A Monaco, une vision transversale et souple du numérique

Depuis quelques années, la Principauté de Monaco s’engage massivement dans le domaine du numérique. Sa stratégie politique s’accompagne d’un éventail de lois, de réglementations et d’usages qui aspirent à s’appliquer de manière transversale dans tous les secteurs qui composent l’économie du Rocher et rejaillit sur sa population.

Par Lola Breton

Il suffit de revenir dix ans en arrière. Le numérique était alors loin d’être l’objectif premier de Monaco, mais depuis 2018 et les dernières élections, le gouvernement a placé de grandes ambitions dans ce domaine stratégique. Monaco a pu compter sur des bases solides et miser sur ce qui compose son ADN : l’immobilier, la finance, le yachting, le tourisme ou encore le sport, qu’il a habilement rendu « smart ».

Grâce au programme gouvernemental Extended Monaco, plusieurs projets de smart city ont pu voir le jour en l’espace de quelques années seulement. C’est le cas de l’interface 3D « Jumeau numérique », qui compile toutes les données du territoire pour prévoir l’évolution de la couverture mobile et son optimisation en fonction des travaux menés sur le Rocher.

Irriguer lensemble des secteurs

Les projets sont foisonnants, certes. Mais surtout, la Principauté s’est appuyée sur une feuille de route dimensionnante et joue la carte de la coopération. La stratégie numérique irrigue l’ensemble des services nationaux et des administrations. Si le Rocher a pu donner une véritable impulsion à sa stratégie numérique, c’est d’abord en se donnant un cycle de trois ans pour créer les infrastructures nécessaires entre 2018 et 2021. « Au début du mandat, en 2018, Monaco avait du retard sur le numérique. Puis, la commission pour le développement du numérique au Conseil national a été créée, retrace son président, Franck Julien, ainsi quune délégation interministérielle chargée de la transition numérique. Petit à petit, au sein du conseil national, nous avons voté des textes fondamentaux pour renforcer le cadre législatif et réglementaire sur le sujet. »

Dès 2019, la loi Principauté numérique a permis de donner une valeur probante équivalente entre document papier et document numérique et donc de dématérialiser un grand nombre de procédures. Un gain de temps considérable et un nouveau secteur d’activités pour les entreprises. D’après l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE), le secteur du numérique représentait en 2019 à près de 800 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Se positionner sur toutes les technologies

Année phare pour la Principauté, c’est en 2019 encore qu’elle devient le premier pays entièrement couvert par la 5G – grâce aux antennes du chinois Huawei. Le réseau 5G est utilisé dans le cadre du réseau de transports, mais surtout par les entreprises monégasques.

Autre avancée, l’homologation au plus haut standard de sécurité du Monaco Cloud – le cloud souverain du Rocher – est une victoire pour la sécurité des données traitées par les 20 entreprises de la Principauté qui lui font confiance.

En 2020, la loi sur l’identité numérique est également entrée en vigueur dans la Principauté. Depuis, ses 10 000 ressortissants et quelque 30 000 détenteurs d’une carte de résident se dotent peu à peu d’une carte d’identité numérique, permettant d’accéder à des services publics dématérialisés. Les possibilités sont désormais infinies : vote électronique, e-santé et dossier médical partagé, les idées fusent. Mais il faut avancer prudemment, notamment sur les questions de santé. Franck Julien ajoute : «A Monaco, la patientèle médicale est en majorité étrangère donc il faudrait absolument construire notre dossier médical partagé en partenariat avec le système français. »

Rester souple pour innover

Le conseiller national, qui exerce également en tant que consultant en ingénierie électronique dans les télécommunications (les conseillers nationaux gardent une activité professionnelle pendant leur mandat) est lucide sur les lois votées ces dernières années : « Elles ont donné une base pour aborder la suite. Elles doivent pouvoir évoluer rapidement.Ce sont les meilleures que nous pouvons faire en l’état actuel de nos connaissances, mais elles sont vouées à un cycle de vie très court. » La dernière, votée le 30 juin dernier, ne fera sans doute pas exception. Elle concerne des aspects du numérique encore très peu envisagés par les législateurs étrangers : les cryptoactifs et les registres distribués « et pas uniquement la blockchain », tient à souligner le président de la commission pour le développement du numérique. « Nous sommes lun des premiers pays à avoir définis ce qu’étaient les NFT et le metavers », ajoute-t-il. Sur ce dernier point, la loi prévoit notamment une autorisation administrative obligatoire pour pouvoir utiliser l’image de la Principauté.

Sécuriser pour durer dans le temps

Mais toutes ces évolutions demandent une protection et une vigilance accrue en termes de protection des données. Pour cela, les acteurs du numérique monégasques peuvent compter sur plusieurs dispositions. En premier lieu, l’Agence monégasque de la Sécurité Numérique (AMSN), dirigée par Frédéric Fautrier. L’équivalent de l’ANSSI dans la Principauté fonctionne sur les mêmes principes. Et pour cause, «on ne voit pas de différences dans les opérations de reconnaissances de cyberattaquants à Monaco par rapport à ailleurs », note le directeur de l’Agence. Il convient de « sécuriser les projets numériques dès leur conception ».

Sur les technologies dites de blockchain, dont les projets pourraient désormais fleurir dans les prochains mois, Frédéric Fautrier abonde : « Cela nécessitera un encadrement pour que ça ne fasse pas lobjet dutilisations malveillantes. Toutefois, même si les asset numériques se protègent par définition eux-mêmes, ils sont utilisés via les serveurs habituels. Cest donc toujours à leurs niveaux quil faut continuer à appliquer les mêmes lots de règles de sécurité. Cela consiste en une analyse de risques en amont des projets et des audits réguliers pour une mise à jour des pratiques et un traitement des risques résiduels. »

L’AMSN a fait progresser la réglementation et les outils de cybersécurité, et garde un lien privilégié avec les organismes gouvernementaux et les principaux acteurs économiques du territoire. Mais aujourd’hui, toutes les entreprises monégasques, quelle que soit leur taille et leur secteur d’appartenance, ont besoin d’être accompagnées par des professionnels de la cybersécurité. C’est notamment le rôle de Monaco Cybersécurité, dirigé par Sébastien Massé. Cette filiale de Monaco Digital continue à développer ses offres et ses expertises pour s’adapter aux évolutions des besoins et des usages. Là aussi, la nouvelle loi sur les cryptoactifs et les registres distribués risque de donner du fil à retordre aux entrepreneurs. « La blockchain est un sujet que nous regardons de près puisque notre rôle est de suivre l’évolution des technologies surtout dans le cadre des projets mis en œuvre par les entreprises que nous accompagnons. Au vu des nouvelles dispositions législatives, nous allons participer à ces projets naissants en veillant à respecter scrupuleusement la loi. » précise le directeur.

A l’AMSN, Frédéric Fautrier ne note qu’une difficulté dans cet Etat sensibilisé à la sécurité des systèmes d’information depuis le début de sa transition numérique : la difficulté à recruter des talents. « Alors, nous avons pris le parti de miser sur les profils juniors et de continuer à les former chez nous. » C’est là que l’un des aspects de la stratégie numérique du gouvernement monégasque a un effet direct sur la population. Depuis 2019, pour commencer dès maintenant à endiguer cette pénurie de talents, l’Education nationale a mis en place des cours de programmation pour tous dès la maternelle.