Patrice Valantin est le fondateur de l’association Irvin qui œuvre en Bretagne. Son but : venir en aide à une jeunesse désabusée en lui offrant un cadre clair, accompagné par une reconnexion au vivant. Ce, par le biais de stages particulièrement intenses, inspirés de son expérience en tant qu’officier dans la Légion étrangère. Développer les solidarités, rompre avec l’individualisme qui gangrène notre société… voici les objectifs poursuivis par une structure en pleine croissance.
Par Alexandre Guichard
« Nos stages s’adressent à toute la jeunesse qui ressent aujourd’hui un grand vide intérieur, ne sait plus où elle va, n’a plus de racines.Irvin est un centre de formation aux compétences humaines, s’inspirant de mon expérience dans l’armée, notamment mes 15 années en qualité d’officier en particulier dans la Légion étrangère. L’immersion en pleine nature et dans le monde vivant constitue la base de cette approche » explique Patrice Valantin.
La structure accueille à la fois de jeunes professionnels, des étudiants, des décrocheurs mais également de jeunes SDF, délinquants, toxicomanes ou sortant de prison. Cyril en fait partie. Après un parcours post-baccalauréat chaotique, émaillé par des crises d’angoisse, la désocialisation et les addictions à la cigarette et les drogues dures, c’est un psychologue, consulté à Rennes, qui l’oriente vers l’association. « Je ressens beaucoup de gratitude envers mon psychologue. Il m’a aidé, et m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : ‘Il est grand temps pour vous de couper le cordon’ ». A 26 ans, il est aujourd’hui clean.
Quêtes de sens
L’association vient répondre à plusieurs problématiques. Depuis septembre 2021, 62% des 18-24 ans déclarent avoir eu des pensées suicidaires selon une étude de la Fondation Jean Jaurès1. Face à une génération en quête de sens, en proie à des phénomènes tels que l’éco-anxiété et percluse de doutes face à l’avenir, il faut trouver des solutions. « L’espoir est notre proposition fondamentale, face à un monde globalement anxiogène. La période est extraordinaire, au sens étymologique du terme. Nous voulons faire passer le message que l’avenir sera exactement ce que nous voulons qu’il soit. Avec une vision et une volonté commune, on peut changer les choses. Irvin sert à cela. Les jeunes prennent la parole comme nous avons pu le voir aux remises des diplômes d’AgroParisTech, de HEC et de Polytechnique, en rejetant le modèle établi. Mais si la société ne vous plaît pas, changez-la. Des jeunes viennent nous voir, nous disant : « je n’aime pas cette Francelà ». Moi non plus. Nos ancêtres ne se sont pas battus pour défendre un pays basé sur l’individualisme, l’égoïsme et la compétition à outrance, qui sont la cause de tous nos maux. Insérer des jeunes dans un monde malade, parce que notre société ne tient pas la route aujourd’hui, pour différentes raisons, ne résoudra pas le problème. Il faut, en fait, les préparer à construire l’avenir » affirme Patrice Valantin.
Pour Cyril, intégré au sein de l’association depuis novembre, après un stage démarré fin octobre 2021, l’expérience fut difficile au départ : « Je suis aujourd’hui pleinement engagé dans ma démarche, même si, au début, je me reprochais certaines choses, notamment d’être insociable. J’étais incapable d’exprimer ce que je souhaitais pour moi. J’étais dans une tour d’ivoire, persuadé que personne ne pouvait comprendre. Beaucoup de gens sont suspicieux du monde, ne se sentent que trop peu protégés. La ferme permet de savoir ce que l’on fait, sur des cycles longs et de ne plus être aliénés. Mais ce n’est que le début, le travail sera encore long ».
Diversité et relations
Le fondateur d’Irvin est également entrepreneur en génie écologique et président de l’Union professionnelle du génie écologique qui regroupe plus de 100 entreprises spécialisées dans la biodiversité. « Les systèmes vivants sont basés sur deux principes fondamentaux: la diversité et la relation. Les espèces n’existent qu’au service les unes des autres. Notre pays a toujours fonctionné selon ce principe de communautés, de tribus, de relations des hommes entre eux et avec les systèmes vivants. Nous avons hérité d’une France construite au service du bien commun. Mais depuis un siècle ou deux, et surtout depuis 40 ans, le principal modèle réside dans la compétition, la maximisation des gains personnels et la standardisation qui conduit à l’individualisme. La crise écologique et l’injustice sociale en sont des conséquences, pas les causes. Parce que chacun est sa propre finalité sans soucis du bien commun. La solidarité a été déléguée à l’Etat mais plus aux individus. Les jeunes se retrouvent isolés, manquent de confiance en eux, en les autres et en l’avenir » dévoile-t-il.
Ayant l’ambition de venir en aide à plusieurs dizaines de milliers de jeunes, l’association s’est doté d’un modèle unique fait de centres autonomes, légers, nécessitant peu d’investissements tout en étant ancrés dans les territoires. « Les décideurs nous prêtent une oreille attentive mais pas opérationnelle. Nous n’avons pas vraiment d’aide, aucun soutien politique, parce que nous ne rentrons pas dans les cases habituelles » explique Patrice Valantin. Et d’ajouter : « Quelques entreprises commencent à venir vers nous. Elles font face à un problème majeur: trouver des collaborateurs pour exécuter leurs marchés. Quand elles parviennent à engager des jeunes, ils ne restent pas ou ont un comportement non-conforme aux attentes de l’entreprise. Ce que propose Irvin, c’est de donner accès à des profils différents et engagés mais la collaboration ne se fera que si les entreprises sont prêtes également à s’engager ».
Mixité sociale
Le constat fait par Patrice Valantin est partagé par Cyril : « Irvin donne la possibilité d’être dans un cadre de vie offrant le bon équilibre pour penser autrement. Au-delà de l’intérêt personnel et des compétences que l’on y gagne, il y a un sens. On ressent la possibilité de changer les choses, d’être responsable. Tout cela, ce sont des mots auxquels je n’attachais que peu de valeur auparavant. Irvin est une solution, notamment face aux industries destructrices, au rapport de rapacité et de concurrence frénétique de notre société ».
Surtout, ce sont bel et bien les rapports humains et les relations interpersonnelles qui influencent positivement le breton, originaire de Saint-Malo : « J’aime la convivialité d’Irvin, les rapports humains qui y existent. On se laisse gagner par la conversation, le plaisir est partagé et on commence à s’ouvrir. Je me sens reconnu, cela fait du bien de retrouver une structure avec des professionnels investis. Il est plus facile d’agir sur soi dans ce contexte » affirme Cyril. Et de conclure : « Il me manquait le sentiment d’être intégré dans un projet, une étape intermédiaire entre l’enfance et l’autonomie, qui m’apporte du lien social. Irvin joue parfaitement ce rôle. Dans le stage, j’ai senti une rupture qui m’a interpellé. J’avais le temps de recommencer, de prendre un nouveau départ. Être soi-même, ailleurs ».
1 Fondation Jean Jaurès (juillet 2022) : « Covid-19 : Alerte sur la santé psychique des Français et des Européens »