pays et leurs citoyens » souligne Interpol dans l’avant-propos du rapport sur la fraude à l’identité 2022 d’Onfindo1.
La crise de la Covid-19 a engendré une explosion du phénomène. Entre octobre 2019 et octobre 2021, la fraude à l’identité a connu un bond de 44%. L’an dernier, l’e-commerce a affiché une augmentation de 15% par rapport à 2020, confirmant la tendance croissante d’achats en ligne2. Les fraudeurs se sont eux aussi tournés vers le monde numérique tout en se professionnalisant. En 2020, quasiment 70 % des fraudes étaient jugées comme faciles, c’est-à-dire que le document comportait des « éléments manifestement erronés » comme, par exemple, une mauvaise police de caractère. En 2021, ce pourcentage chute, pour atteindre les 53%. A contrario, les fraudes dites moyennes, dont les erreurs sont moins évidentes, ont augmenté de 57% en seulement un an.
L’identité numérique : une solution ?
« La fraude étant changeante et évoluant rapidement, il nous incombe d’y répondre par des solutions d’identité numérique »3 déclare Adam Gagen, Vice President, Government Affairs d’American Express. La double authentification, devenue obligatoire pour les paiements excédant 30 euros au sein de l’Union européenne depuis mai 2021, est un premier pas. Allant de la mise en place d’un wallet à la multiplication des contrôles électroniques, les solutions liées à la réduction de la fraude par l’identité numérique sont nombreuses. En 2021, le taux de fraude documentaire avoisinait les 6% alors que celui de l’identification par selfie était d’1,5% et de 0,17% pour l’identification par vidéo4.
De plus, l’identité numérique au service de la lutte contre la fraude pourrait avoir une utilité plus importante encore en Afriqueoù près de 500 millions de personnes ne disposent pas d’identité5 alors que le continent voit fleurir des feuilles de routes gouvernementales affichant des ambitions full digital à horizon 2025-2030.
Innover pour s’adapter
Les nouvelles technologies et, en particulier, l’intelligence artificielle permettent de passer un nouveau cap dans la lutte contre la fraude. « Nous utilisons l’intelligence artificielle et le machine learning pour détecter la fraude. Il s’agit d’un élément nouveau » dévoile Lovro Persen, Directeur des produits, des documents et des fraudes pour IDnow, entreprise spécialisée dans l’identification numérique et la vérification d’identité. Et d’ajouter : « Il n’y a pas de technologie parfaite ni d’humain parfait. Nous combinons les deux afin de vérifier les identités des consommateurs et, ainsi, réduire la fraude».IDnow a développé une solution capable de vérifier des identités dans des secteurs aussi variés que la finance, les cryptomonnaies, les assurances, la mobilité ou les jeux en ligne. La plateforme de l’entreprise a permis à Syncier « d’automatiser l’identification de plus de 1000 cartesd’identité par jour via une API » et ce, dans le respect des exigences KYC6.
Mais, l’intelligence artificielle n’est pas le seul moyen d’ajouter de nouvelles couches de sécurité à la vérification d’identité en ligne. « La blockchain va permettre de garantir une journalisation et de s’assurer que les données communiquées par l’utilisateur sont correctes, sans que ces dernières restent dans la blockchain. Je pense qu’elle peut être un bon moyen, complémentaire à d’autres solutions existantes, pour lutter contre la fraude en ligne » souligne Etienne Plouvier, responsable du développement commercial de Wordline. Enfin, l’analyse comportementale et la biométrie peuvent être de nouvelles pistes d’innovation pour les entreprises du secteur. « Une approche proactive est toujours préférable à une approche réactive pour rester au fait des menaces » souligne l’entreprise LexisNexis Risk Solutions7. La solution de biométrie comportementale développée par la structure pointeles anomalies de session, instaure un climat de confiance avec les utilisateurs et distingue les comportements humains de ceux des « bots ». Cette solution a par exemple permis à la Commercial Bank of Dubai « d’établir un profil plus précis du comportement des clients fiables, de réduire les faux positifs et d’améliorer la détection des incidents de fraude réelle »8.
D’autres acteurs se positionnent également. « Worldline investit en R&D pour développer la biométrie comportementale.Cependant, intégrer des solutions de biométrie dont les données sont stockées dans le cloud pose encore question aujourd’hui alors qu’au niveau technique, des garanties peuvent être apportées pour assurer la confidentialité des données personnelles. Il faut le mettre en lumière afin d’informer le grand public.D’un point de vue expérience utilisateur, la biométrie est très intéressante. Le nouveau défi est de trouver le bon curseur entre l’expérience utilisateur et le niveau de sécurité» témoigne Etienne Plouvier. « Aujourd’hui, la biométrie comportementale est la technologie qui permet d’apporter l’expérience utilisateur la plus souple et transparente» ajoute Claire Deprez Pipon, responsable des offres liées à l’authentification pour l’identité numérique chez Worldline.
Une coopération accrue
Les organisations publiques ont tout intérêt à coopérer avec les entreprises privées notamment sur le partage de connaissances liéesà la fraude. L’entreprise IDnow a récemment noué un partenariat avec Interpol. « Il s’agit d’un échange mutuel d’expériences. Nous organisons ensemble des formations pour les officiers de police de différents pays durant lesquelles nous travaillons principalement sur l’identité numérique et les avantages que représentel’intelligence artificielle dans ce domaine. L’objectif : une plus grande efficacité dans la détection de la fraude » explique Lovro Persen. La dernière opération en matière de fraude menée par Interpol a réuni 76 pays et conduit à l’arrestation de près de 2 000 criminels, à l’identification de plus de 3 000 suspects et à l’interception de 50 millions de dollars. « Il n’est possible de lutter avec succès contre cette criminalité de nature internationale que si les services chargés de l’application de la loi coopèrent par-delà les frontières. C’est pourquoi INTERPOL joue un rôle essentiel s’agissant d’offrir une réponse tactique et coordonnée aux policiers du monde entier » explique Rory Corcoran, Directeur du Centre INTERPOL de lutte contre la criminalité financière et la corruption (IFCACC)9.
Entre coopérations, innovation et réglementations, la pression mise sur les fraudeurs en ligne s’accroît de jour en jour. L’Europe entend resserrer l’étau avec l’arrivée en 2024 du e-wallet. Projet structurant, il devrait conduire au développement de nouvelles opportunités tout en renforçant les moyens de lutter contre le fraude alors que 80 % des citoyens pourraient être dotés d’une identité numérique d’ici 203010. «Cette identité numérique européennepourrait véritablement être une barrière supplémentaire pour lutter contre la fraude»conclut Etienne Plouvier.
1 Identity Fraud Report 2022, Onfindo
2 “Quelles solutions pour lutter contre la fraude en ligne ?”, E-commercemag.fr, 1 juin 2022, https://bit.ly/3vafiI1
3 Digital Identity and Fraud Prevention, TechUK, 10 novembre 2021, https://www.techuk.org/resource/digital-identity-and-fraud-prevention.html
4 Identity Fraud Report 2022, Onfindo
5 Sophy Caulier, « Dans les pays pauvres, l’identité numérique, comme solution contre l’exclusion », 12 septembre 2021, https://bit.ly/3yXzCNW
6 Syncier Case study, IDnow, 2020, https://info.idnow.io/rs/262-BHQ-875/images/IDnow_Gated_Syncier_Case_Study_English.pdf
7 LexisNexis® Behavioral Biometrics, https://risk.lexisnexis.com/global/fr/products/behavioral-biometrics
8 Réduire les points de friction en ligne et améliorer la détection de la fraude, https://risk.lexisnexis.com/global/fr/insights-resources/case-study/reducing-friction-in-online-banking
9 Des centaines d’arrestations et des millions saisis lors d’une opération mondiale d’INTERPOL contre la fraude par ingénierie sociale, Interpol, 18 juillet 2022, https://bit.ly/3J204uh
10 « Identité numérique, une avancée majeure dans la transformation de l’Union européenne », IN Groupe, 14 avril 2022, https://bit.ly/3oJJIx8