En Corée du sud, la haute technologie au service du soft power

L’influence de Séoul ne cesse de croître, portée par une industrie culturelle rayonnante ainsi que son propre écosystème numérique. La vague d’exportation massive de sa culture populaire, nommée « Hallyu », ainsi que son succès commercial sont les fruits de la relation entre la société sud-coréenne, l’Etat et les chaebols, grands conglomérats omniprésents dans l’ensemble des secteurs stratégiques nationaux. Fort de ses atouts, le pays du « Matin calme » est devenu un interlocuteur incontournable de la zone indopacifique, au moment où la haute technologie devient un facteur clé de la compétition régionale.

Par Geoffrey Comte

Capitaines d’industries

En 2021, la Corée du Sud a été nommée nation la plus innovante au monde selon le Bloomberg Innovation Index.1 Ce couronnement provient des hausses de publication de brevets, des efforts constants en matière d’investissement et de la solidité de son industrie manufacturière. La Corée du Sud incarne une économie d’importance mondiale, occupant la 10e place en matière de PIB, la 5e place en termes de e-commerce ainsi que le 7e rang du point de vue des exportations. Une ouverture sur le monde confortée par son intégration au G20 non moins que son rôle de premier producteur international de smartphones et de semi-conducteurs. Aujourd’hui, son PIB par habitant atteint celui de la France alors que les employés de start-up forment la majeure partie de la masse salariale. 20 millions de personnes sont abonnées au réseau 5G, primordial face à l’explosion du e-commerce et du télétravail, sur une population totale de 51 millions d’habitants.

Le « miracle économique de la rivière Han » est le résultat de l’interaction entre les pouvoirs publics et l’omniprésence de chaebols, équivalent des Zaibatsus japonais. Loin d’être des ersatz des GAFAM, ces groupes sont partout dans les industries stratégiques nationales à l’instar de Hyundai dans le secteur automobile, LG pour les produits bruns ou encore Samsung pour les équipements électroniques. Les activités de ce dernier s’étendent aux secteurs de la banque, de tourisme, de l’aviation ou de la santé et sont responsables de plus de 20% du PIB de la Corée du Sud. Portail de recherche concurrençant Google, le groupe Naver s’est orienté vers le shopping en ligne et les technologies immersives. Aujourd’hui, son métavers privée Zepeto attire plus de 300 millions d’utilisateurs, souvent des jeunes filles de 13 à 24 ans provenant de l’étranger. Spécialisée dans les services digitaux, la firme Kakao englobe désormais les activités du portail Daum, substitut national à Uber, tout autant que le service KakaoTalk, principal remplaçant de WhatsApp et Messenger pour plus de 40 millions d’usages sud-coréens.

Une attractivité polymorphe

Séoul joue également la carte de la diversification de son soft power, tant en matière d’industries culturelles, à l’image du cinéma, de la beauté et de la musique, que du rayonnement de son patrimoine technologique.2 Ce désir de « vivre à la coréenne » touche désormais les étudiants étrangers dont plus de 300 000 passaient le TOPIK, l’examen officiel de maîtrise de la langue sud-coréenne, en 2019. « Le soft power sud-coréen sert l’industrie de la haute technologie que celle-ci alimente en retour via une industrie culturelle rentable et influente. Ces placements de produits renforcent la visibilité de l’industrie technologique de Séoul qui touche ainsi de nouveaux marchés. L’hyperconnectivité, l’obsession technologique et le patriotisme économique de la société sud-coréenne accentuent cette capacité à s’appuyer sur les NTIC pour diffuser la culture populaire du pays » remarque Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Cette attractivité se reflète également dans son environnement entrepreneurial de premier choix, favorisé par un taux d’investissement en R&D à hauteur de 4,3% du PIB. « Une grande rupture se profile en Corée du Sud. La jeunesse ne souhaite plus travailler pour Samsung ou LG mais se dirige de plus en plus vers ces nouveaux géants, à l’image de Kakao, ou au sein de start-up. Entre financements privés et publics, ces dernières ont obtenu 6,4 milliards de dollars en 2021, contre 3,6 en 2020. Les emplois créés par les start-up dépassent ceux issus des grands conglomérats. La Corée du Sud est aussi l’une des nations les plus représentées lors des salons internationaux, cherchant à valoriser son savoir-faire en matière de santé connectée, d’identité numérique, de métavers et d’influenceurs virtuels » souligne Guillaume Rio, technology trends manager au sein de l’Echangeur BNP Paribas.

Korean New Deal

En juillet 2020, le gouvernement de l’ancien président Moon Jae-In a lancé le « Korean New Deal » d’une valeur de 133 milliards de dollars, articulé autour du numérique, de la protection de l’environnement et de la sécurité sociale. D’ici 2025, son ambition est de créer 1,9 million d’emplois, piloté par le nouveau ministère des Start-up et des nouvelles technologies. Ce plan valorise également des projets d’aménagement du territoire en faveur du tourisme et de la haute technologie. Inaugurée en 2018, la ville fantôme de K-City a été bâtie dans l’unique but de tester les véhicules autonomes sur une surface d’environ 35 hectares et pour un budget de 9,7 milliards de dollars. Depuis 2011, le parc technologique de Pangyo, situé sur la côte Ouest, tente de concilier ancrage territorial et compétitivité, en s’inspirant du modèle de la Silicon Valley. Un projet qui a nécessité plus de 66 milliards de dollars avant de voir le jour. « Au-delà de la pandémie, la Chine s’est repliée sur elle-même en maintenant ses frontières hermétiques et s’est éloignée des exigences de transparence imposées par le RGPD. A contrario, la Corée du Sud suit des réglementations similaires aux standards européens et met à disposition les moyens pour attirer les capitaux étrangers. Séoul pourrait donc prendre le leadership en matière de technologie et devenir notre principal interlocuteur sur le sujet » prolonge Guillaume Rio.

Au travers de son « Digital New Deal », le gouvernement sud-coréen a consacré plus de 44 milliards de dollars pour développer l’infrastructure 5G, la numérisation des services publics. La capitale de la Corée du Sud verra son architecture comme l’ensemble de ses services administratifs dupliqués dans un environnement virtuel durant les prochaines années. D’ici 2026, 40 000 experts opéreront quotidiennement au cœur des futurs métavers sud-coréens pour en assurer la maintenance, la programmation et la cybersécurité.

La haute technologie, un relai de puissance

Au-delà de leur rôle de vecteur de la « Hallyu », les chaebols occupent une place centrale dans la politique internationale de Séoul. En mars dernier, Washington a proposé l’alliance « Chip 4 » réunissant le Japon, la Corée du Sud et Taïwan afin de limiter la mainmise chinoise en matière de microélectronique, s’assurer de son autosuffisance technologique et contrôler les tendances inflationnistes qui rongent les Etats-Unis. Ce quatuor représenterait environ 60% du marché mondial de productions de puces tandis que la Chine en recouvre actuellement 24%.3 Un portefeuille d’investissement nord-américain de 80 milliards de dollars sera alors débloqué pour soutenir les grands fabricants de semi-conducteurs régionaux jusqu’en 2025.

Seuls le Japon et Taïwan ont répondu positivement à l’offre de Washington alors que les autorités sud-coréennes ont simplement exprimé leur volonté de participer aux réunions préliminaires ayant eu lieu en septembre. Une possible première étape vers d’autres alliances stratégiques, en vue d’établir des chaînes d’approvisionnement pour les batteries de véhicules électriques. Ces négociations mettent au jour le nouveau rôle de la Corée du Sud au sein de la zone indopacifique, celui de pivot de l’équilibre régional et futur partenaire clé des grandes puissances.

1Michelle Jamrisko, Wei Lu et Alexandre Tanzi, « South Korea Leads World in Innovation as U.S. Exits Top Ten », Bloomberg.com, 3 févr. 2021p.

2Barthélémy Courmont, « Les succès du soft power sud-coréen », Diplomatie, 2021, no 111, p. 8688.

3Kim Yoo-chul, « Seoul expected to join Washington-led “Chip 4” alliance », koreatimes, 18 juill. 2022p.