Sophia Antipolis ou les promesses de la « fertilisation croisée »

Malgré une histoire récente, Sophia Antipolis continue d’incarner une forme d’utopie industrielle et scientifique, en se positionnant comme première technopole européenne. Ses recettes dépassent l’industrie du tourisme de la Région PACA tandis que son écosystème d’innovation représente un atout français dans la compétition internationale liée aux technologies numériques et à l’intelligence artificielle.

Par Geoffrey Comte

En juin dernier, l’inauguration du bâtiment de Terra Numerica sur le sol de Sophia Antipolis ouvre un nouveau chapitre de la fabrication d’une cité du numérique dans une initiative pédagogique et fédératrice. Ce projet associant l’Université Côte d’Azur, le CNRS et l’INRIA s’étend sur une superficie de 200 m² et permet une initiation aux technologies d’aujourd’hui comme aux métiers de demain. « Nous vivons dans un monde hyperconnecté qui suscite un certain nombre de fantasmes, par exemple sur la gouvernance supposée des algorithmes. Terra Numerica est un outil de médiation scientifique basé sur des exemples concrets, transmettant ainsi la pensée informatique aux profanes. Cette initiation vise davantage les collégiens et lycéens afin de susciter des vocations parmi la jeunesse locale et répondre à la pénurie de talents qui touche les secteurs du numérique et de l’informatique » explique David Simplot, directeur de l’INRIA et élu auprès de la ville d’Antibes.

Bâtiments totems

Depuis sa création en 1969, la ville de Sophia Antipolis a tenté de traduire une certaine idée de la modernité en Provence. Son rayonnement est déterminant pour le développement économique du territoire qui compose la Communauté d’agglomération de Sophia Antipolis (CASA). Son dispositif urbain s’agence autour de « marqueurs de l’utopie » pour donner corps à la « fertilisation croisée » et aux synergies promues par son fondateur.1 Tourné vers le futur, le plan Sophia 2030 souhaite ériger quatre « nouvelles centralités urbaines » au cœur des lieux de vies de Saint-Philippe situé à Biot, des Trois Moulins du côté d’Antibes, du Fugueiret et des Clausonnes localisés à Valbonne ; avant de les relier via un nouveau réseau de Bus-Tram. Deux projets viennent revaloriser l’entrée de la pinède technologique. Le site des Trois Moulins accueillera une « colline habitée » de 40 000 m², dont au moins 56% du site sera entièrement végétalisé. Nommée Ecotone Antibes, cette initiative privée prévoit la construction de 32 000 m² de bureaux, d’un hôtel et d’incubateurs. C’est au long du plateau de Valbonne que le Fugueiret sera l’hôte de la « Cité du Savoir », un espace de 80 hectares dédiés au numérique et à la vie étudiante2. D’ici 2024, un pôle innovation devrait également voir le jour, soutenu par la CASA, le Conseil départemental et le Conseil régional. Une volonté de pallier les manques du Business Pôle déjà existant.

Le quartier latin des champs 

Sophia Antipolis demeure la première technopôle d’Europe, s’inspirant ouvertement du modèle de la Silicon Valley. C’est sa « morphologie urbaine « verte » et rigide qui lui a permis de se différencier au niveau international, et non son alignement sur des standards territoriaux internationaux aussi qualitatifs soient-ils » indique Alexandre Grondeau, géographe spécialiste des territoires de haute technologie, dans une publication de 2018.3 « Durant les cinq années précédant la crise sanitaire, Sophia Antipolis a connu une création nette de 1 000 emplois par an. Pendant la pandémie, ce chiffre a chuté à 700 avant de grimper à 1 500 emplois nets par an avec la présente période de relance. Le groupe Amadeus a annoncé la création de 600 nouveaux emplois après le sommet « Choose France », mis à l’honneur par le Président Emmanuel Macron. Le parc scientifique connaît donc une forte croissance en matière d’emplois tandis que ses projets d’aménagements et de rénovations du territoire continuent de renforcer son attractivité » assure David Simplot. Et de prolonger : « Bien avant la situation géographique, la richesse du territoire provient des acteurs de l’innovation [laboratoires, actifs, universités et entreprises] qui y sont présents. Et les acteurs majeurs de la technologie sont installés sur Sophia Antipolis à l’instar de Thales, IBM, Amadeus, SAP, NXP, Axe Ventures ainsi que certains data center d’Air-France. Ce que viennent chercher les entrepreneurs, c’est avant tout la certitude de trouver une densité d’acteurs et de talents suffisante pour leurs perspectives de croissance tout autant que les liens avec les universités régionales comme l’institut interdisciplinaire d’IA, ou 3IA Côte d’Azur, et l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) ».

Un territoire d’innovation

Au fil des dernières décennies, cet écosystème d’innovation a prouvé à maintes reprises sa résilience et son adaptabilité face aux cycles économiques, s’imposant comme un atout national en matière de sécuritédes télécommunications, de l’internet des objets et du traitement massif de base de données par l’IA.« L’ADN historique de Sophia Antipolis concerne avant tout l’identification et la sécurisation des objets communicants, à l’instar des cartes SIM et des moyens de paiement. L’INRIA a permis de développer un certain nombre de solutions de sécurité des personnes et des infrastructures au travers du traitement d’images, à l’instar de la reconnaissance faciale intelligente du groupe [Kineo] ou l’analyse de situation anormale de [Vinetix] plus récemment » soulève Laurent Londeix, directeur régional Provence Côte d’Azur chez Orange et président de l’incubateur PACA-Est. Et de prolonger : « Aujourd’hui, l’institut 3IA ouvre les perspectives d’usages de l’intelligence artificielle. Orange Lab et le 3IA développent une thèse commune sur la détection d’attaque sur les réseaux via l’analyse de signaux faibles. Avec l’Université de Nice-Côte dAzur, Orange a déployé un réseau de fibre noire sur plus de 30 km afin de réaliser de test de transmissions de clés quantiques à taille réelle. Cette Université et celle de Paris-Saclay sont parmi les plus pointues en termes de cryptographie et de sécurité quantique ».

L’interpénétration entre recherches privées et publiques ainsi que la capacité de rétention des actifs forment la force de l’écosystème sophipolitain. De telles synergies réduisent le taux de turnover et valorisent la recherche publique pour créer des startup à hautes valeurs innovantes. Si la région PACA n’occupe que la 6e place en matière d’investissements en R&D, les circuits de financement des startup portent tout de même leurs fruits. «  L’incubateur PACA-Est a permis la création de plus de 150 entreprises sur 210 projets accompagnés et a levé 72 millions d’euros durant les 18 derniers mois. Cela représente environ 1 400 emplois depuis sa création en 2001. » précise Laurent Londeix.

« Les start-up sont le vecteur privilégié des innovations liés au numérique. S’assurer de leur rayonnement est donc un outil clé en vue de s’assurer une souveraineté technologique dans le monde qui vient » conclut David Simplot.

1 Paul Rasse, « Sophia Antipolis, utopie du premier technopôle » dans Éric Letonturier (ed.), Les utopies, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 181 189.

2 Sophia Antipolis : à quoi ressemblera le technopôle en 2030 ?, https://www.bnppre.fr/actualites/marche-immobilier/sophia-antipolis-quoi-ressemblera-le-technopole-en-2030.html.

3 Ibid.