S’engager au plus vite pour un numérique responsable et durable !

Les impacts du numérique sont aujourd’hui visibles de tous, que ce soit au niveau environnemental ou social.Si, le numérique offre certes des opportunités jamais égalées,il creuse également les inégalités.Une démarche plus responsable pour l’émergence d’un numérique plus durable et plus inclusif est nécessaire : l’avenir se pense aujourd’hui.

Par Camille Léveillé

Des impacts hétérogènes

Aujourd’hui, 4,9 milliards d’êtres humains sont connectés à Internet1 et 9 milliards d’équipements électroniques sont en circulation2. Si le numérique a longtemps été vu comme une source d’opportunités sans limites pour nos sociétés, la réalité est plus nuancée. Le numérique a de nombreuses répercussions sur des enjeux de plus en plus pressants. Le principal : l’impact environnemental. Le numérique représenterait entre 2 et 4 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial3. Le Ghana et le Nigeria abritent de véritables décharges électroniques à ciel ouvert. Au niveau social, la lutte contre la fracture numérique s’invite au cœur des préoccupations politiques. Enfin, au niveau sociétal le numérique interroge sur des enjeux tels que l’ubérisation ou la protection des données personnelles, qui, malgré un arsenal législatif fort reste mise à mal.

Réagir sur un large spectre

Après avoir consacré la Responsabilité Sociale des Entreprises, une notion affiliée émerge : la Responsabilité Numérique des Entreprises (RNE). Elle couvrirait « la responsabilité réglementaire, liée à la protection des données et au respect du RGPD et des réglementations sectorielles ; la responsabilité éthique, liée aux logiciels relatifs à l’intelligence artificielle (IA) ; la responsabilité sociétale, relative à la gestion des données, à la transformation des modes de travail, au type de partage des données et à l’inclusion de toutes et tous ; la responsabilité environnementale, liée à l’utilisation des données dans la prise en considération des impacts environnementaux des activités des entreprises »4 selon l’avis de la Plateforme RSE, organisme réunissant les parties prenantes du domaine en France. La sensibilisation des collaborateurs sur le sujet, l’intégration des compétences en faveur d’un numérique responsable dans les formations, l’évaluation de l’impact environnemental des systèmes d’information au sein d’une entreprise, la réduction des équipements informatiques, des impressions ou encore de l’impact environnemental peuvent être autant d’exemples pour une action liée à un numérique plus responsable. La RNE n’est donc pas uniquement une affaire environnementale… Inclusion sociale, création d’emploi ou encore nouveau système managérial font également partie de la démarche.

La France, pays précurseur

« La France a la chance de disposer d’acteurs d’excellence dans le domaine notamment dansles grandes entreprises. Au sein de lEurope, nous nous rendons compte que l’écosystème du numérique responsable est bien plus mature en France que dans les autres pays. Pour continuer dans cette voie, il sera nécessaire de créer des cursus pédagogiques adaptés, ce qui nexiste pas encoreaujourdhui et former dès le plus jeune âge au fonctionnement matériel du numérique » souligne Romuald Ribault, Vice-Président de l’Alliance GreenIT.

Certaines entreprises ou organisations publiques ont déjà entamé cette démarche. Pour le groupe BPCE : « Nos objectifs sont de réduire de 15 % notre empreinte carbone du numérique d’ici 2024 par rapport à 2019. Nous souhaitons également améliorer de 10 % lefficacité énergétique de nos data center » témoigne Cécile Maugé, Coordinatrice Programme Numérique Responsable du Groupe. Cinq chantiers sont en cours : le cycle de vie des équipements pour maîtriser l’impact environnemental des matériels, la conception numérique responsable qui visera à mettre en place un éco-score et diffuser les bonnes pratiques en matière de numérique responsable, le rayonnement numérique responsable, lié à la sensibilisation et à la formation, la maîtrise de la consommation énergétique en lien avec les data center et enfin, celui du pilotage des indicateurs qui aura pour but le suivi des actions et l’atteinte des objectifs par le groupe5. « Aujourd’hui, nos data center sont approvisionnés à 100 % par des énergies renouvelables d’origine française » souligne Cécile Maugé.

Cette démarche RNE est également au cœur des préoccupations de la région Bretagne, première région labellisée par l’Institut du Numérique Responsable (INR) qui a édicté une feuille de route détaillant les objectifs et actions à mettre en œuvre pour développer un numérique responsable. « Désormais, tous ces enjeux detransition simposent de la même manière aux entreprises quaux organisations publiques. Et, cette responsabilité est totalement partagée entre les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens » détaille Céline Faivre, Directrice générale adjointe au Numérique, Achat, Juridique de la région Bretagne. Et d’ajouter : « La démarche de numérique responsable se fait nécessairement dans le dialogue carles nouveaux objectifs fixés entraînent des contraintes pour nosprestataires et fournisseurs mais également pour nos usagers.L’eco-conception de services numériques modifiant sensiblementles parcours usagers et impactant les coûts de conception et dedéveloppement. La question est donc celle de la soutenabilité deces nouveaux modèles et de notre capacité à prendre dimportants virages ». 20 actions définies dans le cadre de l’INR sont appelées à voir le jour d’ici 2024 : sensibiliser les acteurs sur les enjeux de numérique responsable, réaliser, tous les ans, un bilan de gaz à effet de serre focus numérique ou encore la réalisation d’un guide de référence pour l’achat de matériel.

Le secteur cyber, impacté par le sujet, s’implique également de plus en plus en faveur d’un numérique responsable. Tehtris, entreprise de lutte contre le cyberespionnage et cybersabotage, a choisi des ordinateurs en aluminium recyclés et développe une démarche RSE/RNE grâce à des actions très concrètes. La consommation de feuilles de papier des collaborateurs a été réduite à 3 par personnes et par mois et 11% de l’énergie du bâtiment est fournie grâce au toit photovoltaïque.

Quid des pays étrangers ?

L’INR a annoncé le lancement d’une association en Belgique : le Belgian Institute for Sustainable IT en collaboration avec Green IT Belgium. En Afrique, les projets se multiplient. L’initiative Green TIC Africa intervient pour sensibiliser le grand public sur l’impact du numérique sur l’homme et l’environnement. L’association nigériane E-Waste Relief sensibilise quant à elle sur « les dangers d’une mauvaise gestion des déchets électroniques » et retire les déchets électroniques les plus dangereux des décharges. L’Asie semble elle, moins active. Au Canada, la Charte du numérique responsable, dévoilée par le gouvernement en juin 2022, est un nouveau pas dans l’intégration de ces enjeux au niveau national. Les entreprises sont également impliquées à l’image d’Ecritel, un cloud center à la politique Green IT avancée tant sur les choix de leurs fournisseurs que dans celui des data center devant être responsables.

La RNE, élément différenciant ?

« Les entreprises nont peut-être pas encore conscience que la RNE va pouvoir accroître leur valeur ajoutée à court ou moyen-terme maiselles ont conscience de limpact du numérique. Cela est une première étape » explique Romuald Ribault.

Comme la RSE, la stratégie RNE pourrait devenir rapidement un élément différenciant dans les affaires et représenter un avantage concurrentiel majeur. Le développement d’un numérique responsable, favorisant l’inclusion, pourrait engager un nouveau cercle vertueux intégrant « toute la chaîne de valeur. Tous les points de vue sont alors pris en compte, créant une intelligence collective qui seratrèsbénéfique » poursuit Romuald Ribault. « Avoirune démarche de sobriété permet de déployer de nouveaux usages tout en rendant accessible des emplois à des personnes qui ne peuvent pas se déplacer ou qui sont en difficulté » développe le vice-président de l’Alliance GreenIT. Et de poursuivre : « Je ne connais pas une entreprise ayant basculé dans un modèle d’économie circulaire qui soit revenue en arrière ensuite ».

Entrer dans une telle démarche est également important pour la « marque employeur. Les actions mises en place en faveur d’un numérique responsable nous permettent de garder un attrait pour nos collaborateurs et nouveaux talents » pointe Cécile Maugé.

La mise en place d’une stratégie RNE ne représente pas l’apanage réservé aux grandes structures. Specinov, entreprise de 21 salariés est spécialisée dans l’édition et la conception de logiciel. Engagés depuis 5 ans en faveur d’un numérique responsable, leurs logiciels sont tous éco-conçus et la société dispense des formations sur le sujet. L’entreprise a récemment été labellisée Numérique Responsable niveau 2 par l’INR. « Ce qui n’est pas développé n’a pas de coût ! Le numérique responsable permet également de prolonger la durée de vie des équipements en les sollicitant moins. Cette démarche prend aujourd’hui tout son sens pour des entreprises qui s’intéressent de plus en plus à la transition écologique » explique Sébastien Chaslin, à la tête de la PME dans les colonnes du journal les Echos6. DNS Belgium, association chargée de la gestion des noms de domaine belges, s’est elle aussi impliquée en faveur d’un numérique plus responsable, sécurisé et développe son effort de durabilité dans toute la chaîne de distribution. Ainsi, le fournisseur cloud de l’entreprise est lui-même engagé pour un numérique responsable. DNS Belgium l’a choisi en raison de son action positive en faveur de l’environnement.

Des enjeux davenir

« Près de 20% des consommateurs sont aujourd’hui éloignés du numérique pour des raisons variées. Nous souhaiterions pouvoir leur apporter un niveau de service équivalent, quelque soit leur situation. Le numérique responsable a vocation à répondre à cet enjeu, par une démarche inclusive » explique Cécile Maugé. Véritable question d’avenir, elle se pose en ces termes : « Sans un projet sociétal commun ni un futur inspirant, nous navons plus aucune raison de protéger lenvironnement. Voilà tout lenjeu dinitier un numérique responsable»7 souligne Inès Leonarduzzi, fondatrice et présidente de Digital For The Planet et auteure de « Réparer le futur, du numérique à l’écologie ».

1 Tristan Gaudiaut, “Combien y a-t-il d’internautes dans le monde ?”, 6 décembre 2021, https://bit.ly/3ctDnD8

2 Numérique responsable, https://bit.ly/3zmvl8c

3 Responsabilité numérique des entreprises : enjeux des données, environnementaux et sociaux, France Stratégie et Plateforme RSE, https://bit.ly/3ctYtBi

4 Avis, Responsabilité numérique des entreprises, l’enjeu de la donnée, France Stratégie, juillet 2020, https://bit.ly/3yUp4iz

5 “Groupe BPCE : engagé pour une stratégie Numérique Responsable”, 16 février 2022, https://institutnr.org/groupe-bpce-engage-pour-une-strategie-numerique-responsable

6 Cédric Menuet, « Specinov mise sur l’écoconception pour développer ses logiciels », Les Echos, 8 juin 2022, https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/specinov-mise-sur-lecoconception-pour-developper-ses-logiciels-1411838

7 Interview d’Inès Leonarduzzi, « Le numérique responsable, socle d’un futur plus durable », Maddyness, 26 juillet 2022, https://www.maddyness.com/2022/07/26/numerique-responsable-futur-durable/