L’Europe face aux crises : engagement et solidarité

Janez Lenarcic

Alors que les crises se multiplient, s’enchevêtrent et s’intensifient, les défis auxquels s’exposent la communauté internationale et les Etats-membres de l’Union européenne sont croissants. Engagé sur tous les fronts, Janez Lenarcic, Commissaire européen en charge de la gestion de crise, affronte un 21e siècle dans la tourmente.
Rencontre avec le Commissaire européen qui entend moderniser et renforcer l’action européenne en matière de gestion de crise, de protection civile et de réponse humanitaire.

Propos recueillis par Camille Léveillé

Crises humanitaires et conflits

Notre monde continue d’être ébranlé par des conflits violents et des catastrophes naturelles destructrices qui précipitent souvent les communautés locales dans des crises humanitaires. Nous saluons tous ceux qui travaillent en première ligne, qui risquent constamment leur vie pour en sauver d’autres et réduire les souffrances humaines. En 2022, les attaques contre des travailleurs humanitaires ont entraîné la mort de 40 d’entre eux ; 136 travailleurs humanitaires ont été enlevés et 68 blessés. Les règles de guerre sont claires. Les civils, y compris le personnel médical et les travailleurs humanitaires, doivent toujours être protégés et ne jamais être ciblés. L’invasion par la Russie a non seulement conduit à une hausse vertigineuse des besoins humanitaires en Ukraine, mais a également entraîné des conséquences dramatiques dans le monde entier. Les personnes les plus touchées par la flambée des prix et par les pénuries alimentaires sont celles dont l’accès à la nourriture a déjà été entravé par les conflits, le changement climatique et les effets de la pandémie de COVID-19. Les populations du Soudan du Sud, d’Ethiopie, de Somalie, du Nigeria, du Yémen et d’Afghanistan sont menacées de famine, tandis que de nombreux autres pays sont confrontés à une grave insécurité alimentaire. L’UE a considérablement augmenté son financement pour lutter contre la crise alimentaire mondiale, et nous invitons la communauté internationale des donateurs à en faire de même. C’est ainsi que nous pouvons soutenir l’abnégation dont font preuve les travailleurs humanitaires afin de fournir de la nourriture, des soins de santé et des abris — mais aussi de l’espoir — aux communautés les plus vulnérables du monde. Nous ne devons pas oublier que 80 % des crises humanitaires dans le monde sont les conséquences des conflits.

Le Mécanisme européen mobilisé

Nous renforçons les outils dont nous disposons au sein de l’Union européenne pour faire face ensemble. Le Mécanisme européen de protection civile est devenu un véritable outil de la gestion de crise au niveau européen. Mais ce dernier peut se révéler, dans certains cas, insuffisant. C’est pourquoi nous avons ajouté un niveau supplémentaire dans l’outil de solidarité : RescEU destiné à protéger les citoyens des catastrophes et à gérer les nouveaux risques. Mise en place dès 2019 avec une flotte d’avions pour lutter contre les incendies qui ont ravagé l’Europe au début de son mandat, RescEU possède désormais des moyens étendus. Elle peut mettre à disposition des médicaments et des équipements médicaux, des contre-mesures NRBC (mesures de détection et de décontamination), des capacités logistiques et de transport, des capacités d’hébergement, en particulier pour les abris d’urgence, etc. Nous investissons également dans des sources d’énergie d’urgence, principalement des générateurs.

Cette année, le Mécanisme européen de protection civile a été activé 11 fois pour les incendies de forêt dans toute l’Europe et grâce à la solidarité sans précédent des Etats membres, le centre de coordination de la réaction d’urgence a coordonné 33 déploiements d’avions de lutte contre les incendies et 8 déploiements d’hélicoptères. Grâce à la flotte rescEU, le Mécanisme de protection civile de l’UE a répondu rapidement et efficacement à la plupart des demandes formulées cette année. Néanmoins, la nature nous a rappelé une fois encore quelles étaient les conséquences du réchauffement climatique. L’intégration systématique d’actions de préparation et de prévention face aux catastrophes dans les projets financés par l’UE demeurera donc notre priorité absolue dans le cadre de la fourniture de l’aide humanitaire. Nous avons ainsi décidé de doubler la capacité de la flotte d’avions de lutte contre les incendies au niveau du RescEU, et ce, dès l’année prochaine.

Anticipations, prévention, préparation

Les incendies de forêt sont devenus une préoccupation paneuropéenne, qui nous concerne tous. Aucun pays, même s’il est très bien équipé ou préparé comme la France, ne peut faire face seul à une telle catastrophe. Nous devons par ailleurs investir davantage dans la prévention et la préparation. Bien que nos services d’urgence continuent d’être actifs dans la surveillance et la maîtrise des incendies, en tant que décideurs politiques, nous devons nous tourner vers l’avenir et prendre des engagements politiques rapides et forts pour en faire plus, tant au niveau national qu’au niveau européen, afin d’améliorer la préparation de l’UE aux futures saisons d’incendie pour éviter le pire.

Nous devons enfin être en mesure de mettre en place, au niveau national dans chaque Etat membre, un système d’alerte. Ce dernier existe au niveau européen. Mais il faut à présent être en capacité d’informer chaque citoyen européen le plus rapidement possible. Nous devons travailler collectivement sur ce sujet pour faire évoluer les mesures en place actuellement. La Commission européenne a par ailleurs développé un réseau de connaissances, une plateforme d’échange, d’expertise et de bonnes pratiques pour les praticiens de l’action humanitaire, la gestion de crise et la sécurité civile. Je serais très heureux que la France fasse connaître l’initiative HELPED par le biais de ce réseau.

La guerre en Ukraine : un défi logistique

L’Union européenne fournit des fonds à ses partenaires humanitaires qui s’occupent de la logistique et de la distribution de l’aide humanitaire sur le terrain en Ukraine. Face à l’explosion des besoins nous avons renforcés la partie logistique de notre action. En Ukraine, nous avons mis en place 3 hubs logistiques humanitaires, dont des entrepôts où nous pouvons stocker certains vivres ou médicaments et les moyens de transports nécessaires pour acheminer les biens humanitaires vers l’Est et les zones de territoires temporairement occupés et incontrôlés. À l’heure actuelle, une trentaine d’organisations utilisent ces capacités de réponse humanitaire et les mettent à disposition en Ukraine. L’hiver à venir sera par ailleurs pour les Ukrainiens l’un des plus durs jamais vécus. Outre les attaques impitoyables perpétrées par la Russie, les Ukrainiens feront face à des températures glaciales, dues à la détérioration de leurs habitations et de leurs systèmes de chauffage. La communauté humanitaire doit être pleinement prête à venir en aide aux populations touchées. L’acheminement de l’aide aux personnes les plus vulnérables est un véritable défi. Une approche unifiée et coordonnée est plus que jamais nécessaire.

Prévenir des violences sexuelles et sexistes dans les conflits

Une attention particulière devrait également être accordée à la prévention et à la réponse à la violence sexuelle et sexiste dans les conflits. Nous devons intensifier le travail de prévention, d’atténuation et de réponse avec des financements, une perspective juridique et pratique pour assurer l’accès aux services ainsi que la justice pour les survivants et engager la responsabilité des auteurs. Les violences sexuelles et sexistes sont l’un des crimes les plus répandus dans les conflits armés du monde entier. En Ukraine, les rapports troublants de violences sexuelles contre les femmes et les filles, mais aussi contre les hommes et les garçons, n’ont retenu l’attention du monde que quelques semaines après le début de la guerre d’agression russe. Dans les régions éthiopiennes du Tigré, d’Amhara et d’Afar, la violence sexuelle utilisée dans le cadre d’une stratégie délibérée vise à terroriser, dégrader et humilier les victimes et le groupe ethnique minoritaire auquel elles appartiennent. En Afghanistan, des femmes et des filles ont été vendues ou forcées de se marier et d’être soumises à l’esclavage sexuel par les talibans.

Ce ne sont là que quelques exemples. Et, derrière chaque exemple il y a un survivant, dont la vie a été détruite, avec des ramifications pour des familles et des communautés entières. Nous ne devons pas les abandonner. En 2021, nous avons alloué environ 33 millions d’euros de notre budget d’aide humanitaire à la prévention et à la riposte à la violence sexiste dans le monde en partenariat notamment avec l’UNFPA. En matière de justice, des efforts ont été réalisés et les progrès de la communauté internationale sont à noter, mais il reste encore beaucoup à faire.

Nous devons enfin faire progresser le programme général sur la paix, la sécurité et l’égalité des sexes.